Second souffle
Patrick était assis à la table en bois de la petite cuisine de l'appartement de Josh, fixant le téléphone portable devant lui. Encore une fois, il avait composé le numéro de son ami, mais la sonnerie incessante ne lui offrait aucune réponse. Il soupira profondément, se demandant ce qui pouvait retenir Josh à New York si longtemps. Depuis son arrivée à Paris, Patrick avait été accueilli par une série de visites de personnes qu'il ne connaissait pas. À chaque fois, il leur expliquait qu'il n'était pas Josh, mais son ami et invité. Cependant, cela semblait ne pas les convaincre, et ils continuaient à discuter avec lui comme s'il était le propriétaire de l'appartement. Cette étrange méprise l'avait intrigué, mais il avait mis cela sur le compte de la ressemblance entre lui et Josh. Cependant, les événements de la journée avaient ébranlé cette explication. Alors qu'il se promenait dans les allées paisibles du jardin des Plantes, profitant du calme et de la beauté de Paris, il avait senti un regard insistant sur lui. Se retournant, il avait remarqué deux hommes encagoulés qui le suivaient furtivement. La tension avait immédiatement resserré son estomac. Sans perdre de temps, Patrick avait décidé de rentrer à l’appartement, mais avant même qu'il puisse l’atteindre, les deux hommes l'avaient rattrapé. Ils l'avaient accosté brusquement, exigeant le remboursement d'une dette ! Et pire encore, ils l'avaient appelé "Josh". C'était le moment où le doute s'était insinué dans l'esprit de Patrick. Josh lui aurait-il tendu un piège ? Avait-il été utilisé comme appât pour quelque chose de bien plus sombre ? Sans prendre le temps de réfléchir davantage, Patrick avait pris ses jambes à son cou. Les rues familières de Paris étaient devenues un labyrinthe terrifiant alors qu'il tentait désespérément d'échapper à ses poursuivants. Les souvenirs des courses folles de son enfance à travers des ruelles étroites lui revenaient en mémoire, chaque virage, chaque recoin lui rappelant sa vulnérabilité. Par miracle, Patrick avait réussi à semer les hommes qui le traquaient, mais son esprit était en ébullition. Il devait découvrir ce qui se passait, pourquoi il était impliqué dans cette situation périlleuse. Le téléphone portable à côté de lui sonna soudain, le tirant de ses pensées. Avec un frisson d'appréhension, Patrick décrocha, se préparant à affronter la vérité, quelle qu'elle soit.
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Patrick se sentait comme une ombre de lui-même. Autrefois, il était au sommet de sa carrière, ses livres captivaient les lecteurs et les critiques, et son nom était souvent mentionné dans les médias. Mais le temps avait passé, et avec lui, l'intérêt du public pour ses histoires policières semblait s'être émoussé. Il était devenu un écrivain en perte de vitesse, se contentant de vivre dans le souvenir de ses succès passés. Il habitait dans un grand appartement à Montpellier, un vestige de sa gloire passée, acheté à une époque où l'argent coulait à flots. Maintenant, il se retrouvait souvent seul, ses journées ponctuées par les rares visites de vieux amis ou les appels téléphoniques occasionnels. Parmi ces amis, il y avait Josh. Ils s'étaient rencontrés lors du salon du livre de Paris il y a de cela quelques années. Josh était un homme d'affaires prospère, un trader international qui parcourait le monde pour son travail. Il avait été séduit par les romans de Patrick et une amitié sincère s'était rapidement nouée entre eux. Un jour, au cours d'une conversation téléphonique, Patrick avait confessé à Josh son affliction : le syndrome de la page blanche. Depuis un certain temps, il peinait à trouver l'inspiration pour écrire de nouvelles histoires captivantes. C'est alors que Josh lui avait fait une proposition inattendue. "Viens à Paris, chez moi", avait-il dit. "Peut-être que l'atmosphère de la ville des lumières te redonnera l'inspiration dont tu as besoin. Tu pourras te ressourcer, prendre du recul, et qui sait, peut-être que tu trouveras la clé pour débloquer ton imagination." Patrick avait d'abord hésité. Quitter Montpellier, son chez-lui depuis tant d'années, pour se rendre à Paris, la ville de ses débuts littéraires, lui semblait à la fois excitant et effrayant. Mais au fond de lui, il savait que quelque chose devait changer s'il voulait retrouver sa passion pour l'écriture. Finalement, après mûre réflexion, il avait accepté l'invitation de Josh. Peut-être que ce séjour à Paris serait le tournant dont il avait besoin pour donner un second souffle à sa carrière d'écrivain.
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Patrick avait regagné l'appartement de Josh après avoir échappé à ses deux agresseurs. La porte blindée était fermée à double tour, mais il n'était pas serein et faisait les cent pas. Pourquoi Josh lui avait-il proposé de se refaire une santé littéraire à Paris chez lui ? L'avait-il piégé ? Patrick s'en voulait d'avoir accepté la proposition de Josh. Etrangement, toutes les personnes qui avaient toqué à sa porte depuis son arrivée dans l'appartement parisien de Josh, parti plusieurs semaines à New York, le prenaient pour Josh ! Il s'en était amusé au début, ne sachant pas s'il s'agissait d'une plaisanterie. Mais depuis les menaces proférées par deux hommes encagoulés lors d'une balade au jardin des plantes, l'histoire avait pris une autre tournure pour Patrick. Désormais, il était menacé par des hommes qui réclamaient de l'argent à Josh, le prenant pour lui. Patrick faisait les cent pas dans l'appartement en essayant de rassembler ses pensées pour savoir quelle conduite tenir. Quelqu'un frappa à la porte. Une femme. Patrick ne répondit pas. Elle insista en disant qu'elle s'appelait Louise, qu'elle était une ancienne petite amie de Josh et qu'elle ne voulait que l'aider, même si elle ne savait pas qui il était. Patrick n'avait pas vraiment le choix. Peut-être allait-il être piégé par cette dénommée Louise. Il lui ouvrit la porte de l'appartement et la fit entrer. "Bonjour," dit-il avec un mélange de méfiance et de curiosité. "Bonjour," répondit Louise en lui lançant un regard scrutateur. "Tu es Patrick, n'est-ce pas ?" Patrick hocha la tête, se demandant comment elle le savait. "Josh m'a beaucoup parlé de toi," dit-elle en entrant dans l'appartement. "Je suis désolée pour tout ce qui t'arrive en ce moment. Je suis venue pour t'aider." Patrick la regarda avec suspicion. "Comment sais-tu tout ça ?" "Josh m'a envoyé un message avant de partir pour New York," expliqua Louise. "Il m'a dit que tu viendrais peut-être ici et que je devrais t'aider si tu avais des ennuis. Il semblait inquiet pour toi." Patrick était surpris. Josh ne lui avait rien dit de tout cela. Il se sentit soudainement coupable d'avoir douté de son ami. "Je suis désolé, je ne savais pas," murmura-t-il. Louise lui sourit doucement. "Ce n'est pas grave. Maintenant, parlons de ce qui se passe et voyons comment je peux t'aider." Patrick se sentit un peu plus rassuré en voyant la sincérité dans les yeux de Louise. Peut-être qu'il n'était pas seul dans cette situation après tout.
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Louise était une femme d'une élégance discrète, avec des yeux perçants qui semblaient dévoiler bien plus que ce qu'elle disait. Ses mots étaient choisis avec soin, chaque syllabe pesée pour transmettre l'urgence de la situation à Patrick. Assise en face de lui dans le salon, elle racontait son histoire avec une calme détermination. "Patrick, tu dois comprendre la gravité de la situation", commença-t-elle, son regard fixé sur le sien. "Josh est dans un pétrin bien plus profond que ce que tu pourrais imaginer." Elle avait capturé son attention dès le début, ses paroles s'enroulant autour de lui comme un étau, le forçant à écouter attentivement chaque détail. "Les dettes qu'il a accumulées ne sont pas seulement financières, elles sont aussi morales", continua-t-elle, sa voix maintenant plus grave. "Il a traité avec des gens qui n'ont aucune pitié, des individus qui ne reculent devant rien pour obtenir ce qu'ils veulent." Patrick sentait le poids des mots de Louise, comme s'ils étaient chargés d'une signification bien au-delà de leur surface. Il savait que derrière son calme apparent, la tension était palpable. "Je crains pour sa sécurité, Patrick", avoua-t-elle enfin, laissant échapper un soupir chargé d'émotion. "S'il ne parvient pas à régler ses dettes, je crains le pire. Et je sais qu'il n'hésitera pas à prendre des risques insensés pour y parvenir." Le récit de Louise était une sérieuse mise en garde, une sonnette d'alarme qui résonnait dans l'esprit de Patrick. Il sentait le poids des responsabilités qui pesait sur ses épaules, l'urgence de la situation qui exigeait une action immédiate. Elle avait fait tout ce qu'elle pouvait pour le mettre en garde, pour le convaincre de l'urgence de la situation. Patrick hocha lentement la tête, absorbant chaque mot avec sérieux. Il comprenait maintenant l'ampleur du problème et savait qu'il devait agir rapidement pour aider son ami. Mais comment ?...
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Alors que Louise s'entretenait avec Patrick, les deux hommes toujours encagoulés qui avaient traqué Patrick en le prenant pour Josh, vinrent devant la porte d'entrée de l’appartement. Il tapèrent très fort contre la porte puis l'un des deux prit la parole : "nous savons que vous n'êtes pas Josh. Vous n'entendrez plus parler de nous. Nous n'avons qu'un seul conseil à vous donner : quittez Paris et retournez chez vous. " Puis ils prirent la poudre d’escampette. Patrick brisa le silence en posant à Louise une question qui pesait sur son esprit depuis un moment : "Comment faire pour aider Josh alors qu'il ne répond à aucun appel téléphonique ?" Louise réfléchit un instant, cherchant une solution à ce dilemme. "Peut-être devrions nous essayer de le contacter différemment. Peut-être qu'il a éteint son téléphone pour une raison quelconque, ou qu'il n'a pas accès à son téléphone pour le moment. Nous pourrions essayer de lui envoyer un message par d'autres moyens, comme par e-mail ou en essayant de le contacter via les réseaux sociaux, s'il en utilise." Patrick acquiesça, reconnaissant la logique dans les suggestions de Louise. "Oui, c'est une bonne idée. Je vais essayer de le contacter de différentes manières. Pendant ce temps, nous devrions rester vigilants ici." Louise hocha la tête, sachant qu'ils devaient rester prudents après l'incident avec les hommes encagoulés. "D'accord. Je vais rester avec toi et t'aider du mieux que je peux." Déterminés à aider Josh et à résoudre ce mystère, Louise et Patrick se mirent au travail, explorant toutes les options possibles pour entrer en contact avec lui et s'assurer de sa sécurité.
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Comme il ne parvenait pas à joindre Josh qui ne répondait pas au téléphone et n'était inscrit à aucun réseau social, Patrick décida de quitter l'appartement de Josh son ami dont il était sans nouvelles et qui était une cible pour des personnes auxquelles a priori il devait de l'argent. Il fit son sac, ferma la porte de l'appartement à clé et remit la clé sous le paillasson exactement là où il l'avait trouvée. Il salua Louise, l'ancienne compagne de Josh et prit un train pour Montpellier, sa ville. Une semaine s’écoula. Patrick était assis dans un café à Montpellier, sirotant une bière fraîche tout en feuilletant distraitement le journal. Les pages s'égrenaient lentement sous ses doigts jusqu'à ce qu'un article particulier attire son attention. Le titre en gras captura son regard : "Assassinat d'un Serial killer à New-York". Son cœur rata un battement alors qu'il parcourait rapidement l'article. Une photo accompagnait le texte, et dès qu'il posa les yeux dessus, Patrick sentit son estomac se nouer. C'était Josh, son ami disparu. Mais ce n'était pas le Josh qu'il connaissait, le Josh qu'il avait cherché désespérément à joindre. C'était un visage froid, presque inhumain, figé dans une expression indéchiffrable. Patrick lut frénétiquement chaque mot de l'article, sentant le monde autour de lui s'effondrer. Josh était en réalité un monstre, un prédateur insoupçonné. Les informations s'accumulaient dans son esprit. Josh n'était pas un trader, comme il l'avait toujours prétendu. Il était bien plus que ça. Selon la police de New York, il était responsable de la mort d'une centaine de personnes, un serial killer insaisissable. Une onde de choc le traversa. Il se sentait trahi, manipulé, mais surtout terrifié. Comment avait-il pu être si proche d'une telle noirceur sans jamais s'en rendre compte ? Patrick réalisa alors que même ceux que l'on pense connaître le mieux peuvent dissimuler les aspects les plus sombres de leur nature. La bière devint fade dans sa bouche, le journal glissa de ses mains tremblantes. Il ne pouvait s'empêcher de se demander ce qui aurait pu arriver s'il n'avait pas décidé de quitter l'appartement de Josh, s'il n'était pas parti à temps. Alors qu'il se levait pour partir, Patrick se rendit compte que cette découverte changerait à jamais sa perception du monde. Il savait maintenant que la noirceur pouvait se cacher derrière les visages les plus innocents, que les vérités les plus sombres pouvaient se dissimuler dans les endroits les plus inattendus. Et, plus que jamais, il comprit qu'on ne connaissait jamais vraiment les gens.
© Fabrice Balester, 2024. Tous droits réservés.

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