Michael Angelo Hammer n’était pas venu à Paris pour se mêler de politique internationale.
À cinquante ans, ses voyages avaient perdu l’allure de cavalcades : cette fois, il s’était offert une villégiature. Un hôtel discret, à deux pas de la Seine, loin du tumulte new-yorkais. Le matin, il s’entraînait dans la petite salle de sport du sous-sol, reprenant ses séries de musculation qu’il ne lâchait jamais. Le reste du temps, il déambulait dans les rues, veste de cuir noir sur un simple T-shirt, l’œil émeraude à l’affût comme toujours.
Ce soir-là, installé dans le bar de l’hôtel, il regardait distraitement les images des chaînes d’info. L’Ukraine en flammes. Les discours des chancelleries. La guerre, implacable, traversait les écrans comme une marée. Hammer soupira, avala une gorgée de bourbon et s’alluma une cigarette, rare écart, mais les nouvelles lui donnaient parfois des envies de nicotine.
Un homme s’approcha. Grand, mince, costume parfaitement ajusté, démarche assurée : Étienne Durand, diplomate français et vieil ami rencontré autrefois lors d’un colloque à Washington. Ils s’étaient perdus de vue. Les retrouvailles furent chaleureuses. Autour d’un verre, Durand évoqua la tension palpable dans les couloirs du Quai d’Orsay, les réunions à huis clos, les équilibres fragiles.
Puis, comme pour s’évader, il proposa :
— Viens demain soir, Michael. Il y a un match amical France - Ukraine au Stade de France. Ce sera… différent de ce qu’on voit à la télé.
Hammer accepta. Pas tant pour le football que pour l’amitié, et peut-être aussi pour jauger cette drôle de diplomatie par le sport.
Le lendemain, devant le stade illuminé, la foule vibrait. Mais entre deux groupes de supporters, quatre silhouettes se faufilèrent. Pas des passionnés de ballon rond : des types nerveux, armés de battes. Hammer les vit arriver avant même que Durand ne tourne la tête. Les poings se serrèrent, les épaules se contractèrent. En quelques secondes, le New-Yorkais fut à l’œuvre. Un direct du droit, un crochet, une clé de bras : les petites frappes mordirent la poussière du trottoir sans comprendre.
Durand, un peu blême, souffla :
— Toujours aussi efficace…
Hammer haussa les épaules, remit sa veste en cuir et répondit calmement :
— On dirait que la guerre déborde de tous les terrains, Étienne. Même ici.
Ils pénétrèrent dans le stade, la clameur du public les enveloppant. Hammer observa les drapeaux bleu et jaune mêlés aux tricolores français. Dans ce tumulte de chants et de couleurs, il perçut l’écho d’un monde en fièvre, où chaque terrain de jeu devenait une arène politique.
Michael Angelo Hammer observait le monde comme on scrute une cicatrice mal refermée. Cent années plus tôt, le vingtième siècle s’était ouvert sur des promesses grandioses : le progrès, la démocratie, la science au service des peuples. Tout laissait croire que l’humanité allait franchir un seuil vers un avenir lumineux. Mais la guerre s’en mêla, brutale, absurde, dévorant des générations entières et réduisant ces promesses en cendres. Il savait que le passé ne disparaît jamais vraiment. Il laisse des traces, des avertissements. Pour lui, il n’y avait rien de plus insensé que de reproduire les erreurs qui avaient transformé le siècle dernier en champ de ruines. La guerre n’apporte jamais de victoire durable, seulement des pertes, des fractures et des regrets. Pourtant, Hammer n’était pas un pessimiste. Il croyait que le vingt-et-unième siècle pouvait encore écrire une autre histoire. Rien n’était joué. Il restait du temps pour que la volonté des hommes s’affirme dans le sens de la paix. Tant que cette flamme brûlait, même fragile, il choisissait d’y croire.
© 2025 Fabrice Balester
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