Collins a eu ce privilège que je n’aurai jamais : celui de connaître Spillane, de parler avec lui, de le voir écrire. Il en est même devenu le légataire littéraire, reprenant les manuscrits inachevés du maître pour leur donner une fin digne de ce nom. Son pastiche – car c’en est un au sens noble – "Le journal du parrain", publié il y a déjà dix ans, sonnait comme une partition fidèle, presque hantée par le fantôme bienveillant de Spillane. Il avait su capter le rythme, la fureur et cette noirceur poisseuse propre à l’univers de Hammer. Il n’imite pas Spillane, il le continue.
Moi, je suis arrivé plus tard. Je suis un enfant de ses lectures, pas de sa personne. Je n’ai pas repris Mike Hammer, je n’aurais pas osé. Mais j’ai imaginé Michael Angelo Hammer, un détective qui porte son nom comme une cicatrice et qui avance dans un monde tout aussi désabusé. Il est son cousin spirituel, peut-être un peu plus introspectif, mais il cogne encore. Il a ses doutes, ses failles, et une violence contenue qui cherche à s’exprimer sans jamais déborder. Aujourd’hui, avec la parution de "Hammer", mon recueil de nouvelles, je sens le besoin de dire ce que je dois à ces deux hommes. Ce recueil est un hommage, oui, mais aussi une réinvention. Michael Angelo n’est pas une copie, c’est une variation. Il vit dans une époque différente, mais avec cette même hargne chevillée au corps. J’ai voulu explorer ce que cela signifie d’hériter d’un héros. Pas au sens éditorial, comme Collins l’a fait avec une authenticité admirable, mais au sens émotionnel. Que reste-t-il de Hammer quand on le rêve, quand on le modèle à son image, quand on l’aime sans l’avoir jamais rencontré ?
Je ne peux pas m’empêcher de penser que Spillane aurait peut-être souri en lisant "Hammer", peut-être pas. Mais je sais que Collins comprendra. Nous sommes deux écrivains séparés par un océan et une génération, unis par une silhouette en trench coat qui fume dans l’ombre et parle avec son poing. Lui a prolongé la voix du maître ; moi, j’essaie d’en faire résonner l’écho dans une autre ruelle.
Et si, au détour d’une page, on croit entendre les pas lourds de Mike Hammer, alors je me dis que le pari n’était pas vain.

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