Les rayons fatigués du soleil d'octobre traversaient à peine les stores poussiéreux de la pièce, accentuant l’atmosphère lourde et désuète du lieu. Sur le bureau, une machine à écrire ancienne côtoyait un Notebook flambant neuf, un signe du mélange entre passé et modernité qui définissait Hammer lui-même. Michael Angelo Hammer, cinquante ans bien portés, était un homme qu’on ne pouvait ignorer. Ses épaules larges et sa stature athlétique imposaient le respect. Son visage, marqué par des années d’enquêtes difficiles, gardait une allure de jeunesse grâce à ses yeux émeraude, perçants comme ceux d’un félin, et un sourire irrésistible qui lui attirait bien des faveurs. Lointain cousin du célèbre Mike Hammer, détective à la gâchette facile, Michael avait suivi une voie similaire, bien que ses méthodes soient plus subtiles, son approche plus réfléchie. Il aimait dire que l’intelligence était sa première arme, mais la vérité, c’est que son poing n’était jamais loin de s’abattre si nécessaire. Il éteignit sa cigarette en la broyant dans le cendrier trop plein et regarda la montre en argent autour de son poignet : huit heures trente. Stella n’allait pas tarder. Elle était toujours ponctuelle, un modèle d’efficacité dans un monde de chaos. Stella, sa secrétaire depuis plusieurs années, était bien plus qu’une simple assistante. Son instinct et son sens de la débrouillardise avaient sauvé la peau de Michael plus d’une fois. Avec ses cheveux châtain clair noués en un chignon impeccable et son look toujours soigné, elle faisait penser à une héroïne des années cinquante, mais ses répliques cinglantes étaient on ne peut plus contemporaines. La porte du bureau s’ouvrit avec son grincement habituel, et Stella apparut, un dossier en main.
— Salut, Mike. J’ai un truc pour toi. Du sérieux cette fois, dit-elle d’un ton neutre mais avec une lueur dans les yeux. Pas de mari infidèle ni de chat disparu.
— J’espère bien, Stella. J’ai besoin d’action, sinon je vais finir par rouiller, répondit Michael en se levant, ses muscles encore tendus de la séance de boxe matinale.
Elle posa le dossier devant lui, et il lut en silence. C’était une lettre anonyme, composée de mots découpés dans des journaux, comme dans un vieux film policier. Mais ce qui était inscrit dessus n’avait rien de vieux jeu.
Nous avons une bombe. Le temps de New York est compté. Ce soir à minuit, Manhattan sera en ruines. Faites vos prières, Hammer, car c’est vous qui aurez la ville sur la conscience si vous échouez.
Michael leva les yeux vers Stella.
— Une blague de mauvais goût ?
— J’aimerais bien. Mais ce matin, le maire a reçu la même lettre, et il a contacté la police. Ils t’ont nommé responsable de l’affaire. Il semble que les gars du FBI aient entendu parler de ta réputation.
Michael soupira et passa une main dans ses cheveux, réfléchissant rapidement. Ce genre de menace terroriste n’était pas nouveau, mais il avait rarement été personnellement visé. C’était un avertissement direct, et ces types semblaient savoir à qui ils avaient affaire.
— Qu’est-ce qu’on a d’autre ?
Stella sortit une photo du dossier, représentant un homme d’une quarantaine d’années, habillé comme un cadre, avec un visage dur et anguleux.
— Lui, c’est John Dury, ancien militaire et maintenant à la tête d’un groupe anarchiste extrémiste. Il est soupçonné d’être derrière plusieurs attentats manqués en Europe, mais les autorités n’ont jamais pu le coincer. Il a disparu il y a quelques mois… et les rumeurs disent qu’il est à New York.
— Dury… Ça sonne comme un nom de type qui veut détruire une ville... Ils ont des pistes?
— Rien de concret. Le NYPD est sur les dents, mais personne n’a vu Dury ou ses complices. Et vu qu’ils ne donnent aucun indice sur l’endroit où est planquée la bombe, ils comptent sur toi pour sauver la situation.
Michael attrapa sa veste en cuir noir et laissa échapper un grognement.
— Très bien. Je suppose que je n’ai pas le choix. Appelle mes contacts à la police, dis-leur que je veux les plans des sous-sols de la ville et des tunnels. Si ces types ont une bombe, ils l’ont probablement planquée dans un endroit où personne ne regardera. Stella hocha la tête, et il lui fit un signe avant de sortir du bureau. Il sentait que cette affaire allait être compliquée. Mais c’était ce genre de défi qui le faisait se sentir vivant. Chaque fois qu'il pensait à Manhattan, à ses millions d'âmes, à cette ville qu'il aimait et détestait en même temps, il savait qu'il ferait tout pour la protéger.
*
La journée s’était étirée, longue et pleine d’allers-retours avec ses contacts au NYPD, des réunions informelles dans des bars sombres et des appels cryptés à ses anciens camarades du FBI. Mais aucun d’eux n’avait pu lui fournir de piste tangible. John Dury était un fantôme. Chaque heure qui passait rapprochait New York de sa destruction. Il était déjà 18 heures quand Michael rentra dans son bureau, la frustration dessinée sur son visage. Mais à peine avait-il refermé la porte que Stella surgit de derrière son propre bureau, un large sourire aux lèvres.
— Mike, j’ai peut-être trouvé quelque chose.
— T’as intérêt, Stella. Je commence à croire que ces types sont des génies du mal.
Elle lui montra son ordinateur portable, et Michael se pencha pour lire. Sur l’écran, une carte détaillée des souterrains de New York. Une zone industrielle désaffectée dans les bas-fonds de Manhattan était indiquée.
— Un ancien dépôt militaire en partie sous-terrain, abandonné depuis les années 80. Pas loin de Wall Street, mais ou personne ne s'aventure jamais. Si j’étais un taré avec une bombe, c’est là que je la mettrais.
— Tu es incroyable, Stella, dit-il en lui adressant un regard plein de gratitude. Préviens les flics, et reste ici. Si quelque chose tourne mal, je veux que tu sois en sécurité.
— Tu plaisantes ? Je viens avec toi, Michael. Tu auras besoin de quelqu’un pour couvrir tes arrières, et qui mieux que moi ?
Michael haussa un sourcil. Stella n’avait jamais été du genre à se laisser intimider, et il savait qu’il n’arriverait pas à la faire changer d’avis. Il prit son revolver dans le tiroir du bureau et le glissa dans son holster.
— Très bien, mais tu restes derrière moi. C’est compris ?
Stella acquiesça avec un sourire malin, et ils quittèrent le bureau ensemble.
*
La nuit était tombée sur Manhattan, une nuit où l’air était si froid qu’il semblait mordre la peau. Ils arrivèrent au dépôt désaffecté. Les lieux étaient lugubres, plongés dans une obscurité presque totale. Seuls quelques rayons de lumière de la pleine lune traversaient les fenêtres brisées et révélaient l’étendue du désastre industriel. Michael entra, le cœur battant. Ses sens étaient en alerte maximale. Une intuition lui disait que Dury et sa bande étaient ici, quelque part dans ce labyrinthe de métal rouillé et de béton craquelé. Soudain, un bruit de pas résonna dans le silence. Michael fit signe à Stella de rester en retrait et avança prudemment. Une silhouette émergea de l’ombre. C'était John Dury et il était seul.
L’homme avait l’air encore plus menaçant en personne. Son regard était froid, calculateur, et il tenait un détonateur dans la main.
— Hammer, je savais que tu viendrais, ricana Dury. Mais il est trop tard. Dans dix minutes, New York sera de l’histoire ancienne.
— Pas si je t’arrête d’abord, répondit Michael en levant son revolver.
Leurs regards s’affrontèrent, deux volontés prêtes à tout pour l’emporter. L’adrénaline parcourait les veines de Michael. C’était un combat de nerfs autant que de muscles.
Il n’avait pas dix minutes. Il avait dix secondes.
D’un geste rapide, Hammer tira. La balle frappa John Dury à l’épaule, faisant voler le détonateur dans les airs. Avant que Dury ne puisse réagir, Michael était sur lui, le plaquant au sol.
— Fin de la partie, grogna Michael en retenant Dury au sol.
Les sirènes de la police retentirent au loin. New York était sauvé.
*
À l'aube, Michael Angelo Hammer se tenait sur le toit de son immeuble, regardant la ville se réveiller lentement. Les gratte-ciels semblaient se dresser fièrement, comme pour le remercier de les avoir protégés, une fois de plus. Stella le rejoignit, une tasse de café à la main.
— Pas mal pour un gars de cinquante ans, non ? lança-t-elle en souriant.
Michael leva sa tasse en guise de toast, un sourire en coin.
— Et ce n'est qu’un début !
***
Michael Angelo Hammer par Michael Angelo Hammer
« Je suis Michael Angelo Hammer, et je sais ce que vous pensez : encore un Hammer, comme si la lignée n'était pas déjà assez bien remplie de détectives. Oui, je suis un lointain cousin du célèbre Mike Hammer. La légende veut que Mike, avec son tempérament explosif et sa propension à résoudre les affaires avec ses poings, ait laissé sa marque indélébile dans le monde des détectives privés. J'admets que la ressemblance est là, mais si vous grattez un peu sous la surface, vous verrez que je suis différent.
Contrairement à mon célèbre cousin, je n'ai pas toujours recours à la violence. Mike était, disons... radical. Un pur produit de son époque, sans compromis, sans demi-mesure. Un bulldozer dans une ruelle sombre. Moi, je préfère réfléchir avant de frapper. Je n'ai rien contre les coups de poing quand la situation l'exige — après tout, un Hammer reste un Hammer — mais j'ai appris avec le temps que parfois, le meilleur coup qu'on puisse porter, c'est un bon mot bien placé, ou une question astucieusement posée.
Peut-être que cela vient de Stacy Keach, l'acteur qui a donné un autre visage à Mike Hammer à la télévision, celui d'un homme plus en retenue, avec un sens de la justice plus nuancé. Ce Mike Hammer-là me parlait davantage. Il savait se battre, oui, mais il savait aussi écouter. Et c'est cette version-là qui a influencé ma façon de voir les choses.
Je m'efforce de garder les portes ouvertes. Mes relations avec les autres comptent. Parce que, contrairement à Mike, je crois que les gens peuvent changer. J'accorde le bénéfice du doute. Je suis prêt à tendre la main plutôt qu'à la fermer en poing. Cela ne veut pas dire que je suis un tendre — si vous me cherchez des ennuis, vous les trouverez — mais disons que je me donne la possibilité d'explorer d'autres chemins avant de sortir les gros moyens.
Le métier de détective, c'est avant tout une affaire de finesse, de patience. Et puis, un bon whisky aide toujours à faire passer la pilule amère d'une journée compliquée. Mais vous savez ce que j'aime dans ce travail ? Ce n'est pas seulement démasquer les criminels. C'est la quête de vérité. Chaque cas est un puzzle, une énigme, et parfois, pour trouver la pièce manquante, il faut savoir rester calme quand tout s'effondre autour de soi.
Alors oui, je suis un Hammer. Mais je suis aussi et surtout Michael Angelo Hammer, un détective qui sait que la violence ne résout pas toujours tout, même si parfois elle est la seule réponse. À la fin de la journée, je fais ce qu'il faut pour que justice soit rendue, mais je le fais à ma manière. Et si vous vous demandez pourquoi je m'appelle "Michael Angelo", non, ce n'est pas parce que je suis un artiste, c’est juste un petit clin d’œil à ma mère qui aimait bien les grands peintres italiens et qui elle-même avait des origines toscanes. Mais ne vous méprenez pas, dans ma profession, je ne fais jamais dans le baroque ».
© 2024 Fabrice Balester

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