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Billet de blog 12 mai 2017

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Longue vie au Colonel Macron

Comment décrire ce qui se passe en France depuis le soir du 23 avril 2017 ? Et expliquer à mes amis maliens ce que je ressens, à eux qui, en pleine guerre, se passionnent de loin pour le scrutin français comme s'il était un authentique scrutin démocratique ? Article paru au journal Les Echos, Bamako, Mali.

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Mes amis de Bamako ! Depuis le temps que je voulais vous écrire, j'en profite pour vous donner des nouvelles de nos élections.

Ah, au risque de vous décevoir, je vous dirai que ce n'est pas brillant. Les indices n'ont pas manqué, de l'arrivée sinistre et fanfaronesque de l'indignité. Il y a eu d'abord ce soir du premier tour, où nous contemplâmes le résultat dès 20 heures, alors que des centaines de milliers d'irrégularités remontaient des bureaux de vote partout sur le territoire. A côté de chez moi un type s'était enfui avec les urnes : mais bon, c'était plié. Stupéfaits, nous contemplâmes une soirée électorale qui ne donna lieu à aucun chiffre en province, aucun reportage dans les grandes villes. Rien. Rien que des plateaux télé parisiens bondés de journalistes réconfortés (l'on avait craint fortement le bolchevico-trotskyste Mélenchon et ses Insoumis, et on les évitait à 600 000 voix près ô miracle !) affûtaient leur muscles. Ils s'exerçaient à leur exercice favori pour les quinze jours à venir : déclarer Macron déjà élu, et hystériser le fait qu'il puisse (sur de très faibles probabilités) ne point l'être. Une, deux, une… !! Rompez !

L'ombre du Colonel s'allongeait déjà sur nos consciences frémissantes et stupéfaites. Nous voyions se dérouler sous nos yeux, nous français, nous fils et filles d'un des plus respectées « démocraties » au monde, une pantalonnade en bonne et due forme, célébrée par des journalistes hilares, bronzés, bref décontractés.

Les journalistes devaient quand même ne pas être trop bien non plus, me suis-je dit ensuite, car ils disaient le monde entier regarde la France. La France c'est en population deux villes chinoises. Elle n'intéresse plus personne à part pour les vacances ou pour travailler dans la restauration et le bâtiment. Il faudrait qu'ils arrêtent de rêver, ces petits parisiens-là..

Les jours suivants (entre les deux tours, donc), sur l'une de mes places chéries à Marseille, je tombai nez à nez avec deux portraits géants du Président-pas-encore-élu (mais qui en fait l'était déjà). Titre : « Macron, Seul face à l'histoire ». Photo du Héraut de la Finance, sévère et, d'avance, aussi castrateur que pragmatique. Autre panneau géant, mitoyen : « Macron dossier spécial 54 pages » (54!!). Macron, en trois mètres sur quatre, partout. Macron et sa mère : « Elle nous révèle qu'il garde son calme devant les femmes ». Macron et sa femme : « Comment il m'a séduite lors de ses 16 ans, alors que je ne le voulais pas » (d'abord, mais ensuite… !!). Macron séducteur précoce, Macron un type en or… Macron par ci, Macron par là...

Résultat : Il vint, Il est là, Il est né celui que, en grand lecteur de Tintin, j'appellerai désormais Le Colonel Macron. Emmanuel Macron, puisque vous êtes élu si bellement, jusqu'à la fin de mes jours, pas une fois je ne vous appellerai autrement. Oui, souffrez que pour moi vous soyez et restiez Le Colonel Macron. Un peu mon Général Alcazar à moi, quoi. Ou, moins drôle, mon Colonel Sponsz.... Ma part d'enfance, que vous portez si bien sur votre visage angélique, renaît par vous, en vous. Et en tant qu'auteur aussi siphonné qu'éruptif, je m'octroie le privilège de vous faire monter en grade ! J'en fais le serment ici même sur cet espace étrange, dématérialisé, d'un web tolérant « de gauche » qualifié « d'extrême gauche » par ceux qui sont, franchement, de droite. Sur l'excellent Médiapart (ta part de médias, ta petite part de tarte de médias), clamons-le :

Bienvenue et longue vie à notre Chef hautement philosophicque, tolérant et bien-aimé ! Bienvenue au Colonel Macron.

Je vois au passage sur un plateau télé le soir de votre Sacre, Colonel, passer Dominique de Villepin, vieux Général-avocat d'affaires-maintenant saluer votre succès. Ce succès, il en a rêvé. Il lui a été, à lui, refusé. Villepin, ambitieux présidentiel comme le Colonel Macron (mais contempteur de Bush !), Villepin auquel on reprochait à l'époque de « ne pas être élu ». Les temps changent. Stratégie oblige ; un Colonel est aujourd'hui le Bienvenu. Bienvenue Colonel, et que vivent vos lunettes noires qui me rappellent Sarkozy !

Ce soir du Sacre vous apparûtes, Colonel, nimbé de Présidentielle Lumière, filmé en contre-plongée de mitterrandiennes pyramides. Vous marchiez et parliez lentement, comme drogué soudain à votre Divine Fonction. Vous étiez l'Onction, point final et dérisoire du mitterrandisme ; un sphynx intérimaire en attente de licenciement. Comme nous tous, car vous êtes nous et nous représentez à merveille. C'est ce qu'il faut retenir de ce cirque, non ?

Mes amis maliens, vous me répondez de Bamako en bambaras futés et un brin sarcastiques. C'est bien votre droit. Vous me dites, « mais Fabrice, donnons-lui le bénéfice du doute au Colonel, il est ami de Bolloré, il va nous aider à émerger ». Eh eh, bamakokaw u ka kegun ! J'entends vos grands éclats de rire, de votre humour africain si politique. De votre humour bambara ; bambara, alias bamanan, qui signifie insoumis. Vous me faites du bien, ah, ce rire inégalable, cet esprit sarcastique des africains, seule arme contre l'oppression !! Comme je le comprends, ce jour ! Enfin !

Car je me sens bien seul. Beaucoup de mes amis français sont des gens qui ne veulent pas s'intéresser aux sales dessous de la politique. A ce qu'il y a derrière les images (par exemple le coup d'état qui vient d'avoir lieu au Brésil, avec la destitution de Dilma Rousseff). Ils ne s'intéressent pas au drames politiques savamment orchestrés du moment. Cela leur fait peur. Ils parlent volontiers de Théorie du Complot, de paranoïa. Je les comprends. Ils aiment croire au vote. En sont même fanatiques, eux qui voient du fanatisme partout. On ne peut leur en vouloir, ni même se sentir fier de ne pas y croire, à ce fameux vote. On a bien dégagé Sarko avec avant qu'il ne foute le feu partout, alors… Peut-être ne connaissent-ils pas non plus la Stratégie du Choc (N.Klein), qui vise à pétrifier une société par la violence de ses privatisations et… les coups d'État éventuels qui aident à les mettre en œuvre. Ils n'ont pas compris, et ne veulent pas voir que nous en sommes arrivés là.

Quand je vois l'incroyable déferlement d'articles et de propos, d'émissions et de commentaires pro-Vous-Même, Colonel Macron, je pense évidemment au ridicule de la propagande soviétique. Et je me marre comme une baleine. On m'a tant appris à repérer ce ridicule à l'école française d'autrefois ! Vous savez, celle que vous avez promis de redonner aux modestes, ce que vous ne ferez pas bien sûr. Car, comme je suis un auteur fou, tournecul et alambiqué, friand de calembredaines, un peu agité du bulbe, allez savoir pourquoi en vous voyant... Eh bien, je pense à tous ces chefs d'État qui ont mis en coupe réglée l'Amérique latine dans les années 1990. Ceux-là avaient les allures et les pratiques d'un Colonel Macron. Les Fernando Collor, Carlos Menem et consorts, experts en peopolisation du politique, en exaltation du mode de vie des ultra-riches, achats de Ferrari, goûts pour les costumes… mépris pour ceux qui ne s'en sortent pas… Ceux que votre guide subtil, l'estimé François Hollande, appelait les Sans-dents. Oh, oui, oui, je sais… ils n'avaient pas des uniformes de Colonel. Hollande non plus. Vous non plus. Et comme on est en France, on admirera les robes Vuitton de Mme la Colonelle Macron, et le Colonel-Vous-Même ne s'achètera (pas encore?) de Ferrari.

Alors, on va dire que j'exagère un peu. Pas grave. M'en fiche. Et puis je ne prends pour ainsi dire pas de risques. Tout le monde aura compris que vos armes, Colonel, ne sont pas plus féroces que celles de Carlos Menem, qui n'était lui-même qu'un avatar lissé et financiarisé de Pinochet et consorts. On a appris, depuis cinquante ans, à faire propre. A tuer l'esprit critique par les journaux subtilement mis aux pas, et à promouvoir les chaînes dénuées d'honnêteté éditoriale. On multiplie désormais les silences et pendaisons médiatiques, plutôt que les pendaisons dans les stades. Cela coûte moins cher, et est bien plus amusant. Exalter la sottise et le goût du lucre dans des émissions d'une stupidité atroce, déversées à longueur de journée sur les antennes crée des emplois, et surtout, casse le langage. Et le langage est primordial à casser. Car il est le terreau de l'esprit critique. On n'a ainsi plus besoin de détenir et de torturer les gens intelligents ou les contestataires. On peut les laisser errer à demi-fous, comme l'auteur cinglé-timbré-joyeux que je suis, ou les enfermer dans les 15 000 places de prison que le Colonel Macron Moi-Même EM nous a promises dans son programme. Vivement Colonel-Prison !

Oui, je sais, j'exagère, nous sommes en démocratie centriste type Pompidou, etc. En tous cas, vous le langage , vous en faites votre part, Colonel. Une belle part de manipulation experte. Et vous en parlez même plusieurs. Un langage pour votre milieu social financiaro-politique. Un pour vos électeurs… un sur les plateaux difficiles type Médiapart. D'autres encore, sans doute.

C'est incroyable ! Les médias amoureux de Vous-Colonel Macron sont si puissants qu'ils sont parvenus à infiltrer mon monde. Des amis m'écrivent ainsi, hallucinés, que la Colonelle est belle. Qu'ils aimeraient que son couple réussisse, que le Colonel ne la trahisse pas. Si, si, ça les intéresse ; des contingents entiers d'êtres estimés basculent autour de moi dans la soumission volontaire et la sottise. Ils se demandent d'un Colonel qui a déjà donné 40 milliards aux entreprises privées et divisé par deux les crédits de la formation permanente lorsqu'il était ministre, d'un Colonel qui va faire passer en force des lois sur le travail qui vont mettre la France à terre, oui, ils se demandent... s'il est hétéro ou homosexuel ! Ou s'il est gentil ou méchant ! Ils admirent sa beauté !

Alors là, ils ont perdu la boule.

Les médias fadas du Grand Colonel ont mis le paquet, les gars. On a su qu'il était intelligent de longue date et premier-de-la-classe-éternel. On a mis en avant son goût pour la philosophie. Sa famille recomposée se porte à merveille, sait-on, et on sait aussi les paroles de chacun des enfants éveillés et équilibrés-forcément qui la composent. Bon, les médias du Colonel ne laissent pas filtrer les photos de l'époque dans laquelle celui-ci était banquier. Les médias du Colonel glosent plutôt sur son self-control, et son goût raffiné pour les cravates. Nous savons déjà qu'il aime à les ranger par couleurs, puisqu'il est un homme organisé (constatation de l'ancien Président de la République Hollande en visite dans les appartements de Bercy et ouvrant le placard de son ministre ; que faisait-il là ? Nous ne le saurons pas, mais haletons). Mes amis de Bamako, vous qui déplorez l'immixtion permanente du religieux dans le débat public, vous qui avez l'armée française sur votre sol et un Etat agonisant, sachez que nous oublions votre guerre. Et que nous pensons aux cravates du Colonel. Et à ce que la mère du Colonel pense de sa sexualité. Plus rien n'est ridicule, tout se vaut, plus rien ne dit rien, tout est anecdote devant le Colonel, sauf le Colonel Macron Lui-Même. Même votre guerre, mes amis, même votre guerre. Hé oui, démerdez-vous maintenant avec Amadou Kouffa et Iyad-agh-Ghali. Nous on n'a pas que ça à faire. On a de vrais soucis !

Car c'est l'ère du Colonel. Une ère de finance totale. Mais ce totalitarisme est nouveau, différent des précédents. Fabrice, tu n'as pas le droit d'employer ce mot, me dit-on. Mais si ! Précisons : Ses dirigeants eux-mêmes, à ce totalitarisme qui démonétise tout ce qui ne le touche pas, sont pris dans la valse des images. Car c'est un totalitarisme productiviste. Et ici, c'est l'enfer : même les images produisent. Elles produisent des emplois pour filmer et hagiographient des héros imberbes et sans moustaches. Une ère qui croit que cinq mille personnes réunies au Louvre devant un show grotesque et indigent masquent la nullité d'élections vassalisées par la finance. Ce soir là, Colonel, dans toute la France les rues étaient vides.

C'est l'ère des scoops ; on nous dit ainsi que la gratuité de la chaîne de droite LCI survenue la veille (5 avril 2016) du lancement d'En-Marche-Colonel (6 avril 2016), est un hasard. Soit. On rigole.

Une ère dans laquelle une partie dite « éduquée » de la population est soulagée d'avoir pour un petit temps encore évité le nazisme, pendant que des ouvriers désespérés se suicident. Menacent chaque mois de faire sauter leur usine. Après GM&S qui fournit Renault et PSA en pièces détachées. Après les ouvrier(e)s de Whirlpool-Amiens, visité(e)s par le Colonel Macron entre les deux tours de la campagne, une autre usine menacée… et tout le pays est ainsi. Déglingué. Et après les lois que le Colonel Macron promulguera pendant l'été (l'investissement des grands capitalistes l'exige, vous rigolez ou quoi il va falloir qu'il bosse ce petit président-là ?), pas mal attendent leur tour.

Mes amis bamakois, vous buvez le thé au grin, ce soir, sans moi. Gredins ! Vous discutez passionnément du Colonel Macron. Celui-ci a dit dans son discours de victoire qu'il protégerait chacun d'entre nous. On imagine ce qu'il entendait par là. On est rassurés, rigolez-vous, vous qui êtes vaccinés de toute crédulité envers vos dirigeants. Depuis que vous avez vécu ce que nous vivons, la pulvérisation des classes moyennes. La nullification des services publics. La satellisation du vivre-ensemble, jeté dans les bras des religieux et des fanatiques et des désespérés.

Mes amis, gardez-moi du bon thé malien bien sucré. Celui qui vous manque atrocement quand vous vous exilez pour construire nos immeubles-que-nous-ne-voulons-plus-construire-nous-mêmes. Et à bientôt ; là, tout de suite, je regarde une série sur l'enfance du Colonel. Je connais tout déjà, mais cela passe le temps. Et puis, cela calme l'angoisse. Occupez-vous bien de nos militaires français, et de vous, car la situation va empirer comme toujours, pour aller vers le mieux ensuite. Au fait, le Colonel, qui a défilé en command-car hier pour son investiture, sera à Bamako la semaine prochaine pour rouler ses gros muscles anti-barbus. Vous me raconterez ?

Amitiés

fab

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