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Billet de blog 28 août 2019

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Incidents en marge du G7, l'opinion fabriquée. Témoignage de gardé à vue

Arrêté et mis en garde à vue comme des dizaines de manifestants lors du G7 2019, dans des conditions montrées sur la vidéo ci-dessous de Léo Tix, je témoigne des faits tels que je les ai vus lors de mon arrestation. Et les compare pour édification avec la narration faite par la presse officielle, en l'occurrence un article du Point.

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Illustration 1
La marche contre G7 à Urrugne le 23 août 2019
Vidéo de l'écartement de la presse après l'interpellation de sept manifestants, corniche d'Urrugne, 23 aout 2019 © Leo Tix

Toujours laisse aux couilles une amorce

Qui son cul sale de papier torche.

Rabelais

Je suis dans un fossé, plaqué par le genou d’un voltigeur à moto. La police éloigne la presse, me voilà maîtrisé… Suis-je en Russie ? A Hong-Kong ? Au Congo ? Malheur à moi, je me suis promené en France (ou en pays basque occupé, chacun appréciera) ! Promené dans une zone interdite à la manifestation, zone qui, grâce à la police française, depuis des mois, correspond au territoire national dans son entier. Partout faut faire gaffe ! Sauf que là (aïe le genou !) il y a le G7 ; j’avais pensé et lu que le sujet de ce G7 était tout ronflant de soucis humanistes, des inégalités, du climat, etc. Donc, j’imaginais qu’étant proche des valeurs de notre président Macron, je pouvais me promener librement sur la côte Basque, afin de m’associer à son génie climatique.

Mais j’ai dû mal comprendre… Me voilà au sol, comme six autres manifestants d’un cortège de deux cents personnes qui n’ont pas eu de chance. Je me retrouve à côté de citoyens tout sanglants, avec un hélicoptère qui tourne au-dessus de nous, et dix flics cuirassés par manifestant, à trente kilomètres de la zone interdite du G7.  Allô l’ONU ? A côté de moi, un pacifique chercheur de l’INRA, myope, ayant perdu ses lunettes en fuyant l’assaut de la police, le crâne entaillé par un coup de matraque, s’entend dire par un flic ricanant que « tes lunettes, on n’en a rien à foutre ». Une jeune femme, les menottes trop serrées, effondrée dans l'herbe, grimace de douleur. Le voltigeur qui me plaque au sol, lui, a l’air plutôt ennuyé de faire partie d’un dispositif aussi honteux. Tout de même, on a sa dignité. Nous convenons d’un regard que chacun de nous deux fera son boulot sans taches : moi d’assistant bénévole tous risques Mediapart, et lui de salarié de l’oligarchie. Le flic et moi contemplons la mer en faisant semblant de travailler.  C’est un beau jour pour être interpellé et foutu au trou, et quand même mieux qu’une matraque dans le cul en Seine-Saint-Denis. Remarquez que je suis blanc, ce qui en France, dans ce genre de situations, a son importance. 

Si vous lisez la narration de cette histoire dans Le Point sous la plume d’un vrai journaliste, M. Zemouri, vous aurez un compte-rendu des faits précédant mon arrestation. C’est ici : https://www.lepoint.fr/societe/enquete-ouverte-suite-au-lynchage-de-2-policiers-par-des-anti-g7--27-08-2019-2331994_23.php. L’article de M.Zemouri, donc, reprend mot pour mot les propos de Samuel Vuelta Simon, procureur de Bayonne. Ce dernier, le procureur Vuelta, ayant été opportunément décoré deux mois avant la tenue du G7 (https://www.sudouest.fr/2019/06/05/pays-basque-le-procureur-de-bayonne-samuel-vuelta-simon-fait-officier-de-la-legion-d-honneur-6172047-4018.php). Selon M.Zemouri -donc, en toute logique, selon M.Vuelta, puisque les autorités semblent désormais habiter ces journaux, auxquels le Gargantua de Rabelais, pour torcheculs, préférait à raison les oisons- l’on aurait un document vidéo (pris d’hélicoptère) montrant le « lynchage » de deux motards de la Police par la manifestation dont je faisais partie. Ce qui est donc dit par M.Vuelta, et repris par M.Zemouri, enquêteur tenace et scrupuleux (je le dis sans malice : quelqu’un l’aurait-il aperçu sur place ?), c’est que deux motards de la police qui sortaient de leur camping ont été pris à partie par des manifestants en furie. Toute la sémantique bourgeoise de bon ton sur les classes dangereuses est là au rendez-vous ; passons, préférons les oisons.

Cette présentation des faits, pour rigoureuse qu’elle soit, laisse songeur. Non ? Alors, comme j’étais là, interpellé à la suite de cet incident, embastillé abusivement 48 heures (les terroristes rôdent !), et lavé aujourd’hui de tout soupçon de régicide ou d’autre foutaise par intention, je vais te dire, lecteur, ce que j’ai vu de cette manifestation « sauvage » du Contre-G7. Je m’y trouvais, c’est dingue, c’est fou ! Par simple désir d’exercer ma liberté de manifester. Ne me parle pas de « démocratie », de « pluralisme », de « vote », etc etc : juste essaye, je te dis. Essaye. Fais cela en France, de manifester ce que tu as dans le cœur. Tu vas voir ce que cela fait. Déclenche. Occasionne. Non ! Je ne te parle pas de voter. Pour cela oh ! On t’aide, ils te conduiront à l’isoloir par la main s’il le faut, en cercueil, en fourgon de police, ou en faisant des lois pour te punir. Non ; je te parle de manifester. Les gens des syndicats te le diront : pour que ça soit bien fait, il faut marcher sur les trottoirs, dans les petites rues, là où ça ne sert à rien. Sinon, pour une vraie manifestation -comme pour une vraie presse- beaucoup d’entre nous ont déjà compris, et renoncé, qui m’ont déjà avoué avoir peur d’exercer leurs droits dans notre beau pays. Ceux-là sont silencieux. Ils ont comme disparu. En France on a peur ; nous restent les torcheculs. En dernier ressort, je dis ce que je sais de français à l’ONU, qui veut savoir ce qui se passe en France et apparemment n’y arrive pas. Et une bouteille à la mer ! Cela sera à verser au dossier du gouvernement Macron, qui sans nul doute suit déjà à la CPI un trajet honorable.

Le macronisme est sans nul doute un fascisme (la bonne vieille droite l’a bien compris, Macron fera le boulot de police et ravira toujours les « démocrates » en goguette). Je consacrerai à cela un prochain article en temps utile. Mais à ce stade de la citation de l’article du Point, pour ce qui concerne notre affaire G7 de la corniche d’Hendaye-Urrugne et ce qui s’y est déroulé un 23 août 2019, je ne résiste pas au plaisir de laisser imaginer aux connaisseurs la Police Nationale (institution rigoureuse et entraînée, aux principes virils faits d’exactitude et de rapidité stupéfiante) laissant sortir de leur camping en tenue et en moto de service (étaient-ils sous tente ? Mobil home ? Les motos garées à la cafétéria, et gardées la nuit ?) deux motards pour aller en mission. C’est tellement bon que l’on se remet illico un vieux De Funès. Pas de pot, c’est dans Le Point. C’est moins drôle ; car pour le comique, il faut du talent, et l’époque est sinistre. Poursuivons, d’autant que pour ton bon plaisir je suis maintenant dans le fourgon, enfermé à double tour et menotté dans un cercueil d’acier en plein soleil. Ben oui, menotté, comme pendant ces deux jours dès que sorti de cellule. Alors, fissa.  

Vendredi 23 août 2019, environ deux cents manifestants partirent du campement du Contre G7 basé à Urrugne, près d’Hendaye. La police, qui avait pour la Trump-party disposé des caméras et des indicateurs partout (lesdits indics poussant les gens à la violence, afin de les envoyer en cabane https://iaata.info/A-propos-de-la-flic-infiltree-debusquee-au-contre-sommet-du-G7-3547.html) savait très bien ce qui se passait dans le camp. Le caractère aisément contrôlable de cette manifestation hétérogène, sympathique, minoritaire (il y a eu jusqu’à trois mille personnes sur le camp « G7EZ », ou contre-sommet, et quinze mille à la manifestation d’Hendaye le samedi 25 août dont tu n’as pas entendu parler) était évidemment connu. Par ce hasard qui fait bien les choses, je connais aussi très bien ce lieu d’Urrugne, puisque je suis venu y recevoir des Cheminots SNCF leur prix littéraire en 2016 pour l’un de mes romans. Interpellé, et connaisseur de la topographie, l’ayant inspectée en revenant sur les lieux au sortir de ma garde à vue, j’ai donc triplement voix au chapitre.

La manifestation, décidée après un vote populaire, convint d’aller bloquer l’A63 en passant par l’arrière-pays. Elle partit en chantant à travers les sublimes prés basques, effectuant une dizaine de kilomètres avant d’être, comme c’était prévisible, repoussée par une débauche d’effectifs de police. Refluant, la manif’ obéit bon gré mal gré, sans heurts (à part un petit caillou auquel répondit un tir de LBD dans les jambes), à renoncer à forcer le passage barré par la gendarmerie mobile sur la route du retour. Pour quiconque connaît les manifestations, le risque de débordement était dérisoire. Les autorités conduisaient la manif. Suivis en direct par un dispositif disproportionné et quasi militaire qui n’est plus à présenter, les deux cents manifestants (et non pas cinquante) furent finalement « canalisés » sur la route de la corniche, revenant vers leur campement de départ. C’est là que se produisit l’incident relaté par le procureur Vuelta et son porte-plume.

Sans mettre en défaut ces deux démocrates, je crains qu’il ne manque quelques éléments à citer de cette « vidéo de lynchage », sûrement pénible et qui de ce fait les fait tant frémir. Si je comprends bien, d’ailleurs, M.Zemouri, par la magie de la rigueur journalistique toute pénétrée des fameux oisons de Rabelais, commente dans son article cette vidéo sans l’avoir vue ? Est-ce bien cela ? Serait-ce un privilège utile à l’établissement de la vérité des faits, que de reprendre les propos d’un procureur sur une affaire en cours sans les contrôler ? Etant là, ce que je vis, moi, je le dis modestement pour aider mon pays, ce furent les deux motos de gendarmes ressortir de la foule des manifestants. Elles ressortirent, certes chahutées, mais au contraire de ce qui s’est passé avec les manifestants plus tard, je n’ai vu sur les fonctionnaires sûrement malmenés aucun sang ni blessures. Je précise, que cette même foule venait de passer la demi-heure précédente à serrer les mains des conducteurs des voitures bloquées, à parler aux enfants dans lesdites voitures (les enfants, qui ont de la raison, n’eurent pas du tout peur des quelques individus masqués de la manifestation). Tout se passait pour le mieux, et j’imaginais pour avoir fait dix mois de manif Gilets Jaunes que cette ballade citoyenne allait être canalisée vers le camp contre-G7, comme le dispositif de police délirant le permettait très facilement. Et fin de l’histoire, et tout le monde à la douche.

Hélas ! Par contre, tout de suite après la sortie des motards tout hébétés par leur exploit risqué, après qu’ils soient passés entre nous dans un hurlement d’accélérateur, j’ai bien vu moi une voiture banalisée ressemblant bien au type de celles de la BAC (les autorités préciseront, la voiture doit apparaître sur la vidéo), avec il me semble quatre hommes costauds et hilares à l’intérieur, qui fonça en rasant le talus, droit dans un médic, au risque de l’écraser. Ce monsieur, qui avait veillé sur tout le monde depuis deux heures, fut interpellé ensuite avec moi et mis dans une cellule voisine de la mienne. Je ne sais pas s’il peut porter plainte pour mise en danger de la vie d’autrui contre les occupants de la voiture, je ne connais pas la loi.  

Réfléchis en toute objectivité, lecteur. Après avoir lu l’article du Point, tu te dis qu’être motard de la police est un drôle de boulot, non ? Là au moins nous serons d’accord, toi et moi, avec le journal Le Point (je me rappellerai toujours de leurs portraits en formats staliniens de Macron, 1x2m aux bords rouge carmin, obsédants, impérieux, aux intitulés dithyrambiques partout dans les rues, entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2017).  Je ne m’imaginais pas cela ainsi, policier à moto : il s’agit donc de faire du camping, d’en sortir en tenue et en moto de fonction, et de se retrouver, comme de bien entendu sans le savoir (une moto de police n’a pas de radio, c’est connu), dans un périmètre quadrillé par hélicos et gendarmerie et… police, au milieu d’une foule forcée à fuir et apeurée. C’est une chose étrange que de se retrouver là sans faire demi-tour, pour sûr, alors que l’on a par principe le souci de ses concitoyens, et que l’on aide d’ordinaire convois d’urgence, SAMU et pompiers. Car un enfant prévoirait que cette foule, elle, qui voit apparaître des effectifs policiers énormes sur la corniche derrière elle, prise en étau au bord de la falaise entre précipice et barrières (toute comparaison avec l’affaire de Nantes n’engage que toi), cette foule donc sera agressive d’être ainsi traversée comme par provocation par des véhicules des forces de l’ordre. C’est simple, non ? C’est vraiment curieux pour des professionnels reconnus de passer en plein milieu d’une foule énervée, et en moto. Y a-t’il eu un ordre ? Pour ma part, je n’avais jamais vu des fonctionnaires de police effectuer des actes aussi bizarres. Mais il est vrai que je ne suis pas policier, que depuis mon fossé basque herbu, le genou d’un flic sur mon bras plié je te le dis : je n’ai que peu d’expérience (jusqu’à présent je ne me savais pas dangereux, tout comme d’autres, en des circonstances bien plus dramatiques, ne se savaient pas juifs). Je n’avais vu qu’un gars de mon rond-point prendre un LBD dans l’œil, avec des séquelles irréparables, ou les incendies provoqués par les palets incandescents de lacrymos sur les bâches des camions bloqués. Ou des jeunes le nez pété par la BAC en cherchant leurs clés de bagnole pour fuir une émeute. Ce que je trouve curieux, de surcroît, c’est que ni MM.Zemouri (https://www.lelibrepenseur.org/quand-monsieur-aziz-zemouri-du-point-bidonnait-des-reportages-sur-france-2/) ni Vuelta, ne parlent de la voiture avec quatre hommes qui a jailli ensuite à travers la foule évidemment angoissée. Vont-ils à l’essentiel ? Le danger d’une situation de crise en pleine foule s’arrête-il aux quelques mètres carrés environnant les motards de la police ? Je m’interroge.

Et devinez quoi ? Les deux motards et la voiture une fois remontés vers le cortège de voltigeurs à moto et de gendarmes mobiles qui nous suivaient à deux cents mètres, s’ensuivit… un assaut des FdO. Eh, oui, c’est magique, c’est ça le maintien de l’ordre en France, c’est cela, précisément, « protéger » les citoyens. C’est là que le chercheur de L’INRA, mon voisin dans le fossé, s’est fait fendre le crâne. Il est là pour la planète, et parce qu’à l’INRA, contrairement à Amazon ou Facebook, ça va pas fort, je crois. C’est là que j’ai demandé à celui qui m’avait appréhendé de chercher ses lunettes. Il les a retrouvées dans le fossé. Parce qu’il y a aussi des flics corrects.  

Nous avons ensuite étés emmenés et enfermés dans un centre de rétention à Hendaye pour deux jours. Dans des cellules propres, il faut le dire car en France on a pour habitude de mettre les gens dans des cellules pleines de merde et de pisse. D’ailleurs, ce jour-là, on y a aussi mis des observatrices de la LDH. Et des dizaines de personnes raflées pour un couteau suisse ou une ballade au mauvais endroit. (https://nantes-revoltee.com/g7-lordre-regne-au-pays-basque/)

En conclusion, je narre ces faits pour dénoncer une réalité fabriquée. Cette ridicule opération de maintien de l’ordre et nos arrestations se sont donc bien entendu soldées par un assaut généralisé des FdO, et une soirée d’émeutes hallucinantes au pacifique camp du contre-G7 :

 https://twitter.com/mic_tra/status/1165004768621846528

Ce dont il faudrait parler dans ce pays, c’est il me semble bien du sens réactivé d’un nouveau mot, un mot félon, un mot qui porte avec lui, en lui, les accents les plus affreux de l’histoire : propagande. Lorsqu'il y a une telle manipulation dans un pays, il n'y a plus guère de place pour la liberté. C'est ainsi que, devant des dispositifs policiers aussi massifs, la débauche d'espionnages et de documents filmés utilisés et commentés sans même de débats, on sombre dans la fabrication assumée du consentement, hors de toute verité journalistique. 

Oui, je sais, je ne suis pas journaliste, je n’ai pas de carte de presse. Je suis au mauvais endroit, oh zut, juste allongé dans un fossé avec mon pote le voltigeur. Il s’emmerde comme moi, parce que ni lui ni moi ne toucherons l’argent, ni ne récupérerons le temps qu’on nous vole. Bah, on est ce qu’on est. Tout le monde ne peut pas être l’admirable M.Macron, démocrate-mieux-qu’un-russe, ou l’un de ses prestigieux journalistes parisiens. Quand on n’est « rien », autant se promener à bon escient. Ou juste comme on peut, avec une matraque, en uniforme ou en civil. Et faire un sale boulot. Mais c'est un bien beau jour pour faire un sale boulot. La mer est si belle. 

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