Lors d'une conférence de presse récente, Jean-François Copé a dénoncé un « racisme anti-blanc ». Le phénomène qu'il décrit existe, mais contrairement à ce qu'il affirme, il n'est aucunement un « tabou ».
Depuis Sarkozy, l'usage du mot « tabou » sert juste à enrober et « déminer » des énormités que la Droite cherche à faire passer pour des vérités consensuelles et frustrées, alors qu'elles sont minoritaires mais constituent bel et bien son fond de pensée à elle. Chaque prétendu « tabou » dénoncé par l'UMP (et David Pujadas, qui raffole du terme sur France 2) met de l'huile sur le feu et cherche à opposer les français, soit pour remettre en cause des acquis et relancer l'ultralibéralisme (le tabou du CDI, le tabou du coût du travail, le tabou de la retraite à 60 ans, le tabou des 35h), soit pour exacerber les haines ethniques. La « droite décomplexée », c'est une droite qui veut aller jusqu'à l'extrême-droite sur tous les sujets – et qui pour faire avaler la couleuvre, fait passer Mélenchon pour l'extrême-gauche qu'il n'est pas, et l'associe à une majorité à laquelle, pourtant, il ne participe pas.
Ici, Copé nous parle de racisme « anti-blanc », mais quel intérêt a-t-il à l'appeler ainsi et « colorer », « racialiser » de cette manière les victimes comme, en creux, ceux qui en sont les auteurs ? S'il pense à un racisme « anti-français de souche » (avec toutes les imprécisions qui entourent cette expression), « anti-européen » ou « anti-occidental », pourquoi ne le nomme-t-il pas comme cela ? Parce qu'il veut assimiler les français (auxquels il pense, tout le monde l'a compris) aux « blancs » (qu'il a nommés) ? Parce que les coupables de ce racisme doivent être perçus comme « non-blancs » ? Faut-il comprendre que ce sont les noirs qui sont racistes ? Ou assimiler les français musulmans à des « non-blancs » ? En dénonçant un racisme de cette manière, c'est en fait le prétendant à la présidence de l'UMP qui utilise une grille de lecture bien raciste également.
Par ailleurs, dénoncer un mal sans apporter de solution est une ineptie pour un politique digne de ce nom. Le racisme, quel qu'il soit, est une généralisation à tout un groupe, déterminé comme « racial », de reproches qu'on fait au départ à certains de ses membres. Comme toute généralisation abusive (du genre « tous les footballeurs sont des abrutis », « tous les riches sont exilés fiscaux », « tous les patrons sont des salauds », « tous les fonctionnaires sont des fainéants »), elle signe d'abord une faiblesse de la réflexion, de l'instruction, de la prise de recul, parfois également l'efficacité d'un battage médiatique – il n'est qu'à sonder autour de soi ces « laïcs tolérants » qui glissent vers l'islamophobie après la répétition d'images ne montrant que la frange la plus extrême des musulmans. Le rejet raciste montre aussi une colère, qui certes se trompe de cible en visant un groupe au lieu de distinguer des individus et qui interprète souvent mal les faits à l'origine de la colère, mais une colère qui doit nous interroger malgré tout.
Revenons un instant au cas évoqué par Copé. On peut être d'accord avec le fait qu'il y a un racisme de la part d'immigrés ou de descendants d'immigrés. La bêtise est la chose la mieux partagée du monde, et aucun sous-ensemble de l'humanité n'y échappe. On peut essayer de faire un lien entre ce « racisme inverse » et la montée en puissance de telle ou telle idéologie ; le fondamentalisme islamique n'est sur ce point rien d'autre qu'un « FN d'en face », une autre extrême-droite qui sème un venin équivalent. Mais il ne faut pas oublier que si sa morsure fait si vite effet, c'est que le terrain a souvent été préparé par le ras-le-bol des musulmans de France d'être eux-mêmes victimes d'un racisme, « blanc » dirait sans doute M. Copé.
Quoi qu'il en soit, ce n'est pas en dénonçant un racisme tout en taisant ou justifiant l'autre qu'on trouvera une issue. C'est là l'erreur de J-F. Copé, comme ce fut celle de Charlie Hebdo la semaine dernière. Dans une société où deux extrêmes-droites (FN et intégrisme islamique) se nourrissent l'une l'autre, il ne faut ni être naïf à l'égard de leur progression, ni attiser cette progression en donnant raison à l'un ou à l'autre. Le racisme, l'extrémisme religieux et la violence à laquelle tous deux peuvent déboucher doivent absolument être mis « hors-jeu » par les autres acteurs politiques.
Aujourd'hui, c'est tout sauf le moment de se toiser, en alimentant le débat sous l'angle « la civilisation ou la vérité c'est moi, l'autre est le sauvage ou le déviant ». Au contraire, il est temps de se parler, entre gens qui l'acceptent encore. Il est temps de montrer qu'il est possible de vivre ensemble, et pas seulement juxtaposés. On peut encore défendre des valeurs, des libertés, des principes communs sans se raidir ou se combattre.
La laïcité, qui est au cœur de toutes les incompréhensions et manipulations de part et d'autre, peut – doit même – faire au plus vite l'objet d'une discussion large avant que deux univers ne s'éloignent. On doit la ré-expliquer, la ré-affirmer, ne rien céder à l'irrationnel, ne rien renier de nos avancées sociales et mentales, et néanmoins admettre de l'équilibrer là où elle ne l'est pas, sur la question des lieux de culte ou des jours fériés par exemple. Il aurait été sain de le faire dans un autre climat, mais il serait coupable de repousser cela encore et toujours.
Dans ce monde en « réveil identitaire », la Gauche doit en effet éviter deux pièges opposés. Le premier : ne s'adresser qu'à des communautés, et par là donner une lecture ethno-religieuse du pays et risquer d'avoir à dialoguer avec les obscurantistes. Le second : faire de l'anti-religieux intégral au point de nier les cultures composites de chacun, les identités ressenties, et de rejeter les simples croyants vers une attitude tout aussi intolérante. La Gauche doit être défenseure de nos droits et pacificatrice à la fois.
Il est tout simplement le temps de parler calmement de nos différences et de ce qui nous rapproche, de débattre dans le respect devant tout le monde, pour s'adresser à ceux qui n'ont pas encore fermé leurs oreilles, et pour éviter que ne se propage la détestation a priori de celui qui nous paraît « autre ». L'école doit réduire, par la pratique comme par les programmes, l'incompréhension et la reproduction inter-générationnelle des préjugés.
Il est urgent aussi de présenter aux Français une vision du monde, les clés de lecture de sa complexité, de donner d'autres interprétations que culturelles aux problèmes de notre époque, qui sont bien plus d'ordre démocratique, économique et écologique qu'ethnique ou religieux.
Il importe encore plus d'apporter des réponses concrètes aux difficultés quotidiennes des citoyens tentés par ces deux replis adverses qui ne peuvent, dans le cas contraire, que croître et exploser à la figure de tous ceux qui veulent juste vivre en paix et ensemble.
Avant même le droit de vote des étrangers aux élections locales – que j'appelle de mes vœux comme un « sas d'intégration » sans éligibilité – il convient de mettre tous ceux qui vivent sur notre sol, et les citoyens de plein exercice en premier lieu, au cœur d'une démocratie régénérée par la base, sur le plan local notamment. Le jour où les grandes orientations de la politique locale seront débattues par les citoyens eux-mêmes, le jour où ceux-ci, partout en France, définiront directement et ensemble les détails de certains projets de quartier ou d'agglomération, chacun se connaîtra mieux, chacun prendra conscience des problèmes des autres, nous serons fiers des mêmes réalisations, nous aurons trouvé ce ciment social qui manque encore.
En somme, le politique doit reprendre sa place, refaire son travail. La Gauche au pouvoir a ces devoirs-là. Elle ne doit plus se dérober, sinon ce sera peut-être Copé, et bien pire après !
Fabrice MAUCCI