Tout réside en effet dans les clivages qu'on désigne. Est-ce un exploit de déborder des étiquettes qui elles-mêmes ont été fracturées de l'intérieur depuis belle lurette et dont les "frontières" ne signifient plus rien ? Est-ce décoiffant de voir réunis Le Guen et El Khomri d'un côté, Madelin et Borloo de l'autre ? Non. Ils ont tous en partage les deux dimensions du libéralisme, le libéralisme sociétal-démocratique-culturel inspiré par la Gauche, le libéralisme économique répandu par la Droite, une sorte d'espace central en voie d'élargissement et vers lequel depuis 30 ans une partie du PS et un bout de la Droite ont convergé.
Il n'y a donc pas d'obstacle insurmontable à dépasser. Mais pour le camp Macron il faut pourtant le présenter comme tel.
D'abord pour incarner une rupture alors que le plus probable est une grande continuité. Pour feindre aussi une forme d'unité nationale alors même que les fractures sont béantes.
Cette stratégie vise également à tuer les partis qui occupaient précédemment cet espace et à unifier ce dernier dans une clarification somme toute souhaitable. Elle offre surtout l'occasion de brouiller les repères, de renvoyer à l'extrémisme tout ce qui n'est pas ainsi fédéré, et de décrédibiliser les concepts de Gauche et de Droite rejetés par les Français pour l'échec des partis qui s'en réclamaient tout en s'en éloignant. Comme c'est commode de pouvoir ainsi se débarrasser de boussoles qui restent valides (Gauche de régulation économique, d'approfondissement démocratique, de protection écologique et sociale, Droite libérale-conservatrice) et pourraient recouvrir des projets alternatifs !
Derrière la "révolution" Macron, il y a donc tout à la fois une recomposition logique, un "rebranding" remarquable pour faire croire à du neuf avec ce qui a mal vieilli, un recyclage de personnalités usées sous couvert de non-agression, mais aussi une entourloupe, une manipulation par les mots (le hold-up sur celui de "progressisme" devrait sauter aux yeux) plus encore que par l'image.
Qu'il en sorte quelque chose par les actes une fois au pouvoir, cela reste à espérer si rien de mieux ne gagnait les législatives. Mais la méthode a ses limites : à vouloir repousser celle de son propre espace, le Président et son "aspirateur politique" risquent de faire cohabiter de vrais incompatibles. Si cet après-midi Nicolas Hulot entrait par exemple au gouvernement, la "prise" serait soulignée mais l'écart avec les positions du Premier Ministre et l'intérêt mesuré du grand patron pour l'écologie serait patent.