M. Sarkozy, si je vous ai bien entendu il y a quelques jours, "il faut défendre notre civilisation".
M. Valls, si je reprends votre expression, "s'attaquer à une église, c'est comme s'attaquer à l'essence de la France".
Vous savez trop bien manier les mots pour ignorer quel impact ont les vôtres. Alors je m'adresse à vous mais en espérant d'abord toucher ceux qui vous suivent et influencer, à ma modeste mesure, l'opinion à laquelle vous aimez tellement coller que vous êtes prêts à l'emmener sur les plus dangereuses pentes.
Messieurs, évoquer un groupe, une (et pas la) civilisation à défendre (contre d'autres dans l'esprit de beaucoup même si vous ne le dites pas ainsi), et faire la triple association entre une religion ou un lieu de culte, une civilisation et l'identité de notre pays, c'est une erreur intellectuelle et une faute politique.
Quel que soit l'impact de telle ou telle croyance sur notre histoire, cette histoire ne se limite pas à ses racines (ça ne m'empêche pas de photographier avec admiration et sous tous les angles le palais des papes à Avignon, la cathédrale d'Albi, le Mt St-Michel ou la vierge du Puy par exemple), elle est une évolution, et le temps présent est l'aboutissement de cette évolution, un aboutissement qu'on ne peut pas remettre en cause tous les deux jours en effaçant les progrès de la pensée et de l'action politique. Pour imaginer et bâtir l'avenir, il faut tenir compte des erreurs passées, des victoires même mal assurées ou insuffisamment assumées (la laïcité) qu'il faut consolider, et de l'état actuel du pays.
Chaque fois que vous ferez ces amalgames, que vous le vouliez ou non, vous sèmerez encore davantage dans l'opinion cette graine qui pousse les Français à considérer qu'il y a dans notre peuple des "vrais", des "enracinés", des "originels" plus Français, plus vertueux, plus légitimes que la fraction des "importés", des "secondaires", des "issus de", ce qui est un germe d'insécurité à long terme en même temps qu'une insulte à nos valeurs républicaines d'égalité et de fraternité dont découle l'impératif de laïcité, une insulte à l'histoire que vous invoquez parfois un peu vite.
Il y a des Français catholiques, musulmans, protestants, juifs, bouddhistes, orthodoxes, et peu ou prou une majorité de gens qui ne croient pas ou ne s'affilient pas à ces cultes structurés et attendent de vous de l'apaisement, des actes quotidiens pour "faire nation" tout autant que de la protection immédiate.
Messieurs, ne donnez pas le sentiment à certain(e)s de nos compatriotes que ceux qui leur bourrent le crâne avec l'incompatibilité entre la France et ce qu'ils sont eux-mêmes ont raison. Et si dans un raccourci contre lequel je m'élève, vous croyez vraiment que la France est forcément, éternellement, définitivement chrétienne, et bien choisissez bien vos mots pour ne pas nous apprendre à tous "nous détester les uns les autres". Voilà qui serait contraire aux valeurs d'une France "chrétienne", n'est-ce pas?
Si mes arguments ne vous convainquent pas, gardez surtout en ligne de mire la vérité suivante, prémonition que je souhaite fausse mais à laquelle je ne crois que trop. Si vous souhaitez faire de votre langage une arme pour le seul objectif qui paraît vous animer, à savoir la prochaine élection présidentielle, sachez que tout ce qui fera de vous les promoteurs d'un raisonnement "identitaire", tout ce qui vous éloignera de la pédagogie de l'unité dans la diversité, fera de vous des perdants, au deuxième tour si ce n'est au premier. Avec le pire des vainqueurs à la clé. A bon entendeur.
Aux lectrices et aux lecteurs qui partagent, partagez bien.