Parmi les mesures potentiellement issues de la "convention citoyenne sur le climat" (CCC) et abordées ce jour lors du premier "conseil de défense écologique", figurerait l'obligation - après saisine - pour le propriétaire bailleur d'un logement perçu comme une "passoire énergétique", d'effectuer des travaux de rénovation-isolation sous peine de ne plus pouvoir mettre le bien en location. Derrière l'évidente bonne intention de la part de la CCC se cache pourtant un gros risque, et derrière l'obstacle une solution. Quelques explications...
Qu'il faille tout faire pour que les logements passoires ne le soient plus, c'est une urgence. Que les propriétaires qui le peuvent fassent l'effort, pourquoi pas. Mais parmi ces logements-là, combien sont-ils le seul bien - éventuellement indivis - d'un petit héritage qui s'y limite, ou le placement unique effectué durant une vie active d'indépendant pour parvenir à toucher une retraite décente? Combien sont-ils, ces logements, du fait de leur piètre performance énergétique, à être loués à tarif relativement modeste et à être de ce fait - avant facture énergétique, c'est certain - accessibles à des locataires dont le dossier ne permettrait pas d'atteindre des logements à loyers plus élevés?
Je ne défends nullement l'idée qu'il faudrait laisser ces habitations en l'état et enfermer les locataires les plus pauvres dans la précarité énergétique. Mais si les projets gouvernementaux se limitent à ce que j'écris plus haut, le risque est multiple. Il est :
1. de réduire brutalement le pouvoir d'achat de propriétaires modestes, notamment retraités,
2. de réduire le nombre de logements accessibles dans le marché libre aux familles modestes, et par conséquent de les orienter vers des solutions encore plus précaires (colocation, suroccupation),
3. de pousser les premiers à vendre à de plus aisés, individus fortunés ou promoteurs, qui pourront payer la transformation mais augmenteront ensuite les loyers à des niveaux peu soutenables par ceux qui les occupent aujourd'hui.
La menace est en somme (de finir) d'expulser des centres, péricentres urbains et des premières couronnes les propriétaires-bailleurs et les locataires modestes, de laisser ces espaces s'embourgeoiser toujours davantage et reléguer loin les plus pauvres. Cette machine à exclure est déjà là, elle est inadmissible, ne l'alimentons pas davantage. Et pour que leur audience devienne totale, n'instrumentalisons pas les objectifs écologiques pour transférer habilement du patrimoine immobilier supplémentaire des classes moyennes vers les plus riches.
La solution à notre dilemme nécessite sûrement d'autres logiciels politico-intellectuels que ceux dont la Macronie est dotée, mais elle existe. Si la frugalité énergétique est un défi d'envergure planétaire, considérons que la bonne échelle pour accomplir l'effort correspondant n'est pas nécessairement celle des individus, ce qui exclut immédiatement du monde et en réduit la portée globale. Nous proposons donc le mécanisme suivant :
1. Que la loi impose les travaux avant une date donnée partout en France, sans qu'une saisine de locataire ne soit nécessaire,
2. Que l'Etat, sur son budget mais par le biais d'une agence publique "incarnée" et relayée dans chaque intercommunalité, prenne à sa charge la part des travaux que le bailleur ne peut financer...
3. ... Et qu'en échange, sur toute la durée nécessaire pour se rembourser, l'Etat prélève chaque mois sur le propriétaire (qu'il change ou pas) une fraction du loyer (ne dépassant pas 1/6), et sur celui payant jusque là les dépenses d'énergie devenues plus réduites, la moitié - si c'est le locataire - ou la totalité - si c'est le propriétaire - des dépenses ainsi économisées.
A long terme, l'Etat se rembourse. Ce n'est pas une dette sèche qui n'engendrerait aucune recette. A court terme, l'Etat avance les frais, devient un accélérateur de la transition, et se donne les moyens de concrétiser un objectif écologique majeur sans créer d'injustice sociale, bien au contraire. Un mécanisme identique peut être proposé pour développer l'énergie solaire sur l'ensemble des bâtiments qui présentent un intérêt de l'y développer : l'Etat investit sur le toit de telle entreprise, telle copropriété, tel équipement, mais il perçoit la recette des productions correspondantes jusqu'à son strict remboursement, ce qui lui permet de réinvestir.
Si le gouvernement actuel n'adosse pas un tel dispositif à la mesure évoquée sur les logements-passoires en location, alors il aura réussi, lui qui d'habitude cherche à décrédibiliser les programmes des écologistes par cet adjectif, à faire réellement de l'écologie punitive.