Par ras-le-bol du système, espoir de renouveau, rejet de l'autre ou un peu des 3, le Front National s'est imposé comme le premier parti de France. Le PS et l'UMP sont les deux autres pôles qui malgré d'innombrables désaccords internes sur le point de les faire imploser, continuent d'agréger les voix des citoyens, plus tellement par la lisibilité de leur ligne, mais par habitude et inertie électorale, par stratégie pour contrer l'extrême-droite, et par l'avantage acquis de leur notoriété et de leur accès aux grands médias.
Nous le savons, cette offre-là ne suffit plus. L'abstention le démontre, la lassitude des électeurs encore mobilisés le prouve. Le spectre des idées est pourtant large, et en France il se traduit par une étonnante multitude de formations politiques. Même en excluant les micro-partis qui n'ont d'existence que pour financer la vie politique (les dons sont déductibles des impôts), ce n'est pas le choix qui manque aux Français pour trouver quelque chose qui corresponde à leur sensibilité. Le problème est qu'en-dehors des 3 grands pôles actuels, le paysage politique est un puzzle éparpillé aux pièces trop petites pour porter l'estocade, pour s'exprimer en totale autonomie, pour incarner l'alternative.
Ressortez les bulletins des régionales et regardez les logos des partis ! La plupart des listes en ont regroupé plusieurs, jusqu'à une dizaine dès le 1er tour, montrant à la fois la diversité du paysage et le degré de dépendance des plus petites équipes, incapables de candidater seules faute de troupes, d'argent ou de notoriété.
On touche là à une des limites du système représentatif. Pour exister de manière relativement indépendante dans un paysage politique de ce type, pour être autre chose qu'un pantin de campagne ou un candidat aux strapontins condamné à marchander puis taire sa spécificité dans une alliance dominée par d'autres, il faut que le « jeu » se restreigne à 4, 5 ou 6 acteurs au maximum – ce qui n'empêche en rien de redistribuer les cartes, d'émerger ou de disparaître sur un tel plateau.
Pourquoi 4, 5 ou 6 ? Parce que pour espérer polariser l'attention, inspirer une possible victoire au « coup d'après » ou fabriquer autour de soi une majorité, il faut montrer d'emblée qu'on est capable de rassembler 20%, ou à défaut 15 ou 17% des suffrages dans un premier temps. En-dessous, on passe sous les radars de l'espoir de changement, on retombe dans l'oubli ou les rôles secondaires, on n'incarne pas l'alternative. Et encore, à ce stade rien n'est gagné. Demandez à Chevènement et Mélenchon, potentiels « 3èmes hommes » des présidentielles de 2002 et 2012 qui ont flirté avec les 14% dans les sondages puis ont plongé avant même le scrutin. Voyez le sort de Bayrou, qui n'a pas réussi à capitaliser dans la durée avec ses 18,5% de la présidentielle de 2007 – lesquels étaient pourtant une des causes du trou d'air lepéniste à 10% entre deux élections suprêmes à 17 pour le FN. Un acteur politique ne consolide, ne croît, ne fixe durablement le désir politique que si son projet, sa vision, son dynamisme, ses méthodes séduisent rapidement 1/6 ou 1/5 de l'électorat ; c'est en tout cas mon postulat. Mais en France, personne d'autre que FN, PS et LR n'atteint la masse critique.
Le « centre-droit », en fait une droite économique et européiste assumée qui garde quelques valeurs humanistes totalement perdues par l'ex-UMP, pourrait atteindre cette masse critique. Mais aucune personnalité « présidentiable » semble n'émerger de l'UDI, laquelle n'a toujours pas refusionné avec le MoDem malgré le « retour d'alliance à droite » de ce dernier. Pire, l'UDI n'est qu'une fédération, une « collection » de partis tous indépendants et qui doivent préalablement se mettre d'accord pour incarner une ligne. La liste des composantes est longue : le Nouveau Centre d'Hervé Morin, la Force Européenne Démocrate d'Hervé Marseille et Jean-Christophe Lagarde, la Gauche moderne de Jean-Marie Bockel, le Parti Radical Valoisien de Laurent Hénard et Yves Jégo, mais aussi l'Alliance centriste de Jean Arthuis, et Territoires en Mouvement de Jean-Christophe Fromantin. Un inventaire à la Prévert.
Le PS, s'il se fracture enfin, rajoutera alors à cette galaxie du centre (on se demande s'il s'agira pour lui du centre-gauche ou du centre-droit) son fragment pro-gouvernemental, rejoint en cela par l'UDE, l'Union des Démocrates et des Ecologistes, elle-même fédérant le parti Ecologistes! du député François de Rugy et le Front Démocrate Ecologique et Social du caméléon Jean-Luc Benhamias. Demain, qui sait, le mouvement Cap21 de Corinne Lepage y adhérera-t-il peut-être.
A Gauche (vraiment), l'aile toujours progressiste du PS côtoie d'abord un Front de Gauche qui n'en finit pas de mourir tout simplement parce qu'il n'a jamais été plus qu'une alliance à géométrie variable, intégrant tout au plus le PCF, le Parti de Gauche et Ensemble! – cette dernière composante, dont Clémentine Autain est le seul visage connu, ayant le mérite d'être issue de la fusion de plusieurs anciennes micro-structures. Même si les parcours, les regards sur le monde et les propositions ne sont aujourd'hui pas tous identiques en son sein, cette Gauche compte encore ce qui reste d'EELV, Nouvelle Donne, le Mouvement Républicain et Citoyen, ou encore le Parti de l'Emancipation du peuple (si, si, allez voir le programme ce n'est pas inintéressant).
Même à l'extrême-Gauche, on sait les brouilles inaltérables entre Lutte Ouvrière, le Parti Ouvrier Indépendant et le Nouveau Parti Anticapitaliste...
Pourquoi cet émiettement est-il affligeant et problématique ? Parce que même s'il faut changer les personnes et les pratiques pour sortir notre pays de l'ornière politique, il faut aussi changer les étiquettes, et surtout changer de cap, produire de nouvelles colonnes vertébrales idéologiques, et aucun de ces petits acteurs politiques ne peut y parvenir isolément – pas même Debout le France de Nicolas Dupont-Aignan, qui me hérisse sur certains points mais dont certaines analyses mériteraient de renouveler une partie de la Droite et du débat politique.
Mon point de vue est donc le suivant. Nous sommes à un carrefour majeur de la vie de notre pays. Celui-ci doit immédiatement entamer la « mue du système », la transition vers un autre régime politique, vers une démocratie qui mérite davantage son nom. Pour moi, cette mue ne peut venir que d'une mobilisation citoyenne massive autour d'initiatives démocratiques fortes. J'y reviendrai mais cet élan, qu’il faut lancer au plus vite, ne peut pas aboutir avant avril 2017.
A 16 mois du premier tour de l'élection présidentielle, nous devons admettre que pendant que nous chercherons à renouveler le système, il faudra composer avec le précédent tant qu'il sera en vigueur, ne serait-ce que parce que c'est lui qui attribuera encore le pouvoir. Et dans ce cadre-là, si l'on souhaite éviter le pire et ne pas avoir à trancher en faveur du moins mauvais ou du moins dangereux, les responsables des petits partis que j'ai cités doivent mesurer leur responsabilité. Elle est énorme. Soit ils s'enferment dans leurs chapelles respectives, soit ils convoquent leurs militants et leurs sympathisants pour de gigantesques débats citoyens sur une ligne à redéfinir, sabordent leurs actuelles formations et fabriquent, au bout de ce processus, de grands partis susceptibles d'emporter la magistrature suprême et de constituer le noyau d'une majorité aux législatives. A eux de « jouer » - juste.