Fabrice MAUCCI (avatar)

Fabrice MAUCCI

Géographe, enseignant, ancien élu local rêvant de renouveler, d'unifier et promouvoir une vraie Gauche pour relever les défis démocratiques, économiques, sociaux, écologiques, éducatifs, culturels et technologiques, sans naïvetés ni renoncements.

Abonné·e de Mediapart

24 Billets

1 Éditions

Billet de blog 30 juin 2011

Fabrice MAUCCI (avatar)

Fabrice MAUCCI

Géographe, enseignant, ancien élu local rêvant de renouveler, d'unifier et promouvoir une vraie Gauche pour relever les défis démocratiques, économiques, sociaux, écologiques, éducatifs, culturels et technologiques, sans naïvetés ni renoncements.

Abonné·e de Mediapart

Tuer la fonction publique sans que cela ne se voie : les profs seront les cobayes... comme prévu !

Fabrice MAUCCI (avatar)

Fabrice MAUCCI

Géographe, enseignant, ancien élu local rêvant de renouveler, d'unifier et promouvoir une vraie Gauche pour relever les défis démocratiques, économiques, sociaux, écologiques, éducatifs, culturels et technologiques, sans naïvetés ni renoncements.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A un an de la présidentielle, certains de nos concitoyens indécis – probablement plus nombreux qu'on ne l'imagine – s'apprêtent sans doute à se laisser endormir ou amadouer sur le bilan de l'action de Nicolas Sarkozy au pouvoir. Pourtant, sur la nature exécrable de son projet de société comme sur sa manière cynique de gouverner, celui-ci continue de livrer des signes bien concrets de sa détermination.

Une citadelle sociale encore à prendre

Une des cibles qu'il n'a pas encore terrassées en 4 ans de présidence est la fonction publique. Le statut des agents de l'Etat, déjà largement contourné par le recrutement de contractuels et de vacataires dans les différents ministères, reste une anomalie pour l'habile amiral de la flotte libérale. Rien à ses yeux ne justifie l'emploi à vie, une grille salariale connue et généralisée, ou encore un recrutement sur la seule base du mérite et indépendant de toute pression politique.

Dans ce combat, il peut compter sur les sentiments les moins glorieux comme sur des ressentiments savamment orchestrés en période de crise et de dette publique. Mais il sait aussi qu'une partie significative de la population défendrait, si elle était attaquée frontalement, cette « citadelle sociale » qui offre en échange un service public relativement efficace, économe et égalitaire en comparaison de ce qui pourrait la remplacer. Casser la fonction publique en un coup, Sarkozy n'y a donc jamais songé. Mais la partie de billard à trois bandes, il y a pensé dès le départ.

La masterisation du recrutement des enseignants, le piège que bien peu ont dénoncé

Lorsqu'il y a 3 ans, Xavier Darcos décidait de « masteriser » le recrutement des enseignants du primaire et du secondaire, beaucoup de Français ont littéralement gobé l'argument de la hausse du niveau de recrutement, censée aller de pair avec une hausse de l'efficacité du système tout entier. Déjà, pourtant, les contradictions étaient patentes.

Le ministre claironnait que les professeurs seraient désormais formés « à Bac+5 au lieu de Bac+3 ». Il faisait alors semblant d'ignorer qu'un enseignant avait jusque là besoin, pour être titulaire, de décrocher une Licence, puis un concours après une année (dans le meilleur des cas) de préparation intensive, et enfin une année de stage en alternance comptant pour une année d'étude, soit au total... 5 ans ! Il ne s'agissait donc pas d'améliorer la formation des profs, d'autant plus que le volet pédagogique et psychologique de celle-ci, déjà insuffisant, a carrément été sacrifié à cette occasion : la rentrée 2010 a d'ailleurs vu l'arrivée dans les établissements, pour la première fois depuis des lustres, de jeunes enseignants sans aucun autre bagage pour « faire la classe » que leurs savoirs disciplinaires. Ainsi, l'objectif de cette « réforme » était ailleurs, et bien peu l'ont repéré ou dénoncé.

En créant comme nouvelle exigence pour le recrutement l'obtention d'un autre Bac+5, de type Master, le gouvernement voulait faire passer les concours du CAPE (professorat des écoles), du CAPES (collèges-lycées) ou du CAPET (enseignement technique), débouchant sur ce même niveau d'études après stage, pour des doublons inutiles. Pour mieux tuer ces concours sans que cela ne se remarque, il les a pour l'instant maintenus comme condition nécessaire (en plus du Master) tout en les transformant en machines indomptables : il a suffi pour cela d'en ramener les épreuves écrites en novembre au lieu de mars, ce qui rend toute préparation et toute exigence spécifiques vaines.

Supprimer les concours, c'est affaiblir la qualité, l'égalité et l'indépendance

Le projet sarkozyste ne s'arrête évidemment pas là. Dès l'origine, il transpirait d'évidence que l'étape ultime de ces tripatouillages serait la disparition pure et simple de cet embêtant doublon, de ces concours judicieusement présentés comme « archaïques » puisqu'inventés il y a longtemps – même si c'était pour de bonnes raisons. Car c'est là, dans l'apparente banalité d'un changement des modalités de recrutement d'agents publics, que se noue le changement de société voulu par la Droite.

Un concours est une course au mérite qui récompense automatiquement et durablement, mais uniquement les meilleurs. Le nombre de places offert correspondant exactement aux besoins estimés par l'Etat employeur, il n'y a pas de diplômés recalés. Les candidats retenus sont recrutés sur leur seule valeur devant un jury, qui à l'écrit ne peut ni les nommer ni les voir, et à l'oral n'a pas d'autre renseignement sur eux que ce qu'ils montrent et disent sur un sujet. Chaque candidat reçu au concours est ensuite affecté, muté selon le moins injuste des systèmes où s'équilibrent ses vœux et un barème, l'égalité de traitement étant garantie par un contrôle syndical du respect de ces critères.

Au contraire, un Master est un examen, pas un concours. Imaginons que demain, les Masters estampillés « Métiers de l'Enseignement » délivrent à travers la France plus de diplômes qu'il n'y a d'enseignants à recruter, ce qui est probable puisqu'un concours peut se permettre de rejeter 90% des candidats, pas un Master. Première conséquence, le niveau des étudiants admis sera plus faible qu'avec un concours.

Deuxième conséquence, chaque école, chaque collège, chaque lycée aura devant lui 3, 5 ou 10 diplômés cherchant de l'embauche pour un poste à pourvoir, davantage même puisque chaque nouvelle rentrée scolaire, ceux qui n'auront pas eu l'emploi pourront revenir à la charge. L'emploi à vie de celui qui a décidé de travailler pour l'Etat devient aussitôt un souvenir. Le professeur recruté sera-t-il plus efficace avec l'épée de Damoclès sur le dos, ou est-ce libéré de ce poids qu'on travaille mieux ? En tous cas, après avoir fait des ravages dans les entreprises (y compris les anciens fleurons nationaux comme France Telecom), le management de la pression et du harcèlement pourra faire une entrée officielle et massive dans l'Etat himself.

Revenons à nos jeunes Bac+5 en surnombre. Pour en embaucher plus, on peut imaginer le faire sur des temps partiels, histoire de dégoûter les jeunes de l'enseignement : la pénurie qui s'en suivrait permettrait toujours de justifier une machine arrière et de recruter « moins cher »... à Bac+3 ! Admettons maintenant qu'ils postulent pour de vrais emplois à plein temps : comme ils seront foule, et égaux par les compétences sanctionnées par leur Master, quel sera alors le critère déterminant leur recrutement ou non par le chef d'établissement ? Des « bouts d'essai » dont les cobayes seront des classes changeant de professeur toutes les semaines ? Un simple entretien ? Une recherche sur Google ou Facebook pour se fier à leur conduite passée ou à l'expression de leur opinion ? Ou la pression amicale d'élus du secteur ou de grands patrons locaux « partenaires » voire sponsors de l'établissement pour différents projets que personne d'autre ne finance ?

Vous l'aurez compris, la masterisation sans concours, c'est la porte grande ouverte au recrutement par piston, copinage, au pire du favoritisme politique, familial, régional ou communautaire. C'est aussi – comment le dire autrement – une « prime au lèche-cul », l'instillation dans le secteur public de la peur de se syndiquer ou de faire grève qui peut exister actuellement dans le privé, une manière d'imposer la docilité et les heures supplémentaires par une menace intériorisée, non dite mais bien réelle. La troisième conséquence de ce dessein devient claire : l'égalité face au métier et l'indépendance vis-à-vis de l'arbitraire et du politique volent en éclats.

La tactique du salami vient de franchir une étape décisive

Pour détruire la fonction publique – et pas seulement le statut des enseignants qui sert ici d'exemple – il est donc préférable d'y aller par petits pas, et les Sarko'boys l'ont compris, qui s'y emploient. Couper le problème en tranches pour que chaque tranche ne soit qu'un détail imperceptible ou insensible. A aucun moment on ne verra de menace puissamment politique, tout juste des retouches « administratives » dont on ne se souviendra pas de l'enchaînement, et dont on n'aura jamais su le fil directeur. Cette méthode a des précédents célèbres à défaut d'être comparables : c'est ainsi que les nazis ont pu perpétrer le génocide, et que les communistes d'Europe de l'Est ont satellisé leur pays à Moscou.

Le scénario décrit plus haut n'est certes pas encore totalement réalisé, mais le film continue. Aujourd'hui même, un député UMP vient, pour la première fois, de dégainer l'idée qu'on pourrait supprimer les concours de recrutement dans l'Education Nationale – avec en prime l'impossibilité d'être agrégé en début de carrière, ce qui permet des économies supplémentaires à l'Etat. Depuis 4 ans, c'est avec cette méthode du faux franc-tireur – en réalité bien téléguidé – que chacune des bombes politiques libérales a été amorcée. Ici, le plus sournois est que c'est à la veille des vacances d'été que la mèche est allumée. L'honnête homme en remettra une couche à la rentrée, puis quelques jours plus tard, Copé s'emparera du débat, Fillon fera mine de vouloir le statu quo, et Chatel dira « expérimentons », faisant croire de manière illusoire à un possible retour en arrière. En guise d'expérimentation, on aménagera une fausse transition en permettant le recrutement sans concours d'une fraction du personnel, en diminuant la rémunération des jurys de concours etc.

Pour éviter cette destruction, il faut que la Gauche défende la fonction publique par des phrases-clés, une démonstration des dégâts à venir, mais aussi l'engagement de soigner les problèmes de l'Etat avec des solutions qui leur corresponde.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.