Temple des Lamas à Pékin : j'observe de jeunes Chinois en train de faire brûler des bâtons d'encens puis de se prosterner devant les encensoirs géants. Je m'étonne encore de surprendre si souvent l'élan religieux en Chine, dans les temples comme dans les musées - et ici tout particulièrement puisqu'il s'agit d'un temple bouddhiste tibétain en plein coeur de la capitale.
Derrière moi, je devine une présence qui veut prendre une photo : spontanément, je m'écarte ; une voix s'écrie en italien :
- Merci ! ça fera plus pittoresque...
Je tourne la tête et découvre une femme d'une petite soixantaine - bronzée, décolorée blonde, habillée serré. Elle ajoute :
- C'est comme chez nous : on allume un cierge, on s'agenouille, on fait le signe de croix...
Je réponds en français :
- On peut dire ça...
Et elle de continuer dans ma langue :
- Ah ? vous êtes français... Je pensais que nous étions dans le même groupe !
- Non, je fais la visite seul.
Du tac au tac, elle embraye :
- Comme moi, je voyage seule. Mon mari m'a quittée pour une autre, il y a deux mois, après trente ans de mariage. (Elle déplie un doigt par décade : elle me les montre, elle les regarde, comme pour se convaincre de ce qu'elle dit). C'est pour ça que je suis en Chine !
Je demande :
- La Chine vous a aidée ?
- Je ne sais pas : je suis arrivée ce matin. Ensuite, j'irai en Inde.
Légère pause, je dis :
- Moi, j'ai aimé un homme marié qui a mis un terme à l'histoire. Le temps de tout régler à Paris, je suis venu passer deux mois en Chine. Ce pays m'a fait beaucoup de bien.
Elle me regarde vraiment :
- On a vécu la même chose !
- En inversé, alors...
Elle tourne la tête et tend le cou ; elle pointe du doigt un tatouage à l'encre bleue et rouge, un coeur brisé :
- Je viens de le faire faire : encore et toujours des coeurs déchirés...
Puis elle met un doigt sur sa bouche avant de le poser sur mes lèvres :
- Je dois filer ; je ne sais pas où est passé mon guide !
Sa silhouette menue disparaît dans la pénombre des cyprès.
Le soir même, je serai dans l'avion du retour.