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Billet de blog 5 mai 2009

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En bas et pas à droite

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je regarde par la fenêtre de la cuisine et je me dis : C’est fou… Sous mes yeux, la Chine. L’étonnement c’est aussi que les premières images qui me viennent à l’esprit sont empruntées à l’enfance, celles des voyages officiels à Pékin de Pompidou et de Nixon. Les images venues du cinéma entretemps se sont diluées au moment de cette prise de contact.De mon voyage depuis Paris via Dubaï sur Emirates, je retiens que je ne sais plus voyager léger… Il est vrai que les circonstances de ce voyage en Chine n’étaient pas ordinaires ; car en bouclant ma grosse valise grise, je bouclais aussi l’appartement que j’avais loué à Paris pendant un an. Mes affaires venaient de repartir à Villebon dans le garde-meubles par lequel elles avaient transité lors de mon retour de New York.Dans le taxi qui me conduisait à Roissy un dimanche après-midi, je pris enfin le temps de lire mon billet électronique. J’en conclus aussitôt que la valise que j’avais transportée à bout de bras avec tant de difficulté du 6ème étage au rez-de-chaussée, dans mon déjà-ancien-immeuble de la rue Lacépède, excédait de beaucoup les 20 kgs autorisés…En approchant du guichet de la compagnie, j’opte pour l’attitude américaine du consommateur responsable. Au lieu de rentrer dans la file d’attente, je vais droit vers un employé auquel j’expose ma situation, de la manière la plus objective, sans chercher à l’apitoyer, sans mettre en place une quelconque stratégie. Après m’avoir écouté, il propose :- Il faut compter de 30 à 50 € selon les destinations par kg supplémentaire. Vous permettez que je la soulève ?A sa grimace, je sais que nous venons d’entrer dans la seconde phase de notre interaction. Il faut maintenant peser ma valise. Mais c’est lui qui déjà la fait rouler et nous dirige vers le guichet de la classe affaires. Je n’ai même plus à faire la queue. Là, un autre employé, jeune aussi, prend les choses en mains :- Elle pèse plus de 37 kg. Le double ou presque du poids autorisé.Le premier consulte une brochure dans laquelle il vérifie que le poids maximum toléré pour un vol vers la Chine est de 32 kgs. Le second en déduit :- Ce qui nous laisse 5 kg excédentaires que vous allez transvaser dans votre sac cabine qui n’a pas l’air trop chargé. Il va falloir vous mettre à l’écart dans le hall pour alléger votre valise et éliminer 2 ou 3 kg.Je m’installe près d’une aire de repos dans la sorte d’alcôve que forme sur sa droite l’une des portes d’entrée en rotonde. Ma valise s’ouvre comme un fruit mûr. Je n’ai pas le temps de réfléchir et je suis déjà dans l’énergie du départ qui voudrait qu’on se déleste de tout. Qu’est-ce qui est en trop et qu’on ne va pas garder ? Qu’est-ce qui aura droit à une seconde chance et basculera dans le sac cabine ? Je commence par les livres, toujours trop lourds, sachant que les livres qu’on emporte ne sont pas ceux qu’on lira en voyage. Je m’attaque ensuite à la trousse de toilette et j’élimine les préparations superflues recommandées par mon médecin. J’avise alors une pile de cahiers Moleskine, souples mais lourds, que je dégage sans remords. Une paire de souliers achetés à Londres pend un instant au bout de mon bras, avant de plonger dans le sac cabine. Le fruit a maintenant rendu un peu de son jus et la coque se referme plus facilement. Je me relève et me tourne vers une femme qui me regarde faire. Je lui tends les livres, les cahiers, les solutions ; elle les accepte, m’explique qu’elle repart en Afrique et nous nous sourions. En m’éloignant, je vois qu’elle feuillette un petit guide de New York.Près de 24h plus tard, en défaisant la maudite valise dans l’appartement où je vais habiter dans les deux mois qui viennent, à Beijing où il fait lourd et chaud, comme à New York l’été, je me demande ce qui m’a pris à Paris. Je n’ai pas emporté les bonnes affaires, juste celles que j’aime et dont je ne voulais pas me défaire au moment où j’envoyais tout au garde-meubles, incertain de la date et du lieu où je les retrouverais. Un pull en laine, une veste en jean, un pantalon de flanelle, une écharpe même… A quoi ai-je donc pensé ? Je sépare alors les vêtements inutiles, que je stocke au fond de la penderie, de ceux dont j’aurais sans doute l’usage. Dans la dolence du voyage qui s’achève, juste avant mon premier sommeil à Beijing, je me dis que j’ai eu trop de choses à penser à Paris. Il était temps que je m'en aille.En descendant vers l’aéroport, l’avion n’en finissait pas de traverser d’épaisses couches de nuages. On dirait ce matin encore un temps d’orage, le ciel est bas et gris, nuancé d’un brun probablement dû à la pollution. La masse en était si dense hier à l’atterrissage qu’on ne discernait rien de la piste sur les écrans de visualisation.Du vol, et de l’escale de nuit à Dubaï, je garde une impression d’enchantement. Assis dans la travée centrale, j’étais trop loin d’un hublot pour rien voir de notre progression « en direct » (d’ailleurs, les vols ont lieu aujourd’hui dans l’étrange lueur onirique des écrans individuels, tous stores baissés), mais je la suivais « en virtuel ». Et je découvrais au fur et à mesure des noms de légende qui figuraient une série d’axes que je n’avais jamais pensé relier entre eux : Venise, Istanbul, Baghdad, Dubaï, la Mandchourie… La figuration digitale de notre route déformait ma représentation, normée par la logique des atlas qui veut que l’est soit indiqué à droite, alors qu’il l’était en bas sur mon écran. Le relief se présentait tout autrement de ce que je m’en figurais.En cours de route, j’ai expérimenté pour la première fois, et ce à deux reprises, mes premières sensations de la foule chinoise. Chaque nation, sans doute, a sa propre culture de la foule ; être au milieu d’une foule c’est en percevoir la logique propre. La première fois, c’était dans le corridor d’accès à l’avion à Roissy : une cinquantaine de touristes chinois se tenaient prêts à embarquer, se haranguant joyeusement les uns les autres ; la seconde, dans la salle d’embarquement à Dubaï, où une seule hôtesse peinait à temporiser les voyageurs : une masse de travailleurs, du moins que j’ai pensé tels, des hommes exclusivement, en noir, les yeux rougis de fatigue. Dans les deux cas, il y eut d’abord une sorte de bousculade, chacun cherchant à gagner les premiers rangs au plus vite, puis tous se figeant en une immobilité tendue mais contenue dans l’attente des consignes, sans plus bouger de sa place.

Dans la voiture qui m’emportait de l’aéroport jusqu’à Sanlitun, le quartier où j’allais habiter, j’accueillais tout sourire mes premières images de Beijing : le ciel d’orage dont j’ai déjà parlé, d’immenses arbres en fleur saturant l’air lourd de charges de pollens, d’énormes barres d’immeubles ou d’immenses tours se succédant sans fin, agrémentées parfois d’un détail traditionnel, morceau de pagode ou tête de dragon, deux nageurs dans une rivière en pleine ville, un jeune policier dans la remorque d’un livreur d’eau à vélo, et partout où le regard se porte, le flux continu des voitures et des bicyclettes.

Je repensais aussi au coup de fil de Sonia, reçu juste avant d'embarquer à Roissy :

- Ne tiens pas compte de tes premières impressions. Mets-les sur le compte de la fatigue. En arrivant, c'est sûr, tu auras le blues. Couche-toi et dès le lendemain, ça ira mieux.

Après une pause, elle précise :

- Promets-moi de décider vite ce que tu feras et où tu iras en rentrant de Chine.

Et déjà je pensais à Istanbul, Tel Aviv, le Japon...

A l'instant où j’ai récupéré ma grosse valise sur le tapis roulant de l’aéroport, un chien s’est élancé vers moi pour s’immobiliser la truffe collée contre la toile rouge de mon sac cabine. A l’autre bout de la laisse, le visage du maître, un jeune douanier chinois, et derrière lui, les yeux écarquillés des autres voyageurs qui se penchent vers nous. Sa main plonge dans mon sac avant de se saisir de l’objet d’un délit : deux pommes achetées la veille au marché de la place Monge. Deux fruits qu’il est interdit d’emporter avec soi lorsqu’on entre en Chine, ce que j'ignorais, comme c'est également le cas aux Etats-Unis, deux fruits dont je m’étais chargé inutilement, comme de tant d’autres choses. Par la fenêtre, avant d’aller au lit, je vois une étendue d’arbres en fleur, peut-être des marronniers, et au-delà des frondaisons, une courte skyline. Ce pourrait être South Central Park observé depuis la grande pelouse, au sud du Park… Juste en face de mon immeuble, je note une légation étrangère, sans que je sache identifier le drapeau qui pend dans l’air sans vent. Sur la table, un bouquet de fleurs mauves, dont je ne connais pas le nom. Des fleurs de lotus ? Je sens la fatigue grandir en moi et je me dis : Je suis en Chine.

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