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Billet de blog 24 juin 2020

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Le polymère est une ordure

Les océans sont notre poubelle. S'il pouvait s'agir d'une allégorie jusqu'à maintenant, malheureusement c'est devenu une réalité concrète. On connait maintenant la localisation et la concentration de microplastiques dans les principaux océans de la planète, concentrant nos déjections dans des gyres qui tournoient tel un vortex scatologique infernal.

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Alors que le citoyen se croit vertueux en jetant ses ordures dans le bac de la bonne couleur, celui-ci continue d'acheter frénétiquement des produits jetables, l'usine continue de cracher ses mégatonnes d'emballages.

Illustration 1
Atlas du plastique © Fondation Heinrich Böll

Responsabiliser les consommateurs ou bien les producteurs ?

Il fallait voir ce reportage d'Envoyé Spécial mettant en scène une journaliste aisée dans son appartement de la butte Montmartre (Reportage "Ma vie sans plastique"), essayant de combler sa conscience écolo par des petites lubies toujours plus frivoles, par des comportements d'achat toujours plus idiots, par un asservissement toujours plus aveugle. Elle fait mine de découvrir que tout son petit intérieur bourgeois est composé de matières plastiques, en prenant soin d'ignorer ses vêtements en fibres synthétiques, le placage de ses meubles en aggloméré, la peinture acrylique sur ses murs, les jouets de ses enfants, etc… Elle fait le tri et récolte tous les contenants en matière plastique, jetables ou non, utilisables ou non, neufs ou non. Et elle les jette à la poubelle… Elle ne s'est pas demandé comment elle pourrait le réutiliser, le valoriser, le garder maintenant que c'est là et que ça ne peut pas être éliminé. Non elle préfère tout balancer, elle l'avait acheté bêtement, elle le jettera tout aussi bêtement. Et comme on le verra plus loin, ça finira probablement dans une décharge, enfoui dans la nature mais hors de  sa vue, hors de son intérieur, ne mettant plus à mal sa pudeur citadine. Puis elle voudra remplacer tout ce bazar par des contenants non polluants, pas en plastique surtout, quelque chose de beau, propre, solide, conforme à sa vision étriquée de consommatrice modèle, conforme au design léché de son appartement Ikea. Alors elle ira dans la boutique bobo en bas de chez elle et elle dépensera sans compter dans des sacs en jute, des tupperwares, des bocaux en verre de la dernière tendance. Il y a tellement à dire sur ce reportage*.

*La scène où elle achète une salade préparée à la boulangerie est à mourir de rire, obligeant la commerçante à lui transvaser dans son bol, ignorant soigneusement que l'emballage et les couverts en plastiques vont aller directement à la poubelle exactement comme prévu. 

Pitoyable démonstration du comportement moderne: avide de dépenser, satisfait de posséder, pressé de jeter. Parfaite démonstration du charlatanisme des commerçants qui ont toujours la solution du problème qu'ils ont créé, moyennant finance bien sûr. L'orgueil du propriétaire qui considère sa bonne conscience et l'intérieur de sa maison plutôt que les conséquences sur l'environnement et sur les autres. Celui qui dépose son sac poubelle sur le seuil de sa porte, parce que les parties communes de la résidence ça n'est pas chez lui, donc c'est acceptable. Nous faisons la même chose avec nos déchets électroniques, nous les poussons hors de nos murs, dans les parties communes de la planète.

Il fallait voir cet autre reportage de Cash Investigation (Reportage "Plastique: la grande intox") mettant pour une fois le doigt sur une idée lumineuse: ce sont les producteurs qui sont responsables de la pollution qu'ils génèrent. Le consommateur n'a que faire de ce qu'il y a autour de son steak. Et d'ailleurs même les bouchers feraient bien d'utiliser du journal au lieu du papier siliconé, non recyclable, que l'on balancera sitôt arrivé chez soi. Ça n'est pas l'affaire du client de gérer l'emballage qui a été choisi par le producteur pour garder son produit frais. Ça n'est donc pas son affaire de devoir gérer l'élimination du sachet plastique qui entourait son kilo de tomate dans le court laps de temps qui s'est écoulé, de l'usine de conditionnement jusqu'à la porte de son frigo. Quel consommateur a formulé la demande d'acheter ses produits frais comme ça? Aucun. Quel consommateur a demandé à avoir sa bouteille de Coca en plastique et non pas en verre ? Aucun. L'industrie l'a imposé, réduisant le coût du transport et étendant l'envergure de son circuit de distribution. Au consommateur de se débrouiller avec ses déchets.

Les réactions sur Twitter au reportage cash investigation? Des commentateurs qui s'offusquent contre les détritus au bord des routes, et dont l'attachement profond à l'ordre bourgeois et la propreté se confond avec la pseudo prise de conscience écologique. (L’angle de l’émission fait débat (REVUE DE TWEETS)). Impressionnant de voir des citoyens qui sont les victimes du dérèglement climatique et de la pollution globalisée s'offusquer de l'angle du reportage et défendre les intérêts des multinationales. Comme pour beaucoup d'autres business (l'eau en minérale, l'agroalimentaire, la cosmétique, etc…) dans le domaine du packaging plastique, les consommateurs n'ont rien demandé. Utilisant les bouteilles en verre, un procédé de recyclage vertueux, les utilisateurs ne se sont jamais plaint. Les fabricants comme Coca-Cola ont pris les mesure à leur avantage, vendant un peu moins cher un produit qui leur coûte beaucoup moins . Remplaçant un procédé éprouvé par un procédé polluant impossible à recycler et basé sur l'extraction du pétrole.

Evidemment la filière plastique répond à sa façon, prenant le prétexte du transport pour justifier l'utilisation massive des polymères dans l'emballage. Mais nous n'avons jamais demandé à recevoir des marchandises alimentaires fabriquées à 5000 km. Utilisons le bocal en verre et consommons local! (Réaction de la filière plasturgie au reportage).

Illustration 2
Le site d'extraction de gaz naturel ExxonMobil de Papouasie Nouvelle Guinée. On fabrique le polyéthylène (PE) à partir de l'éthylène, obtenu par craquage du gaz naturel. Le plus gros producteur de PE d'Europe est ExxonMobil. © Exxon Mobil

 Vision entropique

Ainsi la nature ne fait aucune différence entre une bouteille plastique dans une décharge à ciel ouvert et une bouteille plastique jetée au bord de la route. D'un point de vue entropique c'est la même chose, elle se décomposera pareil, elle polluera pareil, l'érosion et les microorganismes la dégraderont très lentement jusqu'à ce qu'elle se divise infiniment. L’œil du riverain est seulement choqué par une pollution d'ordre visuelle lorsqu'elle vient désordonner la perfection d'une route en asphalte ou d'un sentier pédestre, et peut-être même davantage par une peau de banane que par une pile usagée.

Le verre est un matériau inerte, qui se dégrade moins vite que le plastique mais qui est inoffensif tout au long de sa vie en tant que déchet. Une bouteille en verre peut couler au fond de la mer, cela n'a pas de conséquence sur la vie aquatique, au même titre que dix mille bouteilles. Au pire quelques plongeurs vont se voir fâchés lors de leur petite sortie plongée pendant les vacances aux Caraïbes. Le problème des matières plastiques c'est justement leur temps de dégradation qui est intermédiaire, trop long pour être totalement jetable ou compostable (comme du papier par exemple) et trop court pour être inerte sur le temps long. Si un déchet plastique restait à l'état de bouteille sur 500 ans, il ne polluerait pas au sens où on l'entend aujourd'hui. C'est justement parce qu'il s'use, qu'il se divise, qu'il se délite lentement, qu'il atteint une taille microscopique à moyen terme qui pose problème: les organismes vivants les ingèrent, ça modifie les propriétés de l'eau, ça a une influence néfaste sur le vivant.

Par le ruissellement des eaux, le courant des rivières et des fleuves, tout ça se retrouve à tournoyer dans les gyres océaniques, tels les sanitaires du monde.

Illustration 3
20 ans de déchets plastique accumulés hors de la rivière Citarum à Bandung, Java, Indonésie © Ed Wray - Getty Images

 Recyclage

Lorsqu'un producteur de bouteilles en verre fabrique, il peut incorporer jusqu'à 80 % de déchets provenant du circuit des conteneurs (clikeco - le recyclage du verre). Pour fabriquer une bouteille plastique, un fabriquant incorpore aujourd'hui au maximum 10% de déchets (journaldelenvironnement).

Quand on donne le chiffre du pourcentage de déchets recyclés (60% des bouteilles plastique aujourd'hui, 22% de tous les plastiques), on donne, en creux, le pourcentage qui ne l'est pas (donc enfoui ou incinéré), mais surtout on ne donne pas le chiffre de ce qui est produit avec de la matière neuve, c’est-à-dire ce qui est produit en tant que matière jetable, en tant que futur déchet. Atteindre 100% de bouteilles plastiques recyclées ne veut pas dire qu'on arrête de polluer, mais qu'on arrive à incorporer 100% de ce qu'on a produit hier dans ce qu'on va produire demain, c’est-à-dire plus que les 100% d'hier. Non seulement on atteindra jamais ce chiffre car les fabricants veulent un produit transparent, pur, vendable, ce que ne leur permet pas le process actuel, mais en plus cet objectif ne limite absolument pas la quantité produite qui reste en croissance exponentielle.

En gros aujourd'hui, on peut  résumer la répartition en trois tiers pour l'ensemble des déchets municipaux: un tier est enfoui, un tier est en décharge à ciel ouvert, un tier est revalorisé (recyclé ou incinéré) (futura-sciences). Le fantasme qui consiste à penser que quand on jette son déchet dans la poubelle, le problème est réglé, "ma maison est propre et j'ai bonne conscience" est un gros problème de société.

L'autre fantasme, qui consiste à penser que je dois mettre le déchet dans la bonne poubelle et pas dans un fossé au bord de la route, est à peine moins grave: le problème est le même, dans deux cas sur trois ça finit dans la nature.

La logique de l'automobiliste qui balance sa bouteille ou son mégot par la fenêtre de sa voiture, parce qu'il ne veut pas souiller son intérieur cuir, est pratiquement la même que la logique du résident pavillonnaire qui sort son sac poubelle le dimanche soir sur le trottoir: "dedans c'est chez moi, je ne veux pas de déchets, dehors ça n'est pas chez moi je peux balancer tout ce qui m'encombre." L'extérieur de chez soi étant considéré dans le monde capitaliste comme ce qui ne m'appartient pas, et dont le sort m'importe peu: le fossé de la route, la décharge municipale, l'océan.

La seule solution est d'arrêter de produire des objets jetables, en premier lieu les emballages. La logique que l'on a eu avec les sacs plastiques interdits en magasins est la bonne, il faut la généraliser à tous les emballages alimentaires. Si on avait compté sur le comportement des usagers, conditionnés et captifs de la propagande des fabricants, cela n'aurait pas marché. On a forcé les magasins à ne plus donner de sacs, usant de l'autorité légitime de l'état.

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