Parmi les partisans assimilationnistes durant les années 20 en Algérie, Hocine Hesnay-Lahmek est un auteur controversé. Claude Liauzu est l’un des rares à le citer dans son remarquable essai intitulé : Passeurs de rives, Changements d’identité dans le Maghreb colonial aux Editions L’Harmattan. « Le recours à la culture française pour affirmer la berbérité est une stratégie qui a été abondamment utilisée et qui reste encore actuelle ! » Ecrit Claude Liauzu. Les berbères ne sont pas les seuls ! Et puis nous communiquons avec la culture du bord !
J’ai découvert Lettres Algériennes, en nomadant dans une brocante. Ce livre était par terre, dédicacé : Au Directeur de l’Ecole Coloniale. Je suis d’abord surprise des feuilles non coupées.
N’ayant pas été édité depuis 1931, j’insiste pour vous présenter un extrait de Lettres Algériennes, publié un an après les fêtes officielles du centenaire de la colonisation.
L’organisation actuelle, en effet, menace ruine. Elle détruit les chances d’assimilation des Berbères. Elle tend à les islamiser, au lieu de faire le contraire, c’est-à-dire de tâcher de sauver les Arabes en les berbérisant. Pour vous démontrer que je n’exagère rien, je me permettrai de citer M. Augustin Bernard. « La domination française a certainement contribué à arabiser, à islamiser les régions Berbères. C’est très juste, les jeunes Berbères étant obligés pour participer à l’administration algérienne d’apprendre, au lieu du français, de l’anglais, de l’allemand ou de l’italien, c’est-à-dire une langue bien vivante, _ l’arabe, une vieille langue dont l’adaptation aux nécessités modernes, en dépit de plusieurs tentatives louables, mais malheureuses, est bien imparfaite et d’un succès problématique. Pourquoi pas l’Hébreu ou la langue chaldaïque juste ciel ! C’est très juste aussi parce que les paysans berbères sont obligés, pour savoir ce que contiennent leurs actes juridiques, d’aller chercher, à dix kilomètres, un berbère qui sache l’arabe, alors que lui et la moitié des gens de son village parlent couramment le français .C’est très juste enfin parce que le berbère n’est presque pas enseigné et que les Algériens, d’origine arabe, veulent pas se rendre compte qu’il est également de leur devoir d’apprendre le berbère.
En tous cas, retenez mon cher Ami, qu’au nom du peuple le plus intelligent et le plus éclairé de l’univers, la République laïque, mal conseillée, prend par la main « la Fille aînée de l’Eglise », et va par ignorance et inconscience la mettre au service de Mahomet pour islamiser les descendants de Saint-Augustin, et enfoncer la Berbérie plus avant dans l’Orient. Ce qui ne l’empêche pas d’ailleurs de continuer à honorer la mémoire de l’évêque d’Hippone dont le nom est inscrit sur toutes les places publiques. Quelle contradiction dans tout cela, quel mélange, et comme disait Saint-Simon « quel ragoût » !
Mais me direz-vous, mon cher ami, que font ceux, républicains ou non, invoquent incessamment Saint-Augustin, Saint-Cyprien et tous les saints Africains ? Eh bien ! Ils se réfugient dans un sage et prudent silence, dont l’exemple leur vient, d’ailleurs, de plus haut. Le Saint Père croit plus juste, en effet, de parler _ dans sa dernière encyclique par exemple_ de Saint-Augustin, de celui qui a fixé la doctrine chrétienne pour l’Occident et l’a empêchée de périr sans se demander s’il a eu des ancêtres et s’il a des descendants. Il réserve ses faveurs à d’autres et c’est à croire que Saint-Augustin est « tombé du ciel ».
Bien plus, des écrivains français chrétiens se servent du sain évêque berbère pour obtenir des honneurs académiques et s’en vont ensuite chanter sur les toits, sans doute pour faire admirer par le monde entier leurs belles vertus et leurs beaux sentiments de gratitude, que les « berbères » et leurs frères les arabes « ont l’esprit aussi désert que les déserts de l’Arabie…… »
Encore excuserait-on tous ces catholiques français, si en voulant s’acquitter d’une véritable dette morale, c’est-à-dire en aidant les berbères à se relever, ils s’attireraient « des ennuis ». Ah ! Qu’ils se rassurent, si c’est cette crainte qui les arrête, ils ne courent pas les mêmes dangers que Byron !
A leur place, si je niais l’existence de cette dette morale, si je ne voulais pas agir, j’aurai au moins la pudeur de ne jamais penser aux Saints Africains.
Et les laïques, me direz-vous, mon cher Ami, qui républicains comme et vous et moi, font une distinction entre l’Etat et la religion quelle qu’elle soit, que font-ils, que disent-ils ?
Les républicains laïques, mon cher Desnoyers, ont une attitude éminemment plus digne : ils s’en remettent à l’esprit d’équité qui anime et soutient la ligue des Droits de l’homme et du Citoyen dans les âpres luttes quotidiennes qu’elle livre…. Pour ne pas mourir.
Lettres Algériennes, Préface de Maurice Viollette, sénateur, Ancien Ministre, Ancien Gouverneur général de l’Algérie, Jouve & Cie, Editeurs, 1931.