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Billet de blog 10 juillet 2013

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Histoire et sens au Maghreb

Ce fut un grand bonheur de rencontrer le Pr Djamil Aïssani, à Paris, chez un ami éditeur.  Il nous a relaté le cheminement passionnant de ses recherches, en particulier, de manuscrits scientifiques enfouis sous terre par une femme au milieu du XIXe siècle.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce fut un grand bonheur de rencontrer le Pr Djamil Aïssani, à Paris, chez un ami éditeur.  Il nous a relaté le cheminement passionnant de ses recherches, en particulier, de manuscrits scientifiques enfouis sous terre par une femme au milieu du XIXe siècle.   Il nous a aussi raconté son parcours de mathématicien à l’Université de Bougie en Algérie.  Et puis, il s’attacha à nous exposer la réalisation d’une importante exposition permanente à Tlemcem. 

Ce grand mathématicien s’est transformé en investigateur de manuscrits en langue maghrébine. 

Humble et consciencieux, j’ai été émerveillée par son aisance dans la rigueur, sa démarche scientifique indifférente aux honneurs académiques, son esprit méthodique et généreux. Il nous livra brièvement,  l’ensemble de ses recherches qui a commencé en 1985.

Lorsque le Pr Djamil nous a fait part de ses récentes découvertes, il souligna l’apparition d’une régression intellectuelle  à partir du 16ème siècle au Maghreb. Le contenu des bibliothèques  et les enregistrements de prêts de livres permettent d’évaluer le niveau intellectuel d’une population. Il relève donc, à partir des manuscrits exhumés, que leurs contenus font apparaître, en médecine, en astronomie, en musique et pareillement dans les autres disciplines, une perdition intellectuelle vitale. La raison essentielle de cet état d’appauvrissement du savoir résulte de ce que les commentaires proviennent d’autres commentaires, et non d’une source première.

Cependant d’autres documents prouvent l’existence d’une vie intellectuelle d’une grande richesse sur l’ensemble du bassin méditerranéen.  Des récits de voyage, celui  d’Ibn Hamadouche, né en 1695,  décrit la comète de 1744 en conformité avec les observations de l’astronome suisse Jean-Philippe Loys de Chéseaux.  La première monographie datant du 13ème siècle, du célèbre géographe Ibn Saïd Al-Magribï, qui composa un ouvrage de géographie à partir de l’œuvre de Ptolémée fut diffusée en Europe.  Le Pr Djamil a aussi recueilli un ensemble de traités relatifs aux infrastructures hydrauliques datant du XIIème siècle. Dès le XIIème siècle, des jardins servaient à l’expérimentation botanique destinée à la pharmacopée et à l’agronomie. Ibn Al-Rumiya, né en 1165, nomme en berbère, les plantes utilisées en pharmacopée, il est considéré comme le plus grand botaniste du monde musulman.  Mort en 1004, Ibn Al-Djazzar est l’auteur de plusieurs ouvrages de médecine transmis à l’école italienne de Salerne dans une traduction latine. Les traités de Al-Djazzar feront largement autorité dans les universités européennes. Parmi ses découvertes, on retrouve des poèmes de mathématiciens pour permettre une assimilation plus facile de la discipline en question, ainsi  que des traités très anciens, dont celui du maghrébin Al-Hassar, vivant autour de 1175, auteur d’un manuel sur les fractions et sur les nombres entiers.  Cet ouvrage fut traduit en hébreu par Moïse Ibn Tibbon en 1271, puis propagé en Europe.  Numération, science du calcul, architecture, musique, méthode de navigation, théologie, philosophie, médecine etc.… toutes ces sciences furent enseignées au Maghreb.

De l’Andalousie à l’Extrême Orient et du Xe au XIXe siècle, la diversité des origines des auteurs  etc. des périodes de rédaction des ouvrages) est un indicateur de l’étendue des connaissances qui étaient alors à la disposition des érudits. Par ailleurs, de nombreux documents permettent d’effectuer une véritable incursion dans le XIXe siècle : Pactes d’héritage, actes notariés… Des dizaines de témoignages répertoriés donnent des informations précises sur l’histoire locale (insurrection de 1871, famine de 1877, épidémie de 1753, invasion de criquets en 1850, prix des produits…).

Au terme de son résumé qui dura plus d’une heure, et des échanges suivis sur plus de deux heures,  il m’apparaît important de saluer une si belle entreprise de recherches scientifiques en soulignant les effets et la complétude de l’approche archéologique du savoir du Pr Djamil Aïssani, bien loin encore d’être achevée.

Revisiter l’histoire du savoir au Maghreb, reconstituer un état des lieux de ce savoir pour en analyser ses richesses et ses faiblesses permettra de refonder nos institutions en vue d’introduire tous les savoirs modernes. Tel est à mon sens la dialectique générée par cette exhumation archéologique des savoirs anciens.

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