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Billet de blog 10 sept. 2012

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Serge Michel : le fantôme du vingtième siècle

Passeur extrême et décolonisateur, Serge Michel né Lucien Douchet est une synthèse patronymique de Victor Serge[i], révolutionnaire russe et de Louise Michel, « la communeuse », figure emblématique du drapeau noir[ii]. Assurément anarchiste libertaire, précisément ininstrumentalisable, ce révolutionnaire internationaliste a permis la réalisation de nombreux projets journalistiques et cinématographiques en Algérie

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Passeur extrême et décolonisateur, Serge Michel né Lucien Douchet est une synthèse patronymique de Victor Serge[i], révolutionnaire russe et de Louise Michel, « la communeuse », figure emblématique du drapeau noir[ii]. Assurément anarchiste libertaire, précisément ininstrumentalisable, ce révolutionnaire internationaliste a permis la réalisation de nombreux projets journalistiques et cinématographiques en Algérie : C’était la guerre ; film issu d’une coopération consensuelle du Commandant Azzedine et de Jean-Claude Carrière. Cofondateur d’Alger ce soir en 1964, il recevra le prix international du journalisme.  Par ailleurs, ami de Gillo Ponte Corvo, il a facilité des liens qui ont permis la réalisation du film ; la bataille d’Alger, Lion d’Or au Festival de Venise en 1966 ; longtemps censuré en France, sous la pression des associations de rapatriés.

Apostasiant le régime de castes de la IIIe et IVe République, Serge Michel déserte la nation française pour « en finir avec ce monde qui est en train de crever » reprend Marie-Joëlle Rupp, dans un magnifique livre consacré à son père, Serge Michel Un libertaire dans la décolonisation, publié aux Editions Ibis Press en 2007, que les Editions Apic, à Alger, réédite cette année, en septembre.

Marie-Joëlle a un an lorsque son père, Serge Michel, part sur la pointe des pieds, œuvrer pour la décolonisation.

 Quand j’ai quitté l’Europe, écrit-il,  avant d’embarquer, j’ai accroché ma gabardine, presque une loque, que j’aimais bien, au portemanteau d’un bistrot et je me suis tiré...[iii]

Alger 1950, les inégalités sont de plus en plus révoltantes, créant des causes de frustrations violentes. Serge Michel arrive cinq ans après le massacre de Sétif et de Guelma. Je ne parle pas arabe. C’est inutile, le film est sans parole, dira-t-il lorsqu’il entrera dans la Casbah. L’incapacité de l’Etat français à imposer un système fondé sur des rapports citoyens d’égalité, l’arriération d’une machinerie coloniale qui entretient, toute honte bue, l’inculture et la pauvreté chez les français musulmans, dans le but de préserver leurs privilèges ont poussé le peuple algérien à se révolter.

 Serge Michel est un passeur qui se ralliera à la cause indépendantiste algérienne, acceptant  l’idée de l’action armée. Rédacteur à La République Algérienne, il collabore au Moudjahid, dirigé depuis Tunis par Abbane Ramdane[iv], partisan d’un mouvement laïc. Il a aussi travaillé avec Frantz Fanon, auteur des Damnés de la terre.

Sur la décision du G.P.R.A.[v], il conseille Lumumba, Premier ministre du Congo ; victime d’un coup d’Etat le 14 septembre 1960, il sera assassiné à l’instigation de la puissance coloniale belge et des services secrets des Etats-Unis d’Amérique (C.I.A).

Serge Michel a poursuivi son combat révolutionnaire, à l’instar de Frantz Fanon qui a été désigné comme représentant du G.P.R.A, à Dakar. Ce dernier succombe avant, malheureusement, d’une grave maladie le 6 décembre 1961. Serge Michel sait qu’une des armes puissantes contre les systèmes de répression est celle de la parole en tant qu’acte politique. Serge Michel comprend donc vite la nécessité de l’existence d’une presse anticoloniale.

Après l’indépendance, l’aura révolutionnaire de la lutte de libération algérienne attire les Blacks Panthers, Che Guevara, Amilcar Cabral, Agostino Neto, etc.  Alger devient alors la Mecque des révolutionnaires du Tiers-Monde notamment. Serge Michel les fréquente, mais un autre exil l’attend. Après avoir contribué au développement du cinéma algérien, il repart en Afrique pour créer au Congo, en Guinée Bissau, au Cap-Vert, des écoles de journalisme. Ce libertaire appelle l’humanité souffrante à se faire entendre en abandonnant sa peau d’animal sans logos construite par un infâme projet colonial.  Ce poseur de journaux comprend vite que la parole possède cet attribut vital qui rend possible une accélération de la libération de tous les damnés.    

Enfin, la mémoire de Serge Michel est à cultiver non seulement parce qu’elle s’inscrit dans l’épopée d’une solidarité effective entre des forces de progrès issues de toute horizon géographique et culturel mais aussi parce qu’elle représente une référence politique significative. En effet, des citoyennes françaises et des citoyens français, par leur engagement en faveur de la lutte du peuple algérien pour sa liberté peuvent aujourd’hui permettre de bâtir des relations plus apaisées entre la France et l’Algérie.

Inhumé au cimetière Al-Alia (proche de la banlieue d’Alger), où reposent de grandes figures de l’indépendance de l’Algérie, cette reconnaissance officielle réservée à Serge Michel par les autorités algériennes, est un acte qui garde encore une flamme des idéaux de sa lutte.

"Ce fantôme du siècle" selon l'expression de Jean-Claude Carrière, était aussi poète, écrivain et peintre. 

Fadéla Hebbadj

Marie Joëlle Rupp, Serge Michel un libertaire dans la décolonisation, Editions Ibis Press et, Editions Apic.


[i] Viktor Lvovitch Kibaltchitch est né en Belgique le 30 décembre 1890, il meurt à Mexico le 17 novembre 1947. Militant anarchiste, chargé de la correspondance internationale à Berlin puis à Vienne en 1923. Il s’oppose à la politique coloniale au Congo. Serge Victor est reconnu pour sa brillance et sa perspicacité en matière littéraire et politique. Parmi ses œuvres : S’il est minuit dans le siècle, Collection les cahiers rouges, 2009. Les derniers temps, Collection les Cahiers rouges, 1998, Vie et mort de Léon Trotsky, Editions la Découverte, Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression, Editions Zones, 2009…

[ii] Texte de la Défense de Louise Michel prononcée le 22 juin 1883 ; In Ecrits sur l’anarchisme –Editions Seghers, 1964. Ah, certes, monsieur l’avocat général, vous trouvez étrange qu’une femme ose prendre la défense du drapeau noir, pourquoi avons-nous abrité la manifestation sous le drapeau noir ? Parce que ce drapeau est le drapeau des grèves et qu’il indique que l’ouvrier n’a pas de pain. Si notre manifestation n’avait pas dû être pacifique, nous aurions pris le drapeau rouge ; il est maintenant cloué au Père-Lachaise, au-dessus de la tombe des morts(…) Le peuple meurt de faim, et il n’a même pas le droit de dire qu’il meurt de faim. Eh bien, moi, j’ai pris le drapeau noir, et j’ai été dire que le peuple était sans travail et sans pain(…) Et peut-être vous-mêmes, à votre tour, vous serez du côté des indigènes si votre intérêt est d’y être. 

[iii] Serge Michel, Nour le Voilé, Editions Seuil, juin 1982.

[iv]  Concepteur et organisateur du Congrès de la Soummam (1956), Abbane Ramdane a été assassiné fin 1957 ou début 1958 ?, au Maroc, par une coalition de comploteurs dont l’exécuteur fut Abdelhafid Boussouf, Ministre des Liaisons Générales et de la Communication.

[v] Le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne du F.L.N.

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