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Billet de blog 11 avril 2013

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Un jour, le crime

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Comment pouvais-je ignorer un tel texte ? Ne faut-il pas avoir une intelligence singulière pour se confronter au mal devenu souverain dans les multiples visages du fait divers ?

Et me voici face à l’assassinat de ma mère et de ma sœur que j’ai littéralement reconstitué dans mon ouvrage les Ensorcelés,publié le 26 août 2010, l’année même où J.B. Pontalis a écrit Un jour, le crime.

Et soudain me vient une appréhension d’ajouter à son entaille, mon terrible fait divers. Et s’il avait lu mon livre ! J’ai eu peur de l’avoir heurté, de l’avoir fracassé, cet homme-là, dont j’aime si profondément la clarté. Une peur sans doute infondée !

Etrange appréhension concernant un texte qui m’est absolument nécessaire.

 Au commencement était… Un commencement sans fin.

Le 19 avril 2010, à Boissy, Jean-Bertrand Pontalis contemple son jardin peuplé de deux marronniers, d’un bouleau et d’un hêtre, d’un lapin broutant sagement son herbe, et de deux merles au bec jaune. Tout est calme. Le volcan d’Islande a mis en déroute le vacarme aérien.

Comme elle me paraît fragile, alors, illusoire l’harmonie que j’ai trouvé à l’instant, dans l’oubli de la masse d’un gris proche du noir et de cette pluie de cendres dont j’imagine qu’elle pourrait bien un jour recouvrir la terre entière et mettre fin à toute vie, à commencer par celle de l’humanité. Une extermination totale, une Shoah définitive…  Ecrit-il dans le premier chapitre de son livre titré : Un jour, le crime.     

C’est dans cette atmosphère troublante, qu’il cherche des témoignages irréfutables de ce que je peine à trouver en moi. Poursuit Pontalis.

Il relate allusivement la haine jalouse de son frère et de la Grande guerre vécue par son père. Au musée d’Orsay, il va revoir « Crime et châtiments » dans l’espoir de trouver une réponse à cette mystérieuse interrogation : Qu’est-ce qui pousse au crime ?

Et quand il s’agit de crimes, ce n’est plus d’un accroc dans le tissu des jours qu’il est question, c’est d’une entaille comparable à celle que produit une arme tranchante dans la chair. Notre logique et notre désir de comprendre sont mis à mal, nos repères vacillent : « Ce n’est pas possible, cette histoire ! » Oui, nous avons peine à y croire, pourtant les faits sont là. Et les faits sont têtus, était contraint de reconnaître cet entêté de Lénine. Livre-t-il.

Il ressent une détestation pour la violence. Mais il nous met en garde contre toute détestation, car Il y a de la violence dans toute répugnance.

Jean-Bertrand Pontalis axe aussi notre méfiance contre ces airs de criminels que l’on exige sur nos cartes d’identités.

 Prenons-garde : nos cartes d’identité sont désormais infalsifiables.

Ainsi dans cette quête tourmentée, des livres traitant de la violence et du crime tapissent sa table. Si l’on dit que l’homme est un criminel en puissance, il ne veut pas être cet homme-là. Il se définit plutôt comme…

Un criminel innocent.

Le voici face au tribunal de sa propre conscience, explorant les ouvrages psychanalytiques, les romans, les peintures, fouiller les carnets nécrologiques, les faits divers et  les œuvres littéraires. Le voici plongé dans l’univers de l’horreur.

Le voici face à l’assassinat de Marat, face aux peintures de David, de Goya, face aux accidents qui abiment la beauté du jour et le visage des hommes mais qui font précisément l’objet de grandes oeuvres : Gide, La séquestrée de Poitiers et l’Affaire Redureau, Jean Laborde, Amour, que de crimes… Paru en 1954. Jean Genet écrit Les bonnes (1942), et  Nikos Papatakis réalise les Abysses (1962) ; œuvres inspirées de l’histoire singulière des sœurs Papin. Les Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon  condense des crimes  en pas plus de temps qu’il n’en faut pour tirer un coup de revolver, enfoncer un poignard dans le cœur ou vider une bouteille de poison. Les dessins de Victor Hugo. Sophocle, Shakespeare et Dostoïevski, auteurs des trois plus grands chefs d’œuvre de tous les temps selon Freud : Oedipe roi, Hamlet et les Frères Karamazov.  Freud qui savait bien qu’aucun appareillage psychanalytique ne peut venir à bout du problème du créateur littéraire.

« Au commencement était l’acte », au commencement était l’assassinat par des serfs de Fedor, père de Dostoïevski. Au commencement était une horde meurtrière qui s’acharna sur leur maître.  

Comment comprendre les passagers franchir la borne de l’innommable ? Le passage à l’acte,  comment l’expliquer ? Comment comprendre le déchaînement pulsionnel de celui qui veut arracher la peau et les yeux de l’autre ? Que faut-il entendre dans le crime ?

Un impossible renoncement, la concession d’un désir…

Renoncer à conquérir la mère, à supprimer pères et frères… Telle est pourtant la condition pour que cette vie invente et s’invente, soit toujours en mouvement au lieu de rester à jamais fixée à ses premières attentes, à ses premiers objets d’amour et de haine. Ecrit J.B Pontalis.

Un renoncement à son désir permettra d’inventer, de créer ou de s’inventer. Une alternative : la création ou le meurtre. Ne pas céder à son archaïque désir ou y céder !

Un jour, le crime, Jean-Bertrand Pontalis, Editions Gallimard, 2011

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