fadela hebbadj

Abonné·e de Mediapart

147 Billets

0 Édition

Billet de blog 15 novembre 2012

fadela hebbadj

Abonné·e de Mediapart

Le Chant des mères

fadela hebbadj

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

I

Au début, je n’y croyais pas. J’ai l’œil déductif. Mais ce sont ces pages écrites hier qui m’ont mises sur la voie.  C‘était le chemin.

 J’ai donc pris la route du retour. A cet instant,  la vérité s’est mise à couler comme un chant. J’ai alors reçu un coup de foudre, et le  point final a été posé.

                 Quand on provient d’une origine pareille, on doit être à la hauteur ! Me suis-je dit, la première fois que j’ai vu que je venais de là-bas. Et puis un coup de foudre, c’est dans le tas de vent du dehors, qu’il arrive à l’ordinaire, alors que là, quand je l’ai vu, c’est de mes yeux qu’il est sorti. Le coup de foudre provenait de moi-même. 

Il ne s’agissait plus d’entrer en  résonnance avec le passé. Ce temps n’est plus valable. Personne n’y croit plus.  Passé, présent, futur ne sont que des illusions fabriquées par une conscience qui a peur de ce coup de foudre.

Allongée sur le lit de ma fille, le téléphone sonna. Nora m’annonçait que jadis, dans un village appelé Aït-wartillane, des femmes chantaient le verbe dans toute l’Afrique du Nord.

-          Aït-wartillane ! Mais c’est le village de ma mère ! Lui répondis-je.

-          On ne sait pas grand-chose là-dessus !   Précisa-t-elle.

-          Ce n’est pas une fable. Un coup de foudre vient de m’ouvrir la voie. 

En raccrochant, un désir me poussait sur les traces de ces mères. Retournée dans ma durée d’être intérieure, laisser mon intuition les conquérir d’un jet d’écriture me redonnait vie.  Mon sang circulait mieux, mes yeux semblaient mieux voir, ma peau s’ouvrait au-dehors. L’exploration commençait. Alors, j’entrepris de partir, introduisant ce coup de foudre dans mes pores dilatés. Un scaphandre éveillé projetait mon regard sur un vécu mouvant. Il était là, n’attendant rien de précis. Là, comme une île flottante. Remuant des  pages et des pages de vécus chaudement embarquées par mon sang. Tout y était inscrit. Des caractères s’imprimaient. L’œil du scaphandre les éclairait. Il n’y avait pas d’autres solutions pour connaître la vie. Rien n’a été écrit ou alors sur des schémas et des  modes de pensées qui ne sont ni  les miennes, ni  celles de mes mères, les poétesses. J’avais donc toute la vérité à restituer et je savais où la trouver puisque je descendais moi-même de là-bas.

 Le savoir contient les lignées des peuples dans lequel  est  gravé le courage de l’enfantement et le  vent des jouissances. J’ai moi-même donné la vie à une fille.  J’apprendrai leur chant  à travers le souffle de l’amour.

Au-delà de ma mère assassinée, au-delà de ma vie, je suis l’éveil de la transmission. Je m’endors dans mon lit. Et je reviendrai demain matin, les yeux peints de tous les espoirs du sommeil pour vous dire les voluptés de mes premières nuits avec elles.

II

Dans ma nuit, j’allume le fleuve de lumière.  L’éclairage est faible sur la porte du matin. Je vois bien plus clairement entre ces deux portes du réveil. Rien ne dure, tout est instantané ou éternité.  Ceux qui entendront la parole de ces femmes savent déjà qu’ils courent le risque d’un début du monde. Elles, porteuses de règnes, nées d’une matière plus ancienne que le fer,  parleront de la vie. Je marche vers ces  femmes.  Elles soufflent, les mères, comme elles l’ont toujours fait, une destination nouvelle.  Je la prends. Je la suis jusqu’à la mère fondatrice des hommes. Je la reconnais grâce à ce scaphandre étrange qu’un coup de foudre m’oblige à porter.

 Entre d’infinis soleils domine la force des mères oubliée sur la terre où la déchéance du temps des naissances n’a pas été enfantée.

Quand ses premiers nés sont arrivés, elles ne pensaient pas qu’ils construiraient leur vie en la négociant, souvent en la vendant. Progressivement, ils l’ont éteinte en superposant le temps des naissances. Pour éloigner leur frayeur, les hommes, cyniquement dévorés par la tristesse, combattirent d’autres hommes, qui, à leur tour, encouragèrent la guerre. En grandissant, ils ont propagé le malheur, mais le temps régla leur compte, et ils disparurent sous l’emprise de leur méchanceté.

 Un mythe surgit, engloutissant les hommes dans la haine de la vie, de la femme et de la mère, noyant  l’humanité fumante de plaies ouvertes aux messages variqueux.  Ces dernières mères fabriquées par les hommes, avaient répandu sur les littoraux, ses premiers nés dans des bennes à ordures. On entendit geindre les hommes et les femmes. Ils ridiculisèrent les mythes, délitant des intuitions d’essence brouillée, provoquant des rires sarcastiques et anesthésiants, édifiant, en se moquant d’eux-mêmes et de tous, les reliquats insignifiants de leur naissance, pour grignoter le cœur des mères dans des camisoles ravitaillées de haine et de couteaux.  

Je me suis levée au milieu de la nuit. J’ai parcouru, le scaphandre fermé, quelques pas vers la salle de bain, puis je suis retournée dans mon sommeil.

L’œil plongé dans mon scaphandre, j’ai croisé un prêtre.

-           Que fais-tu sur le chemin des sages ?  Ce n’est pas la voie d’une femme ! Remonte plus haut ! Je suis le gardien des civilisations. Je t’interdis d’aller plus loin, me dit-il.

-          Je suis dans ma nuit.

-          Ne sais-tu pas qu’au-delà,  il n’y a aucun savoir. Allez, remonte vers ton inconscience, ici il n’y a rien pour toi,  insista le prêtre.

-          Mais, une parole m’attend dans le sanctuaire de la première mère.

-           Retourne dans ta mémoire obscure, allez ! 

Il rit d’un souffle de mépris,  puis brandit sa croix pour me faire peur en hurlant mon départ. Je n’avais plus qu’à ouvrir mes yeux pour l’ébranler sur un fil pendu dans un puits vertical. Les rayons du jour le traversaient d’un substrat de rosée. Il tenait fermement sa main accrochée à un fil mouillé.

-           Tu n’as pas le regard pétrifiant de Gorgone. Je suis toujours en vie, suspendu à un fil, mais en vie, me lança le prêtre au loin.

-           Te voir la main suspendue à un fil me suffit. 

Puis le gardien du savoir tomba.

III

 Un homme vêtu de blanc, le regard rouge de haine contre la femme, prit un sabre et, sans un mot,  voulu me battre. Il craillait des paroles d’ânes.

-           Hi han ! Hi han ! 

-           Ne sais-tu pas parler ?  Lui dis-je

-           Hi han ! répondit l’homme en gueulant des vers d’animaux. Et tout en battant violemment contre moi son arme, il sautait en l’air de plus en plus en colère.

-           N’est-ce pas ton impuissance que tu secoues sur moi ?  Répondis-je.

-           Hi han ! Hi han ! Continuait-il, le ventre bedonnant d’échos asinaires.

 Son braiement me rendit sourde un instant. Je le prie de cesser ces sons discordants et de me laisser passer, mais ce bourricot  poursuivait  ses effrayants cris, en frottant de toutes ses forces, son sabre sur mon scaphandre.

-           Parle au lieu de crier ! 

  Il brandit son sabre pour me découper en deux morceaux. Les yeux rouges de sang et la salive plein la barbe, il sépara mes membres en deux parties. Je le contournais pour réunifier mon corps et poursuivre mon chemin. J’enfreignais, à mon insu, les lois du corps et de l’esprit. Hors de la transgression existe le verbe. Hors des lois de la nature, il y a l’imagination. Etonné de ma réunification, il brandit une seconde fois son sabre, mais cette fois, j’usais de mon scaphandre pour lui donner la forme de son braiement  assommant.

-           Vas-tu te taire, mégère ! 

J’avais gagné un âne sur la route du savoir.

IV

Tu contiens le testament du monde

L’appel prenait chair et os. La mère primordiale m’aimantait.

-           Où allez-vous sur cet âne malade? Me dit un maître de rhétorique.

-          Je  suis le chemin des mères,  répondis-je.

-          Qu’est-il arrivé au prêtre ? 

-           Il s’est agrippé à un fil en-dessous du puits de lumière, et il est tombé. »

-           Vous avez renversé le garant de la civilisation !

  Comment des siècles de constructions avaient pu être ébranlés par une femme ? Comment ce clerc, possesseur de toutes les clefs du monde, avait succombé sans l’autorisation de ses supérieurs ?

-           Il faut régler cette anomalie, dit-il.

-           Quelle Anomalie ?  Répondis-je.

-          Vous ! Vous êtes une anomalie. 

Tu contiens le testament du monde

-           D’où vient cette pensée ?  Ajouta le maître de rhétorique.  Selon l’horloge de la culture, elle a 1000 ans. Avec un état civil pareil, ses cordes vocales ne devraient plus être en état de fonctionnement. A l’oreille, pourtant, il s’agit d’une voix assez jeune ! 

Je descendis de mon âne.

-          Tenez ! Je vous le donne.  Moi, je pars rejoindre la parole.

-          Elle est dans mes livres, la parole, dit-il.

Tu contiens le testament du monde

-          Jamais le ciel n’a parlé sans humain ! Il y a bien eu des prophètes dans le temps mais ils n’ont rien écrit. Si nous entendons des voix venus d’un autre discours que celui de ma rhétorique, c’est que nous sommes devenus fous,  poursuivait-il.

    Il bredouilla un instant. 

-          Nous vous avons ignoré,  fait de fin d’histoires.  Fichiers, états civils, livres, tout ce qui vous a appartenu a été anéanti. Même l’assassin de votre mère et de votre sœur n’a pas été jugé parce qu’elles n’existaient pas sur un plan administratif, juridique et logique. Soyez raisonnable, et retournez dans le monde que nous vous avons construit, conclut le maître de rhétorique.

 Harassée par sa vieille rhétorique, je lui proposai de nouveau mon âne en échange de mon passage.

-          Je ne peux pas rembourrer mes enthymèmes dans sa mémoire puisqu’il n’en a pas ! Croyez-vous sincèrement qu’une anomalie pourrait me rendre coupable ? C’est tout aussi nul que cette incohérence bestiale ! Me dit-il.

J’ai lancé un ordre de poussières lumineux dans ses yeux faits de rhétoriques, et j’ai attaché le licou de l’âne autour de la taille de son futur professeur.

-          Emmenez-le avec vous ! Ici, il me rendra fou. Reprenez cet âne !  Hurlait-il au loin.

Je suis partie vers l’immensité des montagnes. Au loin, j’entendis les leçons instructives du peuple civilisé, contées par le maître de rhétorique, qui berçait l’âne pour calmer ses frayeurs, car l’âne était effrayé à chaque nouvelle histoire. Puis,  en un écho, l’âne se mit à  parler.

-           Où est partie celle qui m’a transformé ? 

-           Elle suit un astre verbal, un résidu d’archaïsme maternel. Ne perdons pas de temps et travaillons ta cervelle ! Ca t’empêchera de penser, espèce de bourricot !  Veux-tu reprendre mes raisonnements ? 

-           Non ! 

Le maître de rhétorique criait de plus en fort au point de brayer lui aussi comme un âne.

-           Hi, han !  criait-il. Que m’arrive-t-il ? Hi han, reprit-il.

-           Non. 

-           Hi, han !

Le licou était fait de lierne indéfectible. Tout en frottant le sabre aiguisé contre l’âne, le non du maître de rhétorique se métamorphosa en hi han, et ils brayèrent en combattant

 Plus j’approchais du testament du monde, plus leurs gueules s’ouvraient sans clairement et distinctement sortir de mots.

 Dans cette guerre sans issue, le maître perdit les discours de sa raison.

V

Sur la balustrade branlante qui menait au sanctuaire, le cynisme s’éclatait contre la paroi de la montagne. Il n’arrêtait pas de se fracasser contre la pierre.

« Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! »

« Qu’est-ce qui te fais tant rire ?  Tes brusques coups ne te font pas mal ? »

« Ils rient de toi, pauvre folie. Tu t’imagines tirer les humains de leur merdier !  Ah, Ah, Ah… Une femme ! En plus ! Ah, Ah, Ah… »

Il riait sauvagement sur la peau de la pierre.

« Ah ! Ah ! Ah ! Tu débarques sur mon sentier pour te refaire une existence ! Ah ! Ah ! Ah ! Tu suis cette parole avec un engagement si décidé, si… Ah ! Ah ! Ah ! Je ne sais plus comment dire ça tellement c’est hilarant !  Ah ! Ah ! Ah !   Je n’y croyais pas quand je t’ai vue dans ce scaphandre en l’air. Tu voles aussi mal qu’un albatros, les jambes suspendues comme celles d’un flamand rose.  Ah ! Ah ! Ah ! Pouffe avec moi ! Ca te fera du bien.  Ah ! Ah ! Ah !  Tu comptes rester longtemps la tête enfermée dans ton hublot et les pieds perdus dans le ciel ! Ah ! Ah ! Ah ! J’en peux plus. Tu vas me faire mourir de rire.  

Le cynisme tonnait sur des tambours de rochers, des tornades de :

- Ridiculous… ridiculous…  Ah ! Ah ! Ah ! Voilà que tu ressembles à une cigogne illuminée…  Cette lumière ! Cette lumière ! On t’a branchée sur Radio-Orient ! J’en peux plus.    

Son rire se tapait des vocalises interminables contre le flanc Est de la montagne.  Ces cris braillards étaient identiques à ceux des deux ânes.

Tu contiens le continent du monde

-           Je n’en peux plus. Sur la foi des chiens, suis plutôt mon chemin. Riait-il.

-           Je ris dans ma solitude, des chiens qui se moquent de moi. En allant vers la montagne de Aït-Wartillane, en ouvrant mes nuits vers elle, je ris, chien, je ris sans peur. Je suis drôle dans cet habit de cosmonaute. Cela peut te paraître étrange, mais je dois regagner le chemin des mères. Si tu veux m’accompagner ! Tu peux rire ou pleurer, seule compte cette voie de femme qui m’appelle dans mes nuits.

-           Je n’obéis qu’au mépris. S’esclaffait-il.

Après ces paroles, le cynisme s’effondra par terre. Ses éclats dispersés s’abattirent sur le bas côté de la montagne qui regagna sa sérénité.

Des souffles d’élixirs rentraient dans mon scaphandre pour lisser mes joues et renforcer ma respiration. J’avalais ces quantités de vents neufs. Le dernier vent referma la porte du scaphandre pour clore l’initiation. Je bus une bouffée d’air si pleine qu’elle me réveilla  au milieu de l’aurore. Un aboiement venait de me réveiller, et je crus que ce qui me tirait de mon sommeil était une déferlante lame d’oxygène. Que pouvait signifier cet aboiement pour moi ? En général, les aboiements de mon chien déclenchent des sursauts. Il est petit et à le poil blanc. Dès qu’il entend des pas dans l’escalier, il se met à hurler comme un fou. Il a peur de tout. La peur signifie : rien qui ne vaille le coup d’exister, ou rien qui ne saurait tenir un homme debout. Le chien aboyait encore, et une journée de lecture m’attendait.  Lire le jour et comprendre la nuit ce qui a été lu et entendu. La nuit porte conscience et le rêve donne sens aux sursauts du jour.

Un chemin vers la parole m’attendait dans ma seconde nuit. Je refermais tous les livres placés sur mon lit, et je m’endormis. Mais soudain, un mort  me tira les oreilles.

A suivre...

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.