Ces animaux créés à partir de feuilles de papiers à cigarettes respirent les cavernes de la préhistoire. Elles me font penser à des gravures rupestres, des vestiges tirés des archives animalières retrouvés sur le bord d’une grotte. Dans un esprit d’archéologue, l’artiste creuse, fouille la matière extrêmement fragile, il la sculpte, l’évide, la carène dans sa cuisine, car c’est précisément dans ce lieu que ces oeuvres pariétales prennent vie et force.
Tout n’est que peau, interface, enveloppe morcelée. L’intégrité de l’animal est cependant sauvée. Curieux paradoxe d’éclatement et d’unification.
La peau est un filtre protecteur sensible qui articule deux mondes : l’extérieur et l’intérieur. C’est par la peau que j’entre dans l’intimité du monde et des autres. Je m’étonnai, un jour, du phénomène d’attraction que ces sculptures produisaient sur moi. J’en trouve maintenant l’explication. Tout n’est que peau, c’est-à-dire, tout n’est que chaleur, douleur, pression, contact. Ces lambeaux sont si bien travaillés qu’ils amplifient les sens de ceux qui les observent.
La technique de Hakim Mouhous joue avec des propriétés physiques, scientifiques, qui permettent de dessiner les contours d’un paysage zoologique qu’on pourrait croire très ancien. Lorsqu’on observe l’ours par exemple, nous le voyons massif, masse intrinsèque à l’objet même, alors qu’il est simplement fait de fils de fer et de papiers à cigarettes.
Ici, la masse de l’animal semble dépendre de la couleur du papier. Le noir empêche la diffraction de la lumière, une partie d’elle reste prisonnière dans la sculpture, alors que configuré dans un champ de lumière, le papier naturel, à la fois diffusant et absorbant, rend l’éléphant beaucoup plus léger et aérien. On devine l’âge de la bête selon le travail de l’artiste sur la feuille. Il la vieillit, la rajeunit, la meurtrit au point même de la réduire parfois à une peau de chagrin. Ces sculptures s’adressent particulièrement à nos sensations tactiles. On désire les toucher.
Le toucher, Ô sainte puissance des dieux, le toucher est le sens suprême du corps…
Lucrèce
En jonglant avec des effets de surface et de profondeur, à travers des plissages d’une grande élégance, Hakim Mouhous va beaucoup plus loin que la peau, il l’arrache, pour créer une chair vive. De plus, ses animaux n’ont pas d’organes, à l’exception des mamelles de la vache.
Le fil de fer charpente la structure formelle, l’équilibre, dans un univers vertigineux, en côtoyant ce fameux vide que l’on a longtemps cru pouvoir nous résister. La peau de l’animal est en jeu. Au risque de voir le vide devenir toile, œuvre même. Hakim Mouhous ne nous fait pas seulement cheminer vers l’impesanteur, il cherche à faire disparaître sa création dans un jeu d'ombre et de lumière.