Cette semaine, Je suis allée au cinéma avec les élèves du lycée Lavoisier. En ce moment, Les Ursulines programme Sobibor, 14 octobre 1943, 16h. Pendant le film, tous les élèves ont été captivés par le témoignage d’un homme, Yehuda Lerner. L’attention extrême de ces élèves a surtout été obtenue par l’exceptionnel documentaire de Claude Lanzmann qui tient sa puissance non seulement à partir du récit d'un survivant de Sobibor mais surtout à partir du film lui-même.
2001, le bruit de Varsovie, un train passe… Une voix, celle de Yehuda Lerner… Il parle en hébreux. Ses mots sont clairement rapportés en français par une femme.
Tout commence, le 22 juillet 1942 au moment où on nous fait sortir du ghetto de Varsovie. On nous dit qu’on va nous envoyer quelque part, on ne sait pas encore où…
L’architecture moderne de Varsovie et les paysages de la nature environnante nous baignent très vite dans l’atmosphère de 1942. Pourtant nous sommes en 2001 au moment du tournage. La rencontre de Claude Lanzmann et de Yehuda Lerner se déroule, quant à elle, en 1979.
Yehuda Lerner raconte ses huit évasions, son arrivée à Sobibor, nom d’un camp d’extermination en Pologne.
Après deux ou trois heures de voyage, le train s’arrête. Un polonais qui travaillait dans la gare pour les allemands s’est approché, et en polonais a crié à un juif qui était près d’une petite lucarne, il lui a dit : « enfuyez-vous, on va vous emmener à Sobibor. » Comme mes camarades ne comprenaient pas le polonais, on m’a appelé… J’essaie de comprendre mais le polonais était déjà en train de s’éloigner. Il était seulement là pour inscrire les numéros des wagons, et il a eu le temps tout juste de me dire : « enfuyez-vous parce que à Sobibor, on vous emmène pour vous brûler. » C’est ça que j’ai pu entendre.
On entendait des cris d’oies, ça a duré une heure et puis tout à coup le silence.
Des baraquements en bois inoccupés longent la voie ferrée de Sobibor. Les caquètements d’oies permettaient de recouvrir les cris des juifs que les nazis gazaient.
Yehuda Lerner raconte ensuite les événements d’une révolte à laquelle il prit part, préparée méthodiquement contre des nazis.
A quatre heures… je me suis levé. J’avais le manteau qui recouvrait mes mains et la hache sous le manteau… J’ai laissé tomber le manteau. J’ai pris la hache. J’ai fait un tout petit pas vers lui et tout a duré un millième de secondes. La hache est entrée exactement au milieu de son crâne.
A 16 heures précise, un allemand rentre dans un baraquement. Yehuda Lerner fend son crâne en deux, à l’aide d’une hache très aiguisée. A 16 heures 05, il tue un second nazi avec son arme blanche.
Nous avons tous ri, dans la salle, lorsqu’il raconta la façon dont il trancha le crâne de son bourreau. Ce rire contenait une libération. Il contenait autre chose qu’une joie. Cette décharge collective a eu lieu parce que des hommes au camp de Sobibor, recouvrait leur dignité. Yehuda Lerner et quelques prisonniers juifs mirent un terme au camp d’extermination de Sobibor où plus de 250 000 individus ont été massacrés.
Je ne connais pas d’autres cinéastes capables de faire ressentir aux spectateurs la mort et la vie d’une façon aussi intense. Claude Lanzmann possède ce sang froid qui appartient aux grands cinéastes. Tarkovski montre la nature ; la pluie, des plaines et le cœur des hommes… Lanzmann montre le cœur des hommes et celui des événements. Ce qu’il y a de plus chez Lanzmann, ce sont précisément les faits ordinaires et extraordinaires érigés en œuvres d’art. Son œuvre cinématographique parle de tous les hommes. Ainsi, l’œuvre ne repose pas sur une seule dimension culturelle. Elle repose sur quelque chose d’universel. Ainsi toutes les cultures, tous les peuples, ne peuvent être que profondément touchés par l’amour, par ce lien indéfectible que Lanzmann entretient avec l’humanité.