Un mort s’extirpa de son lit en marbre. J’avais l’étrange sentiment d’être enfin proche de la parole. Son tombeau était vertical.
- Quand les cavaliers t’ont aperçue dans la montagne, ils ont harnaché leurs chevaux pour répandre la nouvelle. Nous l’attendons tous.
- Où sont les mères ? Lui dis-je.
- Nous savons qu’une parole contient la survie du monde. Nous l’attendons.
- Pourquoi êtes-vous enterrés à la verticale ?
- Derrière le masque des vivants existe le voyage des sans-noms, l’impossible narration. Aucune voix n’est capable de raconter l’au-delà excepté toi ! Nos dépouilles sont celles des hommes toujours debout. Nous sommes les hommes invincibles et droits qui ne nous abaissons jamais.
Les vents lissaient mes joues et renforçaient ma respiration. J’avalais des quantités de vents neufs. Le dernier vent referma la porte du scaphandre pour clore l’initiation. Je bus une bouffée d’air si pleine qu’elle me réveilla au milieu de la nuit. Un aboiement venait de me réveiller et j'ai cru que ce qui m'avait tiré de mon sommeil était une déferlante lame d’oxygène. Que peut signifier cet aboiement pour moi ? En général, les aboiements de mon chien déclenchent des sursauts. Il est petit et à le poil blanc. Dès qu’il entend des pas dans l’escalier, il se met à hurler comme un fou. Il a peur de tout. La peur signifie : rien qui ne vaille le coup d’exister, ou rien qui ne saurait tenir un homme debout. Le chien aboyait encore, et une journée de lecture m’attendait. Lire le jour et comprendre la nuit ce qui a été lu et entendu. La nuit porte conscience et le rêve donne sens aux sursauts du jour.
Un chemin vers la parole m’attendait dans ma seconde nuit. J’ai refermé tous les livres placés sur mon lit quand tout à coup un mort se met à me tirer les oreilles…
- Vous entendez ce que je vous dis !
J’attendais le surgissement du réveil, car j’étais entre les deux portes des matins.
- Nous n’avons plus le temps d’attendre. Certains attendent depuis des millions d’années. Alors, vous la sortez cette parole ! La course du vent me manque. Je n’entends que mécaniques aux pas de bruits. Je n’entends que mots salés et vacarmes, je n’entends que langues frottées de mots mal assemblés dans un cuveau plein d’eau. Elles astiquent du linge toute la journée, ces langues, comme une machine à laver. Quand vont-elles se taire ? C’était hier, quand les bouches mâchaient du temps passé, maintenant que vous êtes là, dans votre coiffeuse à lumière, nous tendons l’oreille ! Réveillez-vous !
- C’est le temps de l’éveil ou pas ! Sait-elle quelque chose ? Dit un amas d’humus nourrissant un lierre.
- Nous avons trouvé sur l’une de nos tombes, une femme. Dirent les morts.
- Qu’on la musèle. Ne sentez-vous pas ses lecteurs épier notre conversation ! C’est une fuite de lumière, elle met notre monde sous éclairage. Refermez ses paupières et laissez-là dans le noir, dit l'homme vivant.
- Nous voulons savoir. Répondirent les morts.
- Que l’infini et le merveilleux règnent en profondeur sur les vivants comme sur les morts ! Que l’imagination des corps terrestres et astraux n’émerveillent que les esprits puissants ! Qu’aucune parole ne peut énoncer l’impensable puisque rien n’est limité ! Sur ce point, vous en savez déjà plus qu’elle. Chacun de mes lieux est un fabuleux réservoir d’activité créatrice. Je joue entre mes ombres et celles des autres galaxies. Par soubresaut, je suis le retentissement de sa lumière. D’ailleurs, comment est-elle ?
- Sa lumière ! Dit un mort.
- Evidemment sa lumière ! La mienne n’est-elle pas plus puissante ! Dit l'homme vivant.
- VIVANTE ! Dit un mort.
- Renvoyez-là chez elle ! Elle implosera quand elle ouvrira les paupières, en provoquant le massacre ! Pourquoi êtes-vous allez la chercher ? Bande de cinglés ! Votre mort ne vous suffisait-elle pas !
Il était trop tard. Mon scaphandre tournait autour de sept soleils comme une toupie volante. Rien ne pouvait arrêter ce cyclone infernal. Je perdis pieds avec la fixité, avec l’immobilité. Aucun frein ne pouvait stopper cette course intérieure céleste. Mon corps pris dans un engrenage, s’éclata sur des spectres volcaniques, allant jusqu’à heurter les étoiles qui gigotaient dans l’espace. Mes jambes s’entremêlaient sous une giboulée de débris astéroïdes, et mes bras, se débattaient de droite à gauche contre les parcelles d’astres égarées, formant des myriades de satellites. Le scaphandre venait de générer une voie lactée. Mon scaphandre avait fait éclater toutes les pièces de l’univers.
La galaxie des femmes de Aït-Wartillane prit naissance en seulement quelques instants. La mère fondatrice mit au monde sept soleils qui correspondent chacune à une saison : l’amour, qui éveille les consciences, la création, qui renouvelle d’énergies les esprits, la confiance, qui chasse le doute, la douceur, qui calme les fureurs, la beauté contemplative et artistique qui surprend les sens d’émotions inconnues, la force, et enfin la justice qui fonde les cœurs dans un bon équilibre. La force des femmes fut la saison la plus constante, soutenue par la force créatrice de ma mère, et de toutes celles qui l’ont précédée. La mère conscience eut pour fille sagesse, qui engendra la transmission du savoir. La mère créatrice engendra d’infinies voies lactées. Elle eut pour fille, mouvement, qui ne cessait de viser ses lances-astres sur l’ensemble des corps stellaires, réaménageant indéfiniment l’ordre de l’univers. La mère confiance sauve les cœurs blessés du mépris et de l’incertitude. Elle a pour fille, confidence, qui, patiemment, écoute les peines des femmes et qui est muette. La douceur parfume la stratosphère de rire et de sourire qui détendent les muscles des femmes. La force des voix et des gestes assemblent même des poèmes capables d’émouvoir l'univers. Le ciel et la terre sont si affectés par leur chant qu'ils offrent des formes naturelles nouvelles, somme de symboles, qui leur permettent de créer un langage. C’est de là, de cet infinité douceur tactile que survint par étape, ma voie-lactée : une langue d’enchaînement de justice, de création, de conscience, d’amour, de confiance, de beauté et de force.
L’édification de la vie tourne enfin sur elle-même, rythmée par la mesure des saisons. Je suis ce lieu galactique et la messagère de leurs voix. J’étends ma puissance sur toutes ces dimensions étoilées de poussière ainsi que sur le mont appelé Aït-Wartillane. Entre ma lignée de mère et moi, il y a ma mère et ma sœur. Je suis la brisure. Je suis la cassure, mais aussi la nouvelle unité. En fondant ce nouveau gouvernement, je suis devenue le testament du monde.
Des ouragans solaires déplie ses tapis de feu pour leur souhaiter la bienvenue. ils accompagnent toujours les premiers pas jusqu’aux prairies du lien des mères qui maintient l’unité des humains.
Progressivement, le bruit du tonnerre s’amplifie. Réveillée par des cognements, j’enfile rapidement un peignoir rose pour ouvrir la porte, pendant que mon chien tourne autour de moi, réclamant sa ballade.
- C’est moi, ouvre !
Je détends mes bras et secoue ma main pour activer ma circulation. je regarde par la fenêtre. Les bourgeons sont là. Le renouvellement de la nature m’émeut toujours. Il y a de l’ouverture aujourd’hui. Ma nuit a été si longue. J’ai le sentiment d’y avoir enfermé toute ma vie à clef. Un goût de difficulté me reste sur la main. Cette nuit fut celle où je sortis du ventre de ma mère. On a tort d’imputer le mot nuit aux ténèbres, noctem, nocturne silence, au noir obstrué d’avalanches muettes et invisibles. On a tort de penser de l’obscurantisme dans les nuits. Le terme indoeuropéen est plus approprié. Nokt signifie force active. On retrouve ce terme chez Kant. La nuit, pour lui, est le temps des sens qui s’adonnent au jeu de l’imagination. Les yeux grossissent nos perceptions. Ils transforment les phénomènes du jour en de monstrueuses ou angéliques formes mythologiques. Nokt, nuit de lumières, où la force imaginative dévore la connaissance du monde. J’ai un goût de volonté sur le palais, un goût de grâce, un goût de vivre. Je sors du noir dans mes nuits, à croire que le jour aveugle la vérité. Je sors de la nuit. Nos nuits de sommeils nous délivrent en structurant nos révoltes quotidiennes. Ordonner une parole est une question de survie. Je débroussaille les mensonges. Avant ma véritable naissance, il y en a eu tant. Tant de mensonges, dans un monde aussi grand. Avant de sortir une deuxième fois du ventre de ma mère, j’acceptai avec amertume et tristesse, les jours de mensonges. Ce matin, j’ai un goût de découverte sur mon sourire, un goût de révélation.
- Ouvre vite !
A suivre...