(...) Mère, vous m’apportez un imaginaire pour y bâtir un monde de plus en plus réel. Silence. Quarante ans sont déjà passés. Mes pensées étaient noires de colère. Cet étrange destin de silence, entrecoupé de colères noires contre le monde. Le chemin du retour me lie à des allégories nocturnes. Je vais m’endormir, à présent, dans ma sixième nuit, affronter la page du testament du monde. Celle qui me fera aimer. Car je ne veux pas d’un monde qui nie ma mère. Je détruis l’ancien pour en construire un nouveau où elle existe. Je retrouve le chant de l’amour, le chant des mères. Et je sème ce chant à ma postérité.
La mère confiance me réveilla. Elle m’attendait, puis déposa une page maculée d'encre sur mon bureau.
- Rendors-toi, et quand tu te réveilleras à nouveau, ces taches noires de culpabilité disparaîtront. Un reste de scrupule noircit ta page. Nous n’avons pas vécu toutes ces souffrances passées pour rien. On nous a assassinés et affamés, et au nom de cette maladie vénéneuse et morbide, tu veux réduire tes chances de t’en tirer ! Reviens à nous, libre de toute attache. Libre… Ce poids de misère, je le brûle sous tes yeux.
Elle brûla la feuille, puis ouvrit la page blanche d’un cahier.
Cette nuit, Je suis dans une petite chambre de bonne que je loue pour écrire, près de chez moi. Elle est minuscule mais elle donne sur les toits. En regardant par la fenêtre, on peut y apercevoir la coupole de la mosquée de Paris. Les murs sont si fins qu’on y entend les bruits des vingt petites chambres de l’étage. Ce matin, J’ai rapporté un ordinateur et quelques carnets politiques sur l’Algérie. C’est ma première nuit ici. Des pas dans l’escalier, des portes qui claquent, des voisins qui se croisent. Le couloir est vivant. La discussion d’un couple attire mon attention. Il parle de leur avenir. En attendant, ils doivent occuper un espace aussi petit que le mien. Je suis rassurée. Une odeur de certitude plane à notre étage. Et voici que j’entends une musique très douce, un guitariste joue. C’est beau. J’ouvre ma fenêtre pour entendre plus distinctement cet air espagnol. Sa voix vient d’Amérique du Sud, c’est certain ! Ponctuée par la voix d’une femme douce… chilienne ! Elle lui parle pendant qu’il chante. Tout semble si unit. L’unité recherchée par mes morts serait-elle là, dans cette chambre, à côté de la mienne ? Un couple d’étrangers échange des mots et des airs. Je n’ai pas sommeil. Ce jeu musical retient toute mon attention. Ils viennent d’ouvrir la fenêtre. La lumière de ma pièce les interpelle. Ma chambre a été longtemps inoccupée. Je me déplace, et je m’assieds face à mon ordinateur. La musique cesse. L’homme sort de la chambre pour frapper à une porte. Une autre femme lui parle, et l’accueille chez elle. La voix de cette autre femme adoucit le craquement de mon chauffage électrique. Ce dortoir est assez paisible. Curieusement, il semble n’y avoir aucun appareil à tristesse. Leurs paroles se dissipent. Il est très tard. Je ferme les paupières.
- Assassinées et affamées… Sans un mot. Ils n’ont pas le moindre scrupule pour ce que contient leur histoire, et toi, tu voudrais porter des miettes de leur culpabilité fabriquées par leurs hommes d’esprits ! Bah ! La culpabilité est un trésor pour celui qui sait en jouer. Mais c’est un trésor d’immondices et d’horreurs. Bah ! Autant boire de l’arsenic, ça détruira tout de suite toutes ces infections morales qui nous pourrissent la vie ! Nos morts ont intercepté des brigands vêtus d’immondices qui désiraient détruire notre monde. Plus nos morts s’accumuleront, plus le mur se renforcera entre eux et nous. Plus ils fabriqueront de guerre, plus ils limiteront nos espaces communs. Il faut énormément de confiance pour ne pas tomber entre les griffes d’un culpabilisateur quand on porte une histoire comme la tienne ! De toute façon, le ressort même de tes anciennes culpabilités a été brûlé.
- Et la page blanche ?
- Comment pourrait-on savoir le contenu d’un testament aussi important ? Tu ne le sauras qu’en te mettant à l’écrire. Aie confiance, ma fille. Aie simplement confiance.
LA CONFIANCE. Une création ne peut surgir sans force et sans confiance absolue. Je suis portée par assez de raison pour ne plus m’en vouloir d’être encore en vie. Cette confiance composait avec la raison du monde, au point que mes jours sans rêves finissaient par aimer l’ordre de la réalité. Le lendemain, je fus réveillée par des paroles de femmes.
A suivre...