Il est clair que le monde d’images qui m’entoure ne me donne pas l’envie d’y plonger. Les médias nous présentent les politiciens comme des liquides vaisselles, les auteurs et les comédiens comme de crédules exhibitionnistes, les animateurs culturels ne donnent plus à penser et bavardent trop. Dans cet étalage de représentations vaines et de promesses démocratiques non tenues par les faiseurs d’images qui n’offrent aucun espace de liberté, je rêvais d’une assemblée du peuple où les politiciens de profession seraient tout simplement exclus. Je rêvais, sans me faire trop d’illusion, de révolution démocratique où des citoyens ordinaires prendraient en charge les affaires de l’Etat. Sans doute étais-je seule, dans cette avenue du 14ème arrondissement, à ressentir cet état étouffant avant d’entrer dans l’atelier d’Albert Marchais.
Dans ce surgissement d’images ambiant existe une provocation, un système pervers efficace pour susciter des haines multiples. Noyer une société dans des tonnes et des tonnes d’images est une façon de la désarmer pour penser. Machiavel insistait déjà au 16ème siècle non pas sur l’effet d’un trop plein d’images déversé sur un territoire mais sur la manière de rendre impuissant un peuple : ôter tous armes ou créer le trouble. Là où la confusion règne, personne ne peut aller attaquer un autre endroit parce qu’elle a déjà trop à faire chez elle. Appliquée aux images, je les considère comme des armes qui suscitent la même perte d’estime et de confiance.
J’exige d’une représentation, non pas qu’elle me neutralise ou me contrôle mais qu’elle me procure la sensation que mon présent puisse perdre la route du temps pour me mener dans un monde de liberté, qu’elle me donne tout simplement à penser.
Des œuvres picturales ont réussi à me plonger dans un univers de suavité et d’ailleurs. Je n’ai pas vu le temps passé dans l’atelier d’Albert Marchais. Le temps s’est subitement arrêté.
Dans un entretien avec José Pierre datant de 1984, Albert Marchais dit que « la peinture est liée à la vie, au sacré, aux formes primordiales, liée à une révolte contre les conventions anti vie ambiantes ». « S’il y a surconsommation et surproduction d’images, c’est qu’aucune image ne tient le choc. » Dans notre quête éperdue « d’absolue non existant », aucune n’est assez solide et valable pour nous tirer dans la vie.
Là, au beau milieu des œuvres d’Albert Marchais, je regagnais peu à peu confiance en la puissance de la création.
José Pierre et Albert Marchais, Suivi de une peinture hantée : loin des attroupements, 1985, Edi Paris
Révolution culturelle et expression artistique par Albert Marchais, CCES - 29, rue Descartes, paris 1967.
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