« Un million de pieds noirs parmi nous », écrit Maurice Denuzière dans Le monde des 22, 23 et 24 juillet 1964. Chiffre qualifié de mythique selon Pierre Daum, qui souligne dans son livre intitulé : Ni valise Ni cercueil, édité en 2012 chez Actes Sud, une erreur de recensement entretenue même dans certains manuels scolaires qui omet d’ailleurs de parler des 200 000 Européens d’Algérie qui ont refusé de suivre le grand exode tragique de 1962.
Pierre Daum remet les chiffres à l’heure de son temps, une mise au point nécessaire sur le nombre des départs de natifs et de non natifs d’Algérie. Placés devant une réalité politique, sociale et économique nouvelle, il s’interroge sur la raison de l’exode des pieds noirs vers la France métropolitaine. Pourquoi sont-ils partis alors que les Accords d’Evian leur proposaient de rester ? Reprenant la question de Benjamin Stora, qui du reste a réalisé la préface de son ouvrage, Pierre Daum tente de comprendre cette peur collective organisée par les membres de l’OAS.
Une peur originelle, précise-t-il, ancestrale, tapie dans l’ombre de la nuit coloniale, présence intime et obsédante d’une permanente culpabilité, ainsi que son corollaire de rumeurs les ont complètement désorientés. C’est bien dans une atmosphère anxiogène confortée par l’autorité militaire, qui distribuait des photographies de morts commis par le FLN, que cette fuite s’est répandue.
Pourtant, le bilan des morts est profondément inégal ; du côté algérien il y a 230 000 morts selon les chiffres officiels, 1500 000 martyrs selon l’Etat algérien, et 5 000 morts du côté des pieds noirs. Qu’est-ce qui justifie cette débâcle ?
En dehors de cette peur archaïque bien enracinée dans les mentalités, Pierre Daum émet l’hypothèse de trois autres motivations : la peur des représailles fondée sur les violences inouïes de l’OAS, la politique socialiste qui ne leur offrait plus de perspectives économiques, et le racisme, un sentiment de supériorité qui, en restant, aurait été ébranlé.
L’auteur nous propose de revisiter cette période à travers quinze témoignages d’Européens algériens restés en Algérie après 1962, témoignages calfeutrés par le discours des rapatriés. Il apporte ainsi des faits pour contredire cette formule devenue célèbre : « la valise ou le cercueil ».
Ni valise ni cercueil, Les pieds-noirs restés en Algérie après l’indépendance, Préface de Benjamin Stora, Editions Actes Sud, 2012.