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Billet de blog 7 février 2021

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Trouver la juste façon de raconter une ville qui se soulève - et qu’on écrase

Entretien du 11 janvier 2021 avec Pauline Labib-Lamour à l’occasion de la création de "Fausse commune", un projet théâtral écrit de la compagnie "Espère un peu", mis en scène par Sophie Bricaire et Pauline Labib-Lamour.

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FVLC : Comment en êtes-vous venues, Sophie et toi, à vous inscrire dans cet anniversaire des 150 ans de la Commune ?

PLL : C’est d’abord Sophie qui a apporté l’idée de s’intéresser à la Commune, parmi d’autres projets évoqués ensemble. Sophie souhaitait depuis longtemps monter un spectacle sur cet événement, et elle n’a pas eu besoin de beaucoup de temps pour me convaincre ! Nous nous sommes mises très vite d’accord sur ce que nous ne voulions pas : pas de monument aux morts et pas de pièce historique au sens strict. Nous avions au contraire la volonté de nous emparer du sujet et d’en faire quelque chose de vivant, d’arriver à retraverser l’événement pour comprendre à la fois la force de ce rêve et sa force contraire - son écrasement violent. Nous voulions rentrer dans l’épaisseur humaine de cette aventure.

C’est le premier projet sur lequel nous avons travaillé à deux, Sophie et moi (il y en a eu ensuite un deuxième, Charge d’âme, que nous avons créé assez rapidement dans le cadre du Prix Théâtre 13). Nous avons commencé par une phase de documentation (qui n’est jamais vraiment finie !), et nous nous sommes aussi interrogées sur la méconnaissance actuelle de l’événement, en comparaison avec d’autres épisodes de l’histoire de France, parfois plus lointains, comme la Révolution française… Comme si l’on avait versé des tonnes de sable sur cet épisode, qui a traumatisé l’Europe mais qui est tombé dans l’oubli.

La connaissance que nous en avions était d’ailleurs très sommaire, en raison de sa quasi-absence des programmes scolaires. Nos études supérieures en littérature, et en particulier l’étude de l’histoire du XIXe siècle nous ont permis de compléter, en partie, ce que nous avions appris au lycée - mais qu’en est-il de celles et ceux qui n’étudient plus l’histoire au-delà de l’école ?

FVLC : Comment s’est déroulé le travail d’écriture de Fausse commune ?

PLL :Je dirais qu’il y a eu deux grandes phases dans le processus d’écriture, et que nous attaquons la troisième phase aujourd’hui. La première phase a été un travail de construction. Nous avons d’abord ouvert les possibilités en nous plongeant dans une grande diversité de récits et de styles littéraires, et en laissant venir les impressions... Puis nous avons construit des personnages, en identifiant des personnalités historiques sur lesquelles nous désirions travailler et que nous souhaitions aussi “habiller de fiction” - c’est-à-dire déshabiller progressivement de leurs attributs historiques pour les doter de caractéristiques ou d’anecdotes relevant d’autres personnalités écartées lors de notre travail d’approche. Nous avons commencé à mélanger les histoires - les vraies et les fausses ! - pour que Louise Michel devienne Louise, et Louis Rossel, Louis. Inspirés de ces personnalités très fortes (et d’autres encore, comme Eugène Varlin, Napoléon Gaillard ou encore André Léo), nos personnages ont progressivement pris leur indépendance. Enfin, nous avons imaginé un déroulé qui nous permettrait de traverser l’histoire de la Commune. Il s’agissait d’une sorte d’intrigue chorale, très incarnée, qui devait beaucoup à la lecture de l’ouvrage de Jacques Rougerie sur les procès de la Commune - à travers lequel on entend une myriade bouleversante de voix humaines et proches...

La deuxième phase a consisté à déconstruire ce cadre. Après un nouveau temps de recherche et de décantation, et la fréquentation de nouvelles inspirations - comme la mise en scène de 1789par Ariane Mnouchkine, pour ne citer qu’un exemple -, nous avons eu le désir de nous libérer de la notion d’intrigue (avec ses personnages qu’on suit), et d’assumer quelque chose qui serait plus proche d’une succession d’éclats témoignant à la fois des événements de la Commune et de ce qu’il en reste, aujourd’hui.

Il s’agissait d’abord d’exprimer un désir, qui existait dès le début, de jouer avec la temporalité, d’oser les anachronismes, et de faire briller les reflets d’une actualité 2021 si proche parfois des événements de 1871… De se dire : les comédiennes et les comédiens sont des gens qui vivent au XXIe siècle. Qu’ont-ils à dire sur ce qu’ils sont en train de raconter et sur ce qui s’est passé il y a cent-cinquante ans ? Quel est leur rapport personnel, intime mais aussi politique, avec ces personnages que nous avons créés ?

Il s’agissait aussi de prendre nos distances avec l’histoire, pour rendre possible un ton libre, humoristique qui nous était cher depuis le début, pour deux raisons. La première, c’est qu’il a marqué notre génération. Je pense à une référence qui peut paraître particulièrement triviale : Papy fait de la résistance, un film grand-guignolesque sur un sujet qui pourrait “mériter mieux”, une farce qui désacralise complètement l’image du résistant français. Mais l’humour permet aussi d’accéder à l’horreur ! Il y a par exemple cette réplique, prêtée au collaborationniste Adolfo Ramirez (Gérard Jugnot, en membre de la gestapo), qui dit à Dominique Lavanant en la voyant embrasser un général allemand : « Salope, tu seras tondue ! » - anachronisme total, puisqu’on est en 1942. C’est à la fois drôle et affreux - et ces deux informations contradictoires sont traitées simultanément par notre cerveau, qui fait alors son travail critique, et le fait d’autant plus volontiers qu’il se “divertit” à le faire…

Et la deuxième raison pour laquelle l’humour était consubstantiel à ce projet, c’est que les personnalités qui ont marqué la Commune étaient certes fondamentalement empreintes d’une conscience historique - ce que l’historien Henri Lefebvre a très bien décrit dans La Proclamation de la Commune- mais elles étaient aussi, pour beaucoup, dotées d’un formidable sens de l’humour. Je pense par exemple aux Cahiers rouges de Maxime Vuillaume, qui témoigne de l’univers satirique (et souvent potache) du Père Duchêne

Cette deuxième phase d’écriture s’est conclue lors d’une résidence de création au Théâtre Paris Villette en décembre 2020, avec la conception d'une maquette de 30 minutes reflétant toutes ces intentions : l’incarnation de personnages historiques, les témoignages des interprètes, l’épreuve de l’humour et son entrelacement avec des retournements tragiques, le jeu du “décalage”.

C’est ce travail de synthèse qui nous a permis d’entrer dans la troisième et dernière phase d’écriture, qui va consister à resserrer le jeu entre toutes les pistes empruntées et à choisir la “note majeure” du spectacle, pour raconter efficacement cet événement hors-normes avec la plus grande économie de moyens.

FVLC : C’est l’économie de moyens qui laisse la place à l’imagination ?

PLL : C’est un vrai sujet, surtout lorsqu’on essaie de représenter un événement aussi monumental dans son échelle que la Commune de Paris ! Les guerres, les révolutions sont des événements dont la représentation pourrait mobiliser des centaines de personnes... Que fait-on quand on ne dispose pas des moyens d’une superproduction hollywoodienne ?

La réponse, comme le dit Giono, se situe en partie dans l’écriture - je le cite de mémoire lorsque, interrogé sur ses velléités de réalisation cinématographiques, il répond : « je comprends l’attrait qu’il y a à diriger des milliers de figurants, depuis un fauteuil, pour donner vie aux armées de Jules César ; mais moi, je n’ai qu’à prendre mon stylo et les armées de Jules César se mettent en marche. »

Mais il faut aussi trouver une réponse scénique à cette question. Comment représenter, à l’échelle du théâtre, un événement qui se passe à l’échelle d’une ville et dans lequel la confrontation militaire occupe une place centrale ? Pensons aux barricades, à la destruction de la colonne Vendôme, au bruit incessant des canons qui caractérisait le printemps 1871… Pour réfléchir à cela, nous avons bien sûr puisé dans l’histoire et l’actualité du théâtre et identifié de nombreux outils : il y a par exemple le “spectacle total”, tel que le pratique Ariane Mnouchkine, et qui rejoint notre désir de théâtre déambulatoire et immersif ; mais aussi le théâtre d’objet -- je pense par exemple à la Cie Les Maladroits qui raconte, dans son spectacle Frères, la guerre d’Espagne grâce aux ressources d’une cuisine (carrés de sucre, farine, cafetière, etc…) ; ou encore l’expression corporelle et la musique.

C’est très enrichissant pour nous de travailler avec ces différents outils : les objets, le mobilier, les corps… pour trouver la juste façon de raconter une ville qui se soulève - et qu’on écrase.

FVLC : Il y a aussi l’interpellation du public…

PLL : L’interpellation du public et l’absence de frontière salle/scène faisaient partie, dès le début, du cœur du projet. Il ne s’agissait pas pour nous de créer un décor total, comme dans certains spectacles dits “immersifs”, mais de rendre compte d’une expérience qui est avant tout collective et au sein de laquelle l’individu s’interroge.

On pourrait plutôt parler de théâtre déambulatoire : comédiens et spectateurs circulent ensemble dans un même espace, et sans qu’on attende nécessairement des seconds une forme de participation, ils jouent cependant toujours un rôle qui les situe dans un statut actif : jurés d’une cour d’assise, témoins d’une réunion, etc.

Ce qui était intuitif au départ s’est vite révélé évident. A commencer, justement, par ce souhait de ne pas raconterla Commune, mais de traverserensemble une représentation de ce qu’a pu être ce printemps insurrectionnel. La déambulation place immédiatement le spectateur dans le rôle du témoin, complexe et ambigu. Si je prends l’exemple très concret des procès, à partir du moment où l’on comprend, dès la première réplique, qu’il y a un juge et un accusé, on sait tout de suite, en tant que spectateur ou spectatrice, quel est notre rôle. On comprend qu’on va essayer de nous convaincre, qu’on va devoir mettre notre esprit critique en alerte, qu’on va devoir juger entre différentes représentations de la réalité… On est immédiatement pris dans un nœud interindividuel : faut-il croire ceux qui parlent ? Faut-il les suivre ? Est-ce qu’être à côté de quelqu’un, c’est être dans son camp ? Est-ce qu’on peut changer de camp, se rapprocher du personnage qui nous convainc le plus ? Ces relations de conviction, de jugement, d’esprit critique, et d’intimité aussi nous passionnent.

FVLC : Comment vous êtes-vous situées, dans le travail d’écriture, par rapport à l’actualité des thèmes de la Commune ?

PLL : L’actualité de la Commune, c’est quelque chose que nous avions en tête au tout début du travail - notamment la question du lien entre violence et politique. Nous étions d’ailleurs en novembre 2018, au début du Mouvement des Gilets jaunes. Puis, par le biais de nos lectures - je pense par exemple au livre de Kristin Ross, L’Imaginaire de la Commune, qui explore l’inconscient politique de cet événement – cette intuition n’a cessé de se renforcer. Nous avons continué à mesurer à quel point cet événement était actuel, et plus proche par bien des aspects que des événements plus récents comme Mai 68 par exemple, qui est pourtant un incontournable de certaines histoires de famille (la mienne, à tout le moins !).

Citons quelques exemples pêle-mêle : la place du précariat dans la ville, qui explose pendant le Second Empire et sa révolution industrielle, et qu’on retrouve aujourd’hui sous la forme de ces chauffeurs-livreurs qui travaillent “à la tâche”, sans contrat durable et sans protection sociale ; la gentrification des quartiers parisiens, bien sûr ; la visibilité des inégalités dans l’espace urbain, c’est-à-dire l’alternance entre des quartiers très pauvres et des vitrines du luxe -- le Bon Marché en 1869, et le Marais aujourd’hui...

Il y a également le rapport à la pratique démocratique, qui est redevenu un sujet de conflit, comme en attestent des manifestations comme Nuit Debout, Occupy Wall Street ou les Gilets Jaunes, qui posent la question d’une démocratie plus directe, voire plus “sauvage”, et de modalités différentes pour choisir (et révoquer) nos élues et nos élus...  Il y a bien sûr le thème de la commune, au sens de l’échelle communale comme entité de gouvernance, et la question des « communs »…La question du revenu universel… De l’égalité entre les hommes et les femmes et de la place des femmes dans l’espace public… Tous ces thèmes sont brûlants aujourd’hui ; toutes ces interrogations qui ont traversé la Commune, toutes ces contradictions aussi (qui faisaient coexister des personnes favorables à la propriété privée pour tous, et d’autres opposées à la notion même de propriété privée), on les retrouve dans la France contemporaine.

Ce qui est intéressant pour nous aussi, c’est que le théâtre (au sens de la pratique ou de l’institution) est bien le miroir du monde ; c’est-à-dire que les questions posées en 1871 et en 2021 existent en miroir dans notre métier : comment s’éloigner du regard “vertical” du metteur en scène ? Faut-il favoriser la création collective ? Qu’est-ce qu’un théâtre démocratique ou écologiste ? Quel rôle joue le théâtre dans notre écosystème sociétal ?

Je repense souvent à un entretien dans lequel le metteur en scène allemand Thomas Ostermeier décrivait l’expérience catastrophique qu’a été, pour lui, l’expérience de l’autogestion à la Schaubühne. Lorsque la démocratie directe “patine”, faut-il mettre en place le Comité de salut public ? Pour aboutir à une création ou gérer un théâtre ou une ville, faut-il laisser la place à toutes les voix ? Faut-il à un moment faire acte d’autorité ? C’est une question qui me semble à la fois insoluble et passionnante.  

FVLC : Fausse Commune est un projet porté par la Compagnie Espère un peu. Peux-tu nous la présenter ?

PLL : La compagnie a été créée en 2019 à Nîmes, dans le Gard, où j’ai des attaches familiales fortes. Trois projets sont portés par la compagnie aujourd’hui : ceux que nous créons en binôme avec Sophie, à savoir Charge d’âme et Fausse Commune, et une manifestation collective qui a lieu chaque année au Pont de Montvert - Sud Mont Lozère, “Le Grand Mystère”.

Le nom de la compagnie a été choisi avec cette idée que nous étions d’une génération certes postérieure aux grands rêves ou aux grandes idées révolutionnaires, mais que nous ne voulions pas pour autant nous laisser dominer par le pessimisme ou le cynisme. L’espoir, même infime, est ce qui nous fait vivre ! Et puis, dans le Sud « espère » peut vouloir dire plusieurs choses, attendre, être patient. Etre àl’espère, c’est être à l’affût. Regarder, observer, avant de bondir…

Moins métaphoriquement, sur le travail de la compagnie, et sur les différents projets qu’elle porte, il y a un lien fort avec le texte dramatique et la narration - qu’il s’agisse de faits réels ou de fiction - avec la volonté d’embarquer nos spectateurs dans des récits qui nous permettent de voyager, de rêver ou de vivre autre chose !

Calendrier des représentations de Fausse Commune au printemps 2021

Mairie du 18e arrondissement : 26 mars 

Hôtel de Ville, en partenariat avec la Boîte à Histoires : 29 avril 

Mairie du 11e arrondissement : 21 mai 

Mairie du 10e arrondissement : 25 mai 

Mairie du 20e arrondissement : 29 mai 

Mairie du Centre : date à confirmer 

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