FAISONS VIVRE LA COMMUNE (FVLC) : Comment est né le projet du Bal des disparu·es?
COMPAGNIE LA GRENADE (CLG) : Au moment de Nuit Debout, en 2016, les références à la Commune de Paris sont nombreuses, mais on s’interroge : jamais entendu parler de la Commune, ou si peu… Colère sourde, sentiment d’injustice. L’héritier-e qui ne connaît pas son histoire ne sera jamais tout à fait entier-e. Il nous a paru important de chercher à comprendre d’abord, puis de transmettre le fruit de nos recherches. Ne pas laisser cet événement national dans l’oubli ou entre les mains des idéologies politiques. Le remettre dans le domaine public, et faire en sorte que chacun-e puisse se la réapproprier. Quelque part, le membre amputé continue de gratter.
L’histoire, la petite, la fictive, de Jeanne et Eugène, mariés posthume du Bal des disparu.e.s, nous a été inspirée par une anecdote qui reflète pour nous l’atmosphère de la Commune : le dimanche 21 mai, un immense concert est organisé aux Tuileries, au profit des veuves et orphelins des gardes nationaux morts pour la Commune. Tout le monde est là. On est dimanche, il fait beau, c’est la trêve. Un homme crie : « Citoyens, Citoyennes, M. Thiers avait promis d’entrer hier à Paris. M. Thiers n’est pas entré ; il n’entrera pas. Je vous convie pour dimanche prochain 28, ici, à la même place, à notre second concert au profit des veuves et des orphelins !». Et pourtant. Les Versaillais viennent d’entrer dans Paris par la porte de Saint-Cloud délaissée par la Garde Nationale – venue assister et jouer au concert des Tuileries, justement. Tout est fini : le dimanche 28, dans une semaine jour pour jour, les dernier-e-s combattant-e-s tomberont au Père Lachaise – mais la fête bat son plein. La naïveté absurde de cette dernière fête de la Commune nous a touchées. C’est cet instant T que nous avons voulu raconter, cette seconde où les communard-e-s trinquent et chantent si fort que leur bruit couvre celui de l’approche de la mort.
FVLC : Quelle est la place de la question sociale dans la trajectoire de la compagnie La Grenade ?
CLG : Plus que la question sociale, la Grenade se pose - en permanence - la question du politique. Dans tous nos spectacles, il s’agit d’observer, interroger et critiquer la société. Critiquer pour mieux reconstruire. Oser le politique, mais ne pas faire de politique. Lorsque qu’un sujet nous démange, on se documente, on discute, on s’engueule, on lit, on fouille.
La compagnie a d’abord adapté des textes romanesques à la scène, notamment Quatre-vingt-treizede Victor Hugo, avant de poursuivre son exploration des révoltes à travers l’écriture de plateau. La création suivante, L’Assemblée Nationale est morte, vive l’Assemblée, met en scène trois ancien.ne.s député.e.s, de retour dans un Palais Bourbon désaffecté. Cette réunion très-souterraine retrace les origines, déboires et dérives de notre grande et emblématique démocratie française dans un désordre éclatant, pour réfléchir à la reconstruction de tout ça.
FVLC : Au-delà de la mémoire que cette pièce de théâtre contribue à entretenir la mémoire sur la Commune de Paris, comment s'inscrit-elle dans le présent ?
CLG :A force de travailler sur la Commune, on la voit partout, bien sûr. Les Gilets Jaunes taguent l’Arc de Triomphe, la Commune déboulonne la Colonne Vendôme – deux monuments du patrimoine napoléonien. La ZAD occupe un territoire pour obtenir le droit de décider par elle-même de son mode de vie, la Commune occupe la capitale et revendique le droit d’avoir sa propre municipalité pour affranchir la ville de Paris du Gouvernement National. Organisations horizontales, quête d’indépendances, propositions de réformes sociales de fond, besoin d’un monde plus fraternel... Ces trois mouvements (pour ne citer que ces trois-là) se répondent dans le temps et l’espace. Les réactions gouvernementales sont d’ailleurs similaires : proposition de discussion par devant, répression, sanglante dans le cas communard, par derrière. Bref, les échos sont foisons, et nous souhaitons qu’ils se fassent sentir. Mais nous ne souhaitons pas les souligner, nous ne voulons pas expliquer ou imposer. Nous préférons que le public fasse le lien lui-même, s’il le souhaite. Notre travail à nous est de créer un écrin qui permette au public de reconnaître son quotidien dans cette Commune vieille de 150 ans. Ce sont donc la scénographie et les costumes qui, résolument contemporain-e-s, faciliteront les rebonds entre les époques. La barricade aura des airs de Rond-point, et les communard-e-s des allures de zadistes.
Loin de nous l’envie de faire une fresque historique en costume d’époque. Ce qui nous intéresse dans la Commune de Paris n’est pas tant sa chronologie exacte que sa disparition de notre héritage, et l’écho de ses combats avec aujourd’hui. Si, en sortant du spectacle, certain-e-s se jettent sur des livres d’Histoire, tant mieux. Mais nous ne raconterons qu’une petite histoire, celle d’un mariage posthume qui se déroule en 1871 – les échos se feront d’eux-mêmes.
Durée du spectacle: 1 h 20
À partir de 10 ans
Le site de la compagnie http://lagrenade.fr