fantomiald1976 (avatar)

fantomiald1976

Essayiste et autodidacte du droit pénal

Abonné·e de Mediapart

12 Billets

0 Édition

Billet de blog 11 juillet 2023

fantomiald1976 (avatar)

fantomiald1976

Essayiste et autodidacte du droit pénal

Abonné·e de Mediapart

Affaire Grégory, pour mémoire

Voilà six ans que le premier magistrat instructeur de l'affaire Grégory, Jean-Michel Lambert, nous a quittés. Le lecteur trouvera ci-après un extrait de ma brochure (non publiée à ce jour) "Vérités de justice De la nécessaire connaissance des décisions judiciaires de référence".

fantomiald1976 (avatar)

fantomiald1976

Essayiste et autodidacte du droit pénal

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans un premier jet de mon essai autoédité Coupables innocents, j’écrivais ceci dans une note de page, à propos de l’affaire Grégory : « si on devait faire preuve d’une neutralité totale, il faudrait publier une compilation des décisions de justice rendues contre ou en faveur de tel ou tel protagoniste de ce dossier douloureux » Une telle initiative ne parviendrait sans doute pas à mettre d’accord les aficionados de « l’Affaire » intervenant sur YouTube[1] et les réseaux sociaux[2], mais elle éviterait peut-être de voir perdurer des interprétations un rien complotistes du dossier, comme celle de feu Paul Prompt, communiste, ancien résistant FTP et pugnace avocat de la famille Bolle-Laroche[3], ou celle du deuxième magistrat instructeur du dossier, le président Maurice Simon, exprimée dans ses carnets privés (« cette affaire Villemin est un odieux montage orchestré par le parti communiste et les socialistes », note du 15 septembre 1987[4]).

Tout le monde connaît l’arrêt de non-lieu en faveur de Christine Blaise épouse Villemin rendu par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Dijon, daté du 3 février 1993. Ce document de 93 pages est souvent présenté comme une décision historique car la formule habituelle « pas de charges suffisantes » a été remplacée par « pas de charges » ; du reste, il a bénéficié ensuite d’une publication via le magazine dirigé par Alain Ayache La vraie vérité (n° 1, 9 février 1993) sous forme de fascicule illustré avec une nouvelle pagination (55 pages), un sous-titre-choc – « Les incroyables détails de l’affaire Christine Villemin Le véritable roman policier, que seuls les magistrats et les avocats connaissaient » – et à un prix modique (10 francs[5]). Nous savons aussi que l’État a été condamné par deux fois pour faute lourde, par les cours d’appel de Versailles (arrêt du 15 mai 2002 en faveur de la famille Bolle-Laroche) et de Paris (arrêt du 28 juin 2004, en faveur de Christine et Jean-Marie Villemin[6]). Et on ne manque pas de nous rappeler que la Cour de cassation a confirmé le non-lieu rendu en faveur de l’ex-capitaine Sesmat et des gendarmes de Bruyères par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Dijon (24 novembre 1988, faisant suite à l’ordonnance du juge d’instruction de Dijon Roland Vigne s’étant déjà prononcé dans ce sens le 23 juin 1988) – citons ici l’arrêt de de la chambre criminelle du 30 mars 1989 (n° de pourvoi : 88-87.445) : « Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que, pour refuser les mesures d'instruction supplémentaires sollicitées et confirmer l'ordonnance de non-lieu entreprise, la chambre d'accusation, après avoir analysé l'ensemble des faits dénoncés dans les plaintes des parties civiles appelantes [les familles Bolle et Laroche, pointant du doigt le recueil des propos de Murielle Bolle dans les PV des 2 et 3 novembre 1984] a répondu aux articulations essentielles du mémoire desdites parties civiles et a exposé les motifs dont elle a déduit qu'il n'y avait lieu d'ordonner un supplément d'information et qu'il n'existait pas de charges suffisantes contre quiconque d'avoir commis les crimes et délits de faux en écritures publiques et usage, subornation de témoin et violation du secret de l'instruction[7] ; »

En revanche, bien moins connu est un autre arrêt de non-lieu, toujours de la cour d’appel de Dijon, celui en faveur de Murielle Bolle, sur les chefs de complicité d’assassinat, non-opposition à la réalisation d’un crime, non-assistance à personne en danger, non-dénonciation d’un crime (11 octobre 1988). Par ailleurs, qu’il me soit permis de rappeler que les journalistes ayant accusé le commissaire Corazzi et ses hommes de la PJ de Nancy d’avoir fabriqué des preuves contre Christine Villemin ont été définitivement condamnés, ce qui ressort d’un arrêt de la Cour de cassation du 26 novembre 1991 (n° de pourvoi : 90-83.897) : « Attendu que, pour écarter l'exception de bonne foi invoquée en défense, les juges, après avoir analysé les déclarations des témoins entendus à la requête des prévenus, énoncent que si les journalistes les ont reproduites, ils y ont ajouté des faits qui ne leur avaient pas été rapportés, pour insinuer, notamment, de manière tendancieuse, que les policiers auraient pénétré clandestinement dans le pavillon des époux G..., [Villemin] et y auraient disséminé des morceaux de cordelette dont ils auraient ensuite simulé la découverte lors d'une perquisition, se rendant ainsi coupables de forfaiture ; […] Attendu que les juges ont, d'une part, sans contradiction, déduit du texte même de l'article relatant les détails de la perquisition effectuée en présence de G..., [Christine Villemin] qu'il y avait eu amplification et présentation tendancieuse de faits qui n'avaient été corroborés par aucune déclaration de témoin direct[8] ; »

Enfin, le jugement du TGI de Paris daté du 20 novembre 2002 déboutant le couple Villemin de leur plainte contre Jean-Michel Lambert permet de réfuter un certain nombre de légendes relatives à celui-ci (autopsie sabotée à cause du magistrat, inculpation de Mme Villemin sous influence des médias et des avocats de la famille Bolle-Laroche, déloyauté vis-à-vis de l’inculpée, etc.)  – légendes tenaces en l’occurrence[9]. Là encore, il convient d’en citer quelques passages :

« Attendu qu’il est constant que dans ce dossier, il a été procédé à l’audition d’un nombre considérable de témoins ; qu’un grand nombre d’entre eux, de même que les parties civiles et les époux VILLEMIN, ont été entendus à de multiples reprises ; que de nombreuses expertises ont été ordonnées ; que la plupart d’entre elles ont été confiées à d’éminents spécialistes ;

Attendu que les époux VILLEMIN n’établissent – ni même n’allèguent – que Monsieur LAMBERT aurait refusé de faire procéder à certaines investigations par eux suggérées ; » (p. 20)

« Attendu que le tribunal observe que le juge LAMBERT, nonobstant l’hostilité marquée à son endroit, n’a pas renoncé à continuer d’instruire le dossier, multipliant même les actes d’information, alors même qu’ils étaient immanquablement attaqués en nullité, soit par les époux VILLEMIN, soit par les consorts BOLLE-LAROCHE, en fonction du sens dans lequel ils allaient ; » (p. 25)

Je ne surprendrai guère le lecteur en observant que ce dernier jugement est rarement cité dans les publications sur le dossier Villemin – pas une ligne à ce sujet, par exemple, dans un copieux hors série (« une bible » dira Dominique Rizet sur BFM TV) du journal Le Nouveau Détective paru en janvier 2021[10].

[1] J’invite notamment à consulter cette chaîne,  proposant des vidéos bien documentées :

https://www.youtube.com/channel/UCedbmWa4coWpCFFHe3jE-5w

[2] À ce sujet, on se reportera entre autres à l’article d’Anthony Cortes : « Affaire Grégory la folie des enquêteurs amateurs », Marianne, n° 1198, 28 février/5 mars 2020, p. 16-19.

[3] Interprétation politique très présente dans ses souvenirs sur l’affaire : L’Affaire Grégory La justice a-t-elle dit son dernier mot ? (Paris, Balland, 2007), livre ayant bénéficié d’une réédition revue et augmentée en 2014 sous le titre L’affaire Grégory l’assassinat de Bernard Laroche et le Corbeau de la Vologne 30 ans après, L’institution judiciaire, les médias et la politique (autoédité sous le label Edition des trois renards, édition hors commerce tirée à 100 exemplaires). Dans cette dernière édition, Me Prompt citait dans sa postface (p. 282-284) des extraits du livre bien connu de Marie José Chombart de Lauwe, Complots contre la démocratie Les multiples visages du fascisme, édité par la Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes, en 1981. Pour être franc, je n’ai pas très bien saisi le rapport avec la tragédie de la Vologne.

[4] https://www.estrepublicain.fr/faits-divers/2017/07/12/morceaux-choisis

[5] Fascicule en consultation libre à la BILIPO (Bibliothèque des Littératures Policières) sous la cote 8. 731VI

[6] Dans le volume d’annexes de son livre, Me Prompt a reproduit l’arrêt du 15 mai 2002 en fac-similé (L’affaire Grégory…, volume 2, 4e partie, p. 116-135), ainsi que cinq autres décisions de justice en faveur de ses clients (Ibid., 3e partie, p. 72-115). Si l’arrêt en faveur du couple Villemin n’est plus en ligne, celui du 15 mai 2002 est consultable ici :

http://www.rajf.org/spip.php?article923

[7] https://www.courdecassation.fr/decision/613724fdcd5801467741a083

[8] Articles de Jean-Claude Hauck (dans Le Républicain lorrain) et Catherine Lévitan et Michel Serres (dans Le Figaro magazine), respectivement parus les 19 et 20 février 1988. Conséquence de ces accusations diffamatoires : le 14 février 1989, le tribunal de Nancy condamnera Le Figaro magazine et Le Républicain lorrain à verser respectivement 50 000 et 60 000 francs de dommages et intérêts à chacun des quatre policiers du SRPJ ; condamnation confirmée par la cour d’appel de Nancy le 15 mai 1990, puis par la Cour de cassation – arrêt consultable ici :

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007066756

[9] Pour s’en rendre compte, il suffit de visionner les six épisodes de la fiction Une affaire française, diffusée les 20 et 27 septembre et le 4 octobre 2021 sur TF1 ; un tel acharnement post mortem laisse pantois. On pourra se reporter à ma mise au point sur la mini-série :

https://blogs.mediapart.fr/valandre78/blog/081021/dossier-gregory-villemin-reflexions-sur-une-mauvaise-affaire-francaise

[10] L’affaire Grégory Dans les coulisses de l’enquête, Hors série Le Nouveau Détective n° 2002, janvier 2021. En revanche, le jugement du TGI de Paris a été signalé par l’ex-journaliste Laurence Lacour dans les deux dernières éditions de son pavé Le bûcher des innocents (Paris, Les Arènes, 2006 et 2016 – p. 868 de cette dernière édition).

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.