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Billet de blog 2 novembre 2013

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Le Léviathan et les grilleurs de frontières

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 Article 13 de la déclaration universelle des droits de l'homme

1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un État.

2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.

A lire l'alinéa 2 de l'article 13 de la DUDH, l'on prend conscience de l'étourderie de ses rédacteurs qui ont omis d'assortir le droit de quitter tout pays du droit d'entrer dans un autre. Vous me direz, ce n'est pas grave car beaucoup de migrants le prennent ce droit : grilleurs de frontières c'est ainsi que se dénomment ceux que nous avons désormais coutume d' appeler des sans-papiers ou des clandestins. Ces personnes réussissent le prodige de remettre en cause les trois éléments constitutifs de nos Etats modernes : territoire, population et pouvoir légitime.

L' État en général et l' État démocratique en particulier n'est plus le maître de ses frontières, ne sait plus qui séjourne sur son territoire et peine à faire appliquer ses propres lois. Il suffit de jeter un coup d'oeil sur le bilan pour le moins mitigé des politiques visant à contrôler les flux migratoires pour prendre la mesure de leur nocivité : morts aux frontières, multiplication des sans-papiers, atteintes aux droits de l'Homme, marchandisation du passage des frontières... Sans parler de l'externalisation du contrôle des flux migratoires à des pays moins scrupuleux quant au respect des droits humains (environ 50% des migrants sont des migrantes). Tout cela en n'obtenant aucun résultat tangible quant au "stock" de sans-papiers présents sur le territoire !

La proposition du Président de la République en personne à Léonarda témoigne un peu de ce qu'il y a de dérisoire dans cette volonté de contrôle : Léonarda peut rentrer mais pas sa famille ! Quid de ses frères et soeurs possiblement meilleurs élèves qu'elle ? Peut-être faudrait-il créer une commission ad hoc... ou faire trancher la question par un conseil de classe. Plus sérieusement, cette synthèse hollandienne témoigne de la tension entre l'attachement à la souveraineté de l'Etat et à une certaine conception des droits humains toujours vivace dans les pays démocratiques. C'est ainsi que François Hollande parvient à s'aliéner les adorateurs de l' État souverain et les associations de défense des droits de l'Homme comme RESF.

Avec une insolence sans borne, ces grilleurs de frontières n'éprouvent plus toujours le besoin de s'intégrer ou de s'installer durablement sur le territoire national. C'est qu'ils sont installés dans la mobilité elle-même ! En cela, les roms ne sont pas si spécifiques qu'on le croit souvent et sont assez représentatifs des migrants à l'ère de la mondialisation. Après avoir défié l'Etat, voilà que ces grilleurs de frontières snobent la Nation. Le fait que la Nation française ait été produite par l'Etat et qu'elle entretienne toujours un rapport particulier avec lui explique peut-être le caractère inacceptable de ce refus pour les différents ministres de l'Intérieur et une bonne partie de l'opinion publique.

Finalement, l'article 13 de la DUDH contient l'ébauche d'un droit de migrer, c'est-à-dire d'une certaine manière d'un droit d'avoir des droits où que l'on soit. Ce droit à construire est propre à achever de terrifier Alain Finkielkraut qui déclarait récemment que la permanence des frontières était indispensable pour garder un endroit où s'enfuir. Cette déclaration quelque peu paranoïaque témoigne à la fois d'un certain égoïsme communautariste puisque Finkielkraut ne semble pas s'apercevoir que la frontière censée le protéger est celle-là même qui pourrait empêcher d'autres personnes de fuir la guerre, la pauvreté, l'oppression, ou plus prosaïquement des sociétés n'offrant que trop peu de perspectives ; et d'une croyance un peu enfantine dans l'aptitude d'un État à contrôler l'entrée sur son territoire comme un vigile contrôle l'entrée dans une boîte de nuit. D'une certaine manière, l'angélisme se niche peut-être davantage dans la croyance dans la faculté de l'Etat à contrôler les flux migratoires tout en respectant les droits de l'homme que dans la position libérale ou « bienpensante ». Car le réalisme consisterait plutôt à prendre acte de l'échec des différentes politiques d'immigration, donc de la défaillance de l'Etat dans l'une de ses missions les plus régaliennes et à travailler à la construction multilatérale de ce droit à migrer en germe dans la DUDH mais aussi dans le Pacte international sur les Droits civils et politiques (article 12). Cette position est d'autant plus réaliste que l'on observe que c'est souvent la crainte de ne pouvoir revenir qui conduit les migrant-es à rester... Cela implique notamment de confier la gestion des flux migratoires au ministère des affaires étrangères plutôt qu'aux différents ministres de l'Intérieur.

On peut aussi refuser de faire le deuil de la souveraineté de l'Etat-nation sur cette question et se crisper en déplorant le déclin de son autorité mais c'est au risque de nous montrer aussi craintifs et malheureux que Finkielkraut et/ou aussi accueillants que l'accorte Marine Le Pen qui appellent chacun à leur manière à restaurer l'autorité de l'Etat. Et ce serait surtout nous condamner à produire en série des ministres de l' Intérieur que leurs gesticulations stériles prédisposent à se hisser à la tête d'un État s'apparentant davantage à une passoire qu'à un Léviathan tout-puissant. Bref, en soulignant l'étendue de l'impuissance publique, les grilleurs de frontières, populations vulnérables et précaires s'il en est, fragilisent l'Etat-nation et la légitimité de nos institutions aussi stériles que trop superficiellement démocratiques. C'est sans doute pourquoi il leur est si peu pardonné...

* Le livre de Catherine Withol de Wenden, La question migratoire au XXIeme siècle, Presses de sciencespo, 2013 aborde toutes ces questions du point de vue des relations internationales.

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