Ne souhaitant plus polluer les divers fils par un débat visiblement insoluble avec d'autres abonnés, j'ai décidé d'expliciter ma position sur ma conception du débat démocratique et le rôle que peuvent y tenir les références livresques et/ou à des travaux intellectuels. Je vais tenter de le faire sans polémiquer, même si, j'avoue que l'analyse que je fais des conséquences que peuvent produire les discours anti-intellectualistes a tendance à m'agacer.
Un intellectuel selon moi, ou plutôt un chercheur doit être respecté d'abord parce qu'il fournit un travail. Il construit son objet, explicite sa démarche, s'appuie sur des sources et donne un éclairage spécifique sur des sujets qui sont parfois sensibles au sens où ils se prêtent à une exploitation politicienne (ex : la délinquance, l'immigration, l'intégration...). Le propre de ces travaux est en général de ne pas porter de jugements moraux sur des populations, de ne pas imputer la responsabilité de ceci ou de cela à tel ou tel groupe social mais d'expliquer ou de comprendre les ressorts d'une situation, ses enjeux, et parfois, de proposer les pistes qui permettraient peut-être d'en sortir. Je n'adule pas les chercheurs comme on a pu m'en accuser mais considère que ce travail ne peut être réfuté que par une argumentation rigoureuse et "désincarnée". Il ne s'agit pas de disqualifier une personne mais de démontrer que sa méthode était biaisée, qu'elle a négligé tel ou tel aspect, que ses concepts manquent de rigueur... bref, de s'appuyer sur l'outillage théorique qu'il a, au préalable explicité pour lui porter la contradiction.
Exemple d'un débat entre Elif Kayi et Emmanuel Todd (un peu diminué car il parle à travers moi): J'ai cité, sur le blog d'Elif Kayi, Emmanuel Todd qui s'inquiétait des meurtres de femmes turques en Allemagne. J'ai pris soin de ne pas dénaturer son propos en évoquant le fait qu'il n'en tirait aucune généralité. Elif Kayi m'a demandé de le préciser, et j'ai alors recopié un passage du livre où Todd donne des dates et ses sources. Elif Kayi a réfuté son analyse en en donnant une autre interprétation et en resituant ces événements dans un contexte. Dont acte et merci à Elif Kayi mais, aurait-elle pu le faire si je m'étais borné à dire que "quelqu'un m'a dit que", "j'ai pu observer moi-même", "un jeune allemand lui-même dit que"...? Non ! Les propos non sourcés sont irréfutables et ne se prêtent pas au débat. Et voilà pourquoi, ne reste, comme argumentation que l'attaque personnelle ou l'argument d'autorité : "vous êtes ceci ou cela", "moi, j'y étais", "vous êtes trop jeune ou trop vieux voire, comme je l'ai lu, les origines d'untel ou untel disqualifient son discours (j'avoue avoir été surpris par l'absence de réaction à ces propos, un abonné les a même qualifier de culturalistes donc acceptables, sur le sujet je renvoie à l'article d'un chercheur car je suis incorrigible : . http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/edition/minorites-en-tous-genres/article/261108/claude-levi-strauss-a-l-ombre-des-societes-prim )Sur ce registre, il est impossible d'avancer.
On a aussi pu m'opposer que je négligeais l'importance de l'expérience personnelle. Il est vrai que je n'utilise jamais mon expérience personnelle dans un débat, ou, lorsque je l'évoque, je précise au préalable qu'il s'agit d'une "anecdote" (j'utilise alors la formule "à titre anecdotique") dont on ne peut tirer aucune généralité. Pourquoi ? Parce que comme tout le monde, j'ai des représentations (des pré-notions) qui conditionnent ma vision du monde et mon discours. C'est pourquoi, je considère que ces anecdotes sont empreintes d'une subjectivité qui n'a pas d'intérêt dans un débat sur des questions essentielles. Le bon sens ou le sens commun produisent en général une vision sans nuance et bien fade du monde social. Il est porté à problématiser les questions en terme de "responsabilité individuelle", "manque de volonté" de tel ou tel "groupe ou catégorie social", et donc, à stigmatiser ces populations ("les immigrés ne veulent pas s'intégrer, les délinquants sont exclusivement responsables de leurs actes et la réponse politique doit être exclusivement répressive, les chômeurs...). Bref, le bon sens, dont vous pouvez constater l'usage qu'en fait Nicolas Sarkozy, est trop souvent un discours de stigmatisation et d'incrimination des plus démunis. C'est justement par le travail de mise à distance du bon sens qu'opère les chercheurs en sciences sociales, de déconstruction de ce que nous percevons comme naturel que l'on peut se déprendre de ces pseudo-catégories et se forger une vision du monde nuancée, complexe et j'ose le dire, empreinte d'empathie. Cette vision du monde, qui constitue selon moi une richesse, je la dois aux chercheurs en sciences sociales, c'est pourquoi, si je ne les adule pas (leurs travaux sont voués à être réfutés, dépassés, approfondis...), je les respecte et les remercie.
PS : si je ne cite explicitement personne dans mon texte c'est pour ne pas personnaliser le débat et désigner telle ou telle personne comme incarnant ce bon sens et ces méthodes qui m'inquiètent et, j'en refais l'aveu m'agacent. Je sais qu'elles se reconnaitront si elles me lisent et peuvent donc répondre (toutes sont les bienvenues).