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Billet de blog 7 juin 2014

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Un contrôle d'identité comme un autre

Un homme de couleur noire est assis devant un point Coop. Il tient une bouteille de bière à la main. Pas une canette. Une bouteille de 25cl : une seize. Il n'est pas assis par-terre. Il est sur un banc formé par le mur en-deçà de la devanture de l'épicerie. Il est 19h, il fait très lourd et il sirote sa bière le regard dans le vide. Une paire de New-Balance aux pieds, un pantalon de velours et une veste ajustée. Il doit avoir dans les 45 ans. Je suis posté devant un bistrot et je le vois plus que je ne le regarde. Je remarque deux policiers passer devant lui, à pieds.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Un homme de couleur noire est assis devant un point Coop. Il tient une bouteille de bière à la main. Pas une canette. Une bouteille de 25cl : une seize. Il n'est pas assis par-terre. Il est sur un banc formé par le mur en-deçà de la devanture de l'épicerie. Il est 19h, il fait très lourd et il sirote sa bière le regard dans le vide. Une paire de New-Balance aux pieds, un pantalon de velours et une veste ajustée. Il doit avoir dans les 45 ans. Je suis posté devant un bistrot et je le vois plus que je ne le regarde. Je remarque deux policiers passer devant lui, à pieds. Matraques dans le dos, gilet par-balles, une arme à la ceinture, ils ne sont pas sans m'évoquer Robocop. Cela dit, sans aucun jugement de ma part, « ils font leur boulot » me suis-je dit. Ils passent très près de moi, et tournent au coin de la rue. Deux ou trois types, restés dans le bar en questionnent un autre pour lui demander ce qu'ils voulaient.

- « J'sais pas ce qu'ils voulaient, ils tournent à pieds »

- « Ils cherchent quelqu'un ? »

- « Quand ils tournent à pieds, ils cherchent toujours quelqu'un ! »

Mais les voilà qui reviennent. Ils repassent devant moi, très près. J'observe leur démarche et je remarque que le plus petit d'entre eux marche un peu comme un gosse qui voudrait se faire plus grand et plus baraqué qu'il ne l'est : il écarte les bras bien plus que ne l'exige l'envergure de ses dorsaux. Ca me fait un peu sourire, sans plus.

Ils se dirigent vers l'homme à la bière qui n'a pas bougé d'un iota. Ils s'arrêtent et je comprends sans mérite excessif qu'il s'agit d'un contrôle d'identité. Notre homme sort ses papiers et leur remet une carte d'identité. En scrutant la scène, je me souviens d'un cours de droit professé par un avocat qui nous expliquait qu'en principe, un contrôle d'identité devait toujours être motivé par un risque pour l'ordre public. Il disait aussi que les policiers pouvaient être très inventifs sur cette question. Mais c'était il y a 20 ans. Mon dieu... La situation a changé pour moi depuis 20 ans et pour notre homme depuis vingt secondes. Il est l'objet d'une fouille. Le plus grand des deux agents lui palpe tout le corps et insiste lourdement sur les alentours de son sexe. Le type ne réagit pas et semble accepter la fouille avec résignation. La scène est très humiliante et il est visible que c'est sa fonction. Pendant ce temps, l'autre policier téléphone pour procéder à une vérification d'identité. Je me rends compte que j'ai glissé machinalement ma main dans ma poche pour vérifier que j'avais bien mes papiers sur moi. Mais je ne les ai pas. Je commence à m'inquiéter. Je ne suis posté devant ce bar dans lequel je n'ai jamais mis les pieds que parce que mon fils y fait une partie de baby-foot avec « son meilleur copain » qui l'a interpellé - terminologie de circonstance - alors que nous rentions chez nous. Un gamin de six ans assez stupéfiant, aussi à l'aise dans une galerie d'art que dans ce bar très populaire et très multiculturel. Un gamin que j'aime bien. « S'ils me contrôlent, je vais au poste et que feraient-ils de mon fils » ? C'est alors que je m'aperçois que les policiers sont en train de verbaliser l'homme à la bière. Je me demande pour quel motif. Il ne dit toujours rien. Après que les policiers se sont éloignés, je l'entends simplement dire « Facho ». Il se lève, vient vers le bar, et s'adosse au mur à un mètre de moi. Il est visiblement contrarié mais très calme. Il est connu dans le coin puisque les types du bar en sortent et lui demandent le montant de l'amende.

« 68 euros, c'est sa mère qui va les payer, facho».

Mais pourquoi ? Je finis par lui demander.

« Alcool, on n'a pas le droit de boire une bière dehors ils m'ont dit ».

J'ai rappelé mon fils et suis rentré chez moi rasssuré. Les forces de l'ordre veillent sur nous.

Vive la République, vive la France !

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