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Billet de blog 17 avril 2016

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Printemps républicain, hiver juridique

Y a des matins, je n'ai pas pu pas écouter Les Matins de France culture. C'est alors que je me rends sur leur site et que je vérifie si, des fois, le sociologue défroqué en animateur radio qu'est Guillaume Erner, n'aurait pas, par hasard, profité de mon indisponibilité pour inviter quelqu'un d'intéressant.

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Y a des matins, je n'ai pas pu pas écouter Les Matins de France culture. C'est alors que je me rends sur leur site et que je vérifie si, des fois, le sociologue défroqué en animateur radio qu'est Guillaume Erner, n'aurait pas, par hasard, profité de mon indisponibilité pour inviter quelqu'un d'intéressant.

Vers la mi-mars, j'avais été alléché par l'émission intitulée « Mobilisation 2.0 : vers un printemps démocratique ? » et je me suis promis de l'écouter en re-play, dès que l'occasion s'en présenterait. Et le grand jour est arrivé, avec les vacances scolaires de la zone B. Je retourne sur le site, retrouve facilement l'émission et conçois une certaine déception en constatant qu'en fait de Printemps démocratique comme le proclame le titre, il sera surtout question de Printemps républicain. « C'est quasiment de la publicité mensongère ! » me suis-je dit, par devers moi. Une rage toute retenue m'a même conduit à envisager de consacrer mon samedi matin à écouter les Rép(ub)liques de Finkielkraut. Le truc, avec cette émission, c'est que même en direct, ça a toujours l'air d'être un re-play. Bref. Je me suis donc résigné à écouter Yaëlle Mellul, Présidente de Femme et Libre et Yannis Roder, qui lui a un emploi, puisqu'il est professeur d'histoire-géographie dans un collège de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), nous expliquer en quoi consistait ce soulèvement 2.0.

Evidemment, il a tout de suite été question des atteintes que, notre République, faible et pècheresse, tolèrerait chaque jour que Dieu fait, et toute la sainte-journée au sacro-saint principe de laïcité. Les attaques viendraient aussi bien des extrémistes de droite, mais jusqu'ici rien de nouveau - même si Elisabeth Badinter, qui avait audacieusement déclaré qu'il ne restait plus que Marine le Pen pour défendre la laïcité, ne serait peut-être pas d'accord - aussi bien des extrémistes de droite donc, que des extrémistes de gauche qui brandissent « cette conception qu'est l'islamophobie et le racisme dès que nous dénonçons ce qui nous semble être des dérives communautaires ». En fait d'extrémistes de gauche, et alors que je m'attendais au moins à une mise en accusation d'Edwy Plenel, c'est Jean-Louis Bianco qui a été cité. « Pour voir Bianco à l'extrême gauche, il faut l'observer depuis un point de vue très à droite ! » me suis-je dit par devers moi. Mais je n'ai pas pensé à passer chez Finkielkraut. Et j'ai bien fait, car sinon, j'aurais raté ça :

« La laïcité est inscrite dans nos valeurs, dans le marbre de notre société, il ne saurait être question de tolérer aujourd'hui une quelconque atteinte à ces principes qui fondent notre société. Alors oui, aujourd'hui, il y a clairement des atteintes à la laïcité. Il faudrait être sourd ou aveugle pour ne pas les voir et ne pas les entendre. Nous ne pouvons plus aujourd'hui nous taire quand nous voyons des petites filles voilées, ou alors des jeunes filles lorsqu'elles sont réglées vont être obligées de porter peut-être même un voile intégral, elles vont être objétisées et être considérées comme un objet sexuel, donc toutes ces atteintes au principe de l'égalité femmes-hommes ne peuvent pas être tolérées, nous ne pouvons pas parler aujourd'hui d'accomodation, nous sommes dans un mode universaliste et aucun précepte religieux, culturel ou cultuel ne saurait justifier une quelconque atteinte à ces principes-là ».

C'est du Yaëlle Mellul dans le texte. Alors évidemment, il est un peu difficile de prendre au sérieux quelqu'un qui affirme avec une autorité toute républicaine qu'il faut être sourd et aveugle pour ne pas voir et entendre les atteintes au principe de laïcité et pense sincèrement faire la démonstration de leur existence en disant « ou alors des jeunes filles lorsqu'elles sont réglées vont être obligées de porter peut-être même un voile intégral, elles vont être objétisées et être considérées comme un objet sexuel ». « Mais de quoi elle parle ? » me suis-je dit, par devers moi. Le pire, c'est que je pourrais souscrire à tout ce qu'elle dénonce - avec peut-être un peu plus de rigueur et un peu moins de pathos, certes - mais que je ne vois pas du tout pourquoi le faire au nom du principe de laïcité. C'est alors que j'ai pensé à cette citation : « Si le seul outil que vous avez est un marteau, vous tendez à voir tout problème comme un clou ». Le Printemps républicain a donc trouvé un marteau, c'est la laïcité, et compte bien s'en servir pour régler tous nos maux. Pour tout vous avouer, je me suis dit aussi, toujours par devers moi, « ils auraient quand même pu trouver des représentants un peu plus informés sur le principe de laïcité pour assurer leur com' sur france Q, nos bourgeons républicains... ». Et je ne croyais pas si bien médire en mon for intérieur car, sommée quelques instants plus tard par Guillaume Erner de donner des exemples concrets d'atteintes à la laïcité que tolèrerait la République, Yaëlle Mellul, a dégainé...les atteintes à la loi sur le voile intégral ! Loi qui, comme tous ceux qui s'intéressent vraiment au principe de laïcité le savent, fut fondée sur des considérations relatives à la protection de l'ordre public parce qu'elle est justement contraire au principe de laïcité qui n'est pas la séparation de la religion et de la société. Il est vrai que tout le monde semblait l'ignorer sur le plateau. Mais bon. Alors ignorance ou mépris du droit ? On est en droit de s'interroger lorsque l'on sait que Laurent Bouvet, l'alchimiste qui transforme la xénophobie et l'islamophobie en « sentiment d'insécurité culturelle », regrette une vision de la loi de 1905 réduite à un " juridisme strict " et que Manuel Valls déplore de ne pouvoir interdire le voile à l'université car « il y a des règles constitutionnelles qui rendent cette interdiction difficile ». C'est fou le nombre de trucs que nous rendent difficiles la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et la constitution quand même ! L'imagine-t-on déclarer sereinement, " je supprimerais bien le processus électoral mais il y a malheureusement des règles constitutionnelles qui rendent cette suppression difficile " ? Tout deux, d'une certaine manière, reconnaissent en creux qu'ils en ont après une de nos libertés fondamentales. Le rapport au Droit que signalent de tels propos n'est pas sans évoquer celui de flics, sûrs d'incarner le Bien, qui considèrent les droits de la défense comme des obstacles inutiles à l'idée qu'ils se font de leur propre droit fondamental à appliquer leur propre loi. Du coup, le concept de laïcité répressive leur va quand même comme un gant de velours.

Au moment de la mort de Charles Bronson, un journaliste de ma radio préférée était parvenu à dresser une nécrologie intéressante. Il avait dit en substance, que cet acteur qui avait commencé sa carrière en incarnant des hors-la-loi, avait ensuite joué des personnages qui faisaient respecter la loi pour achever sa carrière avec des rôles qui le menaient au-delà de la loi. Il pensait évidemment à la série Un justicier dans la ville, où dans chaque épisode, Charles Bronson, bouleversé par l'assassinat de sa femme, de son ami ou de sa fille, et dubitatif quant à l'aptitude de la justice à infliger un châtiment suffisamment sévère aux coupables, se livrait à des massacres systématiques de délinquants dans les quartiers populaires. Tout comme Bronson considérait que la loi faisait obstacle à la réalisation de sa conception de la justice, nos néo-républicains d'élite, et là je pense à Valls ou Bouvet, pas à nos invités qui visiblement n'en peuvent mai (oui, sans s, c'est l'printemps !), semblent convaincus que la constitution fait obstacle à la réalisation de leur conception de la laïcité. Avec d'autres, ils forment une espèce de brigade de justiciers dans la Nation. La trajectoire et les ambitions de Valls, le conduiront sans doute à assumer de plus en plus fièrement son populisme laïcard, et, s'identifiant à un Bronson ou, dans la même veine, à un Eastwood francisé en Dirty Henri, à se dire un jour, par devers lui - ou pas :  « P'têt que j'pue, mais j'ai de bons sondages ! ».

On peut écouter l'émission ici : http://www.franceculture.fr/emissions/l-invite-des-matins/mobilisation-20-vers-un-printemps-democratique

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