Un matin de mars 2008, j’écoute la radio où Edwy Pleynel fait la promotion d’un nouveau journal qu’il vient de créer : Mediapart. Déçu par Le Monde que j’achetais presque quotidiennement, consterné par Libé, j’avais fini par refuser de payer pour de tels quotidiens et les consultais sur le net. Un nouveau journal donc, l’idée était plutôt séduisante et, il faut le reconnaître, plutôt bien vendue par son directeur : « un média à part », « un média participatif », « un journal indépendant »… Une heure après, j’étais abonné.
Premières impressions plutôt bonnes : des articles de qualité, des sujets rarement évoqués aussi longuement ailleurs, des commentaires intéressants…bref, un client satisfait. Mais devais-je me borner à être un client ou tenter d’apporter quelques contributions ? Après plusieurs semaines où, par manque d’assurance, je m’étais borné à lire les commentaires sans intervenir, je me risque à un commentaire, sur un sujet qui m’est très familier, l’Education. Pas trop risqué quand même, je suis prof. J’écris mon texte, le relis, clique sur publier et…merde ! Mon prénom ! Là, en majuscule ! Ne m’étant pas abonné pour participer, je n’avais pas fait le lien entre mon identifiant et ma signature. Que faire ? Ben rien, c’est fait c’est fait et puis, d’autres abonnés signent en majuscules…même si, il est vrai que leur signature a un côté plus indigène. Bon, je vais boire un verre et on verra bien. A mon retour, je me connecte, retrouve l’article, des nouveaux commentaires…et une réponse de l’auteur de l’article. Plutôt encourageante. Ponctuellement, je me risque à commenter et dédramatise un peu l’acte. Je me relis moins attentivement et laisse passer quelques fautes. J’en ai un peu honte tout en considérant que ce n’est pas dramatique. Bref, je me sens un abonné comme les autres et j’en oublie mon identifiant. Pas longtemps. Il se trouve toujours quelqu’un pour, d’une manière ou d’une autre, et souvent (pas toujours) avec les meilleures intentions du monde, ou même inconsciemment, souligner que ma signature signifie bien plus qu’une autre. Parfois pour m’encourager avec quelque condescendance, parfois pour me demander de faire la preuve de mon adhésion à des valeurs aussi consensuelles en France que l’égalité (formelle) des sexes. Bon, il fallait s’y attendre, Mediapart, c’est comme dans la vie, donc, on rend les coups, on polémique, on s’invective et on passe à autre chose.
Neuf mois de ce régime et je décide, après moult hésitations d’écrire un billet de blog. Un truc sans prétention, une historiette sur le misérabilisme et la résistance. C’est le 25 décembre et je suis seul. Je ne vous dirai pas pourquoi d’autant que je trouve ça plutôt chouette d’être seul le 25 décembre. Donc, billet, je relis et, non sans appréhension, publie « je vous déclare avec obéissance… ». L’article est en Une le lendemain ! Flatteur. Quelques semaines plus tard, je bataille avec une abonnée sur la question de la communauté turque d’Allemagne et décide d’écrire un billet, sur le vif, intitulé « pourquoi je respecte les intellectuel ». La Une du Club, dis donc… Bôf, ça doit être parce qu’il s’agit d’une polémique qui divise le club et ça n’a rien à voir avec la qualité, médiocre, de mon billet. Passe une semaine et, par une nuit d’insomnie, j’écris « Qu’est-ce qu’être de gauche ? », gros succès et…la Une, à nouveau… Et là, je me dis quand même, faire la Une si souvent, c’est bizarre. Du coup, je publie un truc assez anecdotique, « je viens pour la baisse du prix de l’électricité » comme ça, pour voir. Une à nouveau, page économie ! Alors je me souviens de ma signature…c’est pas ça, des fois, qui me vaut d’être systématiquement valorisé ? « Arrête Farid, t’es parano, tes billets doivent être de qualité, c’est tout » me disent quelques ami-es, non abonnés. Ouais, peut-être, mais c’est quand même bizarre… Bon, j’essaie d’oublier et j’écris mon hommage aux personnels du CAE qui… fera bien sûr la Une. Peut-être moins usurpée que les autres car j’ai vraiment travaillé sur ce billet. J’enchaîne par ma synthèse du débat sur la gauche, qui, évidemment fera la Une, puis, « je dé-pense donc je fuis », brièvement en Une. Ouf.
Vient l’affaire du billet Sous-homme ou l’échange entre Ben et moi se fait vif. Débat que avortera, non sans laisser quelques blessures, de part et d’autre. Ben me répond une dernière fois en précisant qu’il souhaite mettre un terme au « radotage stérile » ce que j’accepte en le priant vivement de ne plus se poser comme le représentant des enfants de harki. Conclusion bien frustrante, mais conclusion quand même. Du moins le pensais-je. Nouveau billet de Ben où deux lignes sibyllines nous renvoient vers une vidéo censée nous informer sur « ce que sont les harkis et leurs enfants ». En dépit de son souhait de n’être pas commenté, j’écris un commentaire rageur et agressif. Je reviens sur le journal et que vois-je ? Le billet de Ben est en Une. Il est vrai que comme moi, il y est fréquemment… Mais là, quand même, c’est une vidéo et je ne peux pas croire que la rédaction (je ne sais pas qui décide de ces trucs-là) n’ait pas eu vent de notre polémique. Bon, bon…polémique donc, comme pour mon billet sur les intellectuels, la rédaction souhaite qu’elle ait lieu de manière visible. Pourquoi pas, après tout ? Je commence donc la rédaction de mon billet intitulé « enfants de harkis : une identité ? ». Quelques heures de travail, je publie et attends. Rien. Je m’étonne quand même que ce billet, que j’ai particulièrement travaillé, que n’égalent aucun de mes autres billets, qui constitue une réponse à celui de Ben et participe donc bien de la vie du Club n’ait pas plus de visibilité. Les commentaires sont peu nombreux, adhérent souvent au propos, mais ne manquent pas de souligner mon agressivité[1]. Or, le billet n’a rien d’agressif, seul le commentaire sur celui de Ben l’était. Je trouve les points de vue bien manichéens et simplistes : une victime bien sûr innocente et un coupable. Marrant comme ces deux figures correspondent bien aux stéréotypes sur les immigrés en France. Hasard ? C’est à creuser. D’autant que la situation s’embrouille : Ben poste une réponse sous mon billet. Longue, et je vais me permettre de l’écrire, sans doute pas rédigée par lui. Je crois avoir suffisamment posté de compliments sous ses billets pour qu’il ne s’en sente pas offensé. Réponse sans aucune faute d’orthographe, dans une langue très académique, et se concluant par l’évocation d’un ouvrage de sociologie historique… Pas vraiment le style direct de Ben. Ce qui est le plus consternant, c’est que « son nègre » a, pour être certain de faire illusion, introduit son propos par : « Je crois qu'à un moment donné il faut savoir clore un débat. Je pense que toutes celles et ceux qui ont suivi notre échange ont bien compris que "vous n'avez absolument rien de commun avec moi", que vous êtes un brillant universitaire, vos écrits, dont je suis bien incapable d'égaler la qualité, le prouvent largement ». « Dont je suis bien incapable d’égaler la qualité »! Mais qu’avait donc en tête l’imposteur ? L’identité de Ben, c’est d’être dominé ? J’ai déjà mentionné sous les billets de Ben, ses qualités d’écriture, je crois avoir parlé une fois de « la faculté d’évocation de sa plume », j’ai regretté la fermeture de son blog et avais signalé que « ses billets n’ont pas d’équivalent sur Mediapart », je suis donc à cent lieux de considérer que ses écrits ne valent pas les miens. Au moins un de ses soutiens le pense. Et c’est tout le problème, il me semble. Car il faut voir en lui un pur dominé pour penser qu’il puisse être exclusivement victime de notre échange : le ton de notre débat s’est tout de suite avéré tendu et, contrairement à l’accoutumé, Ben n’usait d’aucune formule de politesse. Une multitude de détails produisent le pourrissement d’un échange…et je crois pouvoir dire que ça a été le cas ici. Mais il semble que comprendre cela nécessite une subtilité plutôt rare chez les « mediamis »… et implique aussi de se déprendre de certaines représentations sur Ben, et moi, donc sur les arabes de Mediapart. Une abonnée est allée jusqu’à qualifier notre échange de « voyeuriste », ce qui n’a pas choqué grand monde, il faut bien le dire. Une autre, qui lui répond tranquillement et lui confirme qu’il m’arrive parfois d’être agressif sans relever la maladresse. Ben et moi sommes un peu de la même famille, après tout… Donc, des représentations post-coloniales chez les abonnés, mais que dire de la rédaction ?
La rédaction fait, il me semble, un choix éditorial lorsqu’il s’agit de mettre en valeur un billet de blog. Et qu’a-t-elle fait ici ? Elle a choisit de donner de la visibilité à une présentation pour le moins misérabiliste des enfants de harkis, représentations bien ajustées aux stéréotypes les plus éculés sur la question. Outre que la vidéo, que je me suis donné la peine de visionner, illustre bien plus les difficultés de certaines filles de migrants du Maghreb que de filles de harkis (comme je l’ai écrit dans mon commentaire assassin), le commentaire introductif de Ben, qualifié par une abonnée de maladroit, laisse entendre qu’il s’agit d’une population représentative des harkis. Si je peux concéder à cette abonnée, pas à Ben puisque, singulière victime, il ne l’a jamais admis, qu’il s’agit d’une maladresse, j’ai plus de mal à le concéder à la rédaction. D’autant que cette même rédaction a sciemment ignoré mon billet. Justement celui-là, exclusivement celui-là, aucun des neuf autres… Or, qu’avait-il de particulier si ce n’est le sujet traité ? Voilà un arabe que l’on veut bien exhiber un peu comme un singe savant mais que l’on fait taire dès lors qu’il nous dit qu’en fait, il n’est pas un singe, mais un homme. Le problème, c’est que le singe paie (et pas en monnaie de singe) et que s’il s’agit de financer un journal et des journalistes aussi bien-pensants que conformistes, je préfère m’en dispenser et lire la presse gratuite sur le net. Au moins, celle-ci ne prétend-elle pas me donner la parole et ne se proclame pas « à part », elle assume son conformisme et son manque d’imagination et en cela, s’avère bien plus lucide que notre journal.
Avril 2009 : je me désabonne de Mediapart et retourne à mes livres et à cette radio que j’écoute moins. Au revoir à tous et merci à certain-es.
@ Ben : désolé pour notre altercation, autant pour vous que pour moi. J’ai effectivement écrit que « je n’avais rien de commun avec vous », ce qui n’était pas une insulte (tenez-vous tellement à avoir quelque chose en commun avec moi ?). Néanmoins, je reconnais m’être trompé, que nous le voulions ou non, nous avons en commun d’incarner toujours un peu plus que ce que nous sommes et je crois que vous comme moi sommes un peu impuissant devant les effets que nous produisons. Je vous présente donc mes excuses et répète que si j’ai vivement débattu avec vous, c’est par considération et certainement pas par mépris.
[1] Je trouve cette insistance sur mon agressivité plutôt déplacée dans la mesure ou j’ai reconnu mon idiotie. D’autant que je peux me targuer de n’avoir participé à aucune des grandes polémiques ayant agité le club : Ségolène Royal, l’ALM, le congrès du PS…