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Billet de blog 16 novembre 2013

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Oligarchie vs aristocratie : tous privilégiés !

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"Être riche, c'est gagné 10 dollars de plus que son beau-frère !" déclarait un comique dont le nom m'échappe. Donc être pauvre c'est gagné 10 dollars de moins que... Ou comment exprimer par une boutade l'équivalent d'une thèse de sociologie ! Les individus n'apprécient pas leur situation de manière absolue mais relative. On n'est pas riche (privilégié) ou pauvre (défavorisé) tout seul mais toujours relativement à quelqu'un. Les travaux de sociologues ont montré par exemple qu'un pauvre vivant parmi les pauvres se sentira bien moins pauvre que celui vivant parmi des plus fortunés.

Les réactions critiques suscitées par l' excellent article de Louis Maurin1 attestent des difficultés politiques qui résultent de cette évaluation subjective de nos situations : l'auteur est à la fois accusé de faire le jeu du néolibéralisme et de défendre une idéologie égalitariste ! Le fait que le lectorat2 de Mediapart soit largement constitué d'une espèce d'aristocratie culturelle peut largement expliquer ces critiques : du temps de Sarkozy, le Club (terme qui charrie par lui-même quelque chose d'assez fermée et élitiste) m'est souvent apparu comme l'avant-garde de cette aristocratie culturelle conspuant la vulgarité de l'oligarchie économique. La polémique sur l'utilité d'avoir lu La Princesse de Clèves pour sélectionner des secrétaires lors de concours internes en est une parfaite illustration. Pour le dire comme Bourdieu, le Club de Mediapart représente assez bien les « fractions dominées de la classe dominante », c'est-à-dire celles dont les atouts sont davantage culturels qu'économiques.

Dans ce cadre, si les critiques adressées à l'article de Louis Maurin se comprennent très bien, elles ne me semblent pas justifiées. Le fait qu'une partie de la population soit encore mieux dotée que nous n'implique pas que nous ne soyons pas nous-même privilégiés ! Les fonctionnaires sont évidemment des privilégiés au sens propre du terme (lois privés si je m'en tiens à mes vieux souvenirs) puisqu'ils disposent d'un statut particulier, tout comme les titulaires d'un CDI et même les précaires dont le privilège est de n'avoir pas de statut ! Et c'est aussi cette multiplicité des statuts qui nous porte à toujours croire que le voisin tire mieux son épingle du jeu et doit donc supporter l'essentiel des efforts. Le privilège est l'autre nom du corporatisme et il existe bien sûr des corporations plus privilégiées que d'autres.

Celle des des enseignants ou plus généralement des cadres du public3 fait partie de celles-là et notre système éducatif est effectivement parfaitement ajusté à la réussite des enfants de cette (petite-)bourgeoisie culturelle souvent attachée à une École publique du moment qu'elle peut en privatiser certaines filières ou classes en jouant savamment des options : si elle est bien sûr légitime, la partialité dont font preuve ces catégories dans la compétition scolaire n'en n'est pas moins injuste et produit beaucoup de ressentiment dans les catégories populaires qui s'estiment flouées par une compétition inique.

L'argument qui consiste ensuite à justifier son statut par son mérite me semble tout aussi discutable dès lors que le mérite est souvent évalué par le nombre d'années d'études réalisées. Outre qu'il contredit largement l'idée que la Culture est un bien en soi, qu'il réduit le mérite au parcours scolaire, qu'il témoigne d'une adhésion totale à la très droitière idéologie concurrentialiste, cet argument postule que les années d'études et plus spécifiquement les années d'études supérieures sont comme un long et douloureux sacrifice. Je ne sais pas pour vous, mais moi, je ne les ai vraiment pas vécues comme ça ces années là...

Enfin, river notre regard sur les catégories qui nous dominent nous conduit à faire preuve de nationalisme méthodologique puisque nous escamotons les conditions de vie de plusieurs milliards d'autres humains aux besoins essentiels non satisfaits tout en postulant que notre mode de développement est soutenable alors que notre empreinte écologique dépasse déjà largement la bio-capacité... Pas très éco-socialiste ou internationaliste tout ça, non ? Ce refus - catégorique et catégoriel - d'admettre simplement que nous sommes bien des privilégiés augure mal de notre aptitude à sortir de la crise écologique et sociale où nous nous enfonçons toujours plus...

1 http://blogs.mediapart.fr/blog/louis-maurin/151113/qui-sont-les-privilegies-d-une-france-en-crise

2 Il faudrait sans doute distinguer les abonnés actifs des abonnés actifs ailleurs, d'autant que le billet est très recommandé.

3 Les cadres du privé optent plutôt pour une scolarisation dans le secteur privé

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