Jeudi 15 septembre, 22h32.
Mon téléphone portable me signale la réception d'un sms. Je l'ouvre : « Trop top ! Sarkozy veut rétablir et imposer le service militaire pour tous les élèves qui sortent du système scolaire sans diplôme ni qualification pour leur apprendre à se lever tôt ». On croirait une alerte du Monde mais c'est en fait un ami qui a jugé utile de m'informer de cette déclaration car il sait que j'exerce dans une structure expérimentale chargée de re-scolariser des décrocheurs de 16 à 25 ans afin, notamment, de les préparer au baccalauréat. J'avoue que la dépêche ne m'a ni surpris, ni même indigné. Pas surpris parce que je savais que Nicolas Sarkozy pérorait en prime-time ce soir même et qu'il était inévitable qu'ils disent un certain nombre de conneries. Je n'ai donc aucun mérite. Pas indigné parce que tel n'est pas mon tempérament et surtout parce que, d'une certaine manière, je soutiens cette initiative. D'ailleurs, j'ai répondu : « Je souhaite à nos amis militaires bien du courage ! Ce sera notre Vietnam... ».
Je ne peux m'empêcher de sourire en imaginant l'effet que produirait l'indocilité de nos élèves, aux profils d'ailleurs très variés, sur la weltanschauung et incidemment la santé mentale de militaires accoutumés à voir leurs ordres exécutés avec diligence par des subordonnées tout aussi attachés que leurs supérieurs à la sacralité de la hiérarchie et à la légitimité de son commandement.
Le jour de la rentrée :
Sergent : Caporal-chef Biscotte !
Caporal-chef Biscotte : Oui sergent !
Sergent : Avez-vous installé nos décrocheurs dans leur chambrée ?
Caporal-chef Biscotte : Oui sergent !
Sergent : Des absents ?
Caporal-chef Biscotte : 18 absents à l'appel mon sergent !
Sergent : Sur 25 ?
Caporal-chef Biscotte : Oui sergent !
Sergent : Où sont les autres ?
Caporal-chef Biscotte : Seuls ces sept éléments étaient présents à l'appel. Quatre hommes et trois femmes.
Sergent : Ils sont installés ?
Caporal-chef Biscotte : Trois sont installés mon sergent !
Sergent : Où sont les quatre autres ?
Caporal-chef Biscotte : Un élément a pris la fuite après une altercation avec moi. Elle a éclaté de rire quand je me suis présenté et n'a pas accepté que je lui ordonne de faire silence. Elle est partie en déclarant « Commence déjà à m'péter les couilles çui-là ! ». N'ayant pas d'instruction concernant l'usage de la force contre une femme de la défense, j'ai décidé de la laisser se replier. Un deuxième élément, particulièrement insolent, est parti parce qu'il n'a pas supporté que je lui ordonne de ranger son portable et de se concentrer sur mes instructions. Il m' a répondu, attendez mon sergent, j'ai noté : « Tant que vous ne nous direz rien d'intéressant, je continuerai à me concentrer sur mon portable ». Je l'ai alors menacé d'une sanction exemplaire mais il est parti en disant : « y se croit dans Full metal jacket...y craque, Biscotte... ». Pendant ce temps, j'avais remarqué qu'un autre élément était très pâle et j'avais l'impression qu'il faisait un malaise. Je lui ai demandé s'il se sentait bien et il m' a répondu que ses parents étaient en route pour venir le chercher car « ça va pas le faire là ». Les parents sont effectivement arrivés et m'ont expliqué que leur enfant souffrait d'une phobie, qu'il faisait des crises d'angoisse et que malgré tous ses efforts, il n'arriverait pas à rester plus longtemps avec nous. J'ai objecté que ce n'était pas réglementaire, mais la mère m' a dit, j'ai noté : « Depuis qu'il est petit, il ne supporte pas vos réglements à la con ! Maintenant, vous allez nous laisser ramener notre fils ». Ils sont partis et j'ai entendu la femme dire à son mari : « j'te l'avais bien dit qu'elle était débile l'idée de Sarkozy ». Le dernier élément est parti sans motif. Elle a simplement déclaré : « Si tout le monde se casse, j'me casse aussi ! ».
Sergent : Vous allez devoir rendre compte de ça vous-même à l'adjudant-chef, caporal-chef Biscotte !
Caporal-chef Biscotte : Je sais bien mais je vous assure que j'ai fait tout ce que j'ai pu. Je les ai menacés avec toute la fermeté dont je suis capable sergent ! Et vous savez que mes hommes me craignent. Mais on dirait que ceux-là s'en foutent. C'est comme si ils croyaient en rien.
Sergent : Je vois. Les trois qui sont restés, ils sont comment ?
Caporal-chef Biscotte : Je sais pas trop. Ils obéissent mais ne parlent pas.
Sergent : Allez donc me les chercher !
Caporal-chef Biscotte : Oui sergent !
…
Sergent : Vous êtes seul, Biscotte ? Ca va ?
Caporal-chef Biscotte, la voix chevrotante : Deux éléments sont introuvables. Leurs bagages ne sont plus là.
Sergent : Et le troisième ?
Caporal-chef Biscotte : Il s'est endormi. Impossible de le réveiller. Je pense qu'il a pris un médicament.
Sergent : Putain... Biscotte. On est dans la merde. Qu'est-ce qu'on va faire de ça ?
Caporal-chef Biscotte : Elle avait raison la dame, elle était débile l'idée de Sarkozy. Dire qu'on a voté pour lui...