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Billet de blog 22 juin 2014

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Sur les sujets du bac ES et le pluralisme

Un lien posté par Laurent Mauduit nous signale l'amorce d'une énième polémique concernant les sujets de sciences économiques et sociales au bac ES. L'information au mois de juin devient de plus en plus prévisible : les journaux commencent par nous signaler que cette année encore, des élèves vont passer le bac. Ensuite, ils nous dévoilent – que dis-je ? - ils nous révèlent et commentent avec une délectation ambiguë les sujets de philosophie sur lesquels les élèves ont planché.

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Un lien posté par Laurent Mauduit nous signale l'amorce d'une énième polémique concernant les sujets de sciences économiques et sociales au bac ES. L'information au mois de juin devient de plus en plus prévisible : les journaux commencent par nous signaler que cette année encore, des élèves vont passer le bac. Ensuite, ils nous dévoilent – que dis-je ? - ils nous révèlent et commentent avec une délectation ambiguë les sujets de philosophie sur lesquels les élèves ont planché. Viennent ensuite les scoops sur les fuites et autres dysfonctionnements qui font beaucoup pour la réputation de l'Education Nationale. Puis, en fin de semaine, une petite controverse – plus confidentielle - sur la nature des sujets de sciences économiques et sociales. L'an passé, c'est Pierre Gattaz qui avait vivement protesté contre une question de l'épreuve alternative à la dissertation (eh oui, l'épreuve de SES comporte une alternative...). Je vous restitue l'extrait d'un article du Monde :

"L'entreprise est toujours incomprise dans notre pays". Le tout nouveau nouveau président du Medef a fait éclater de rire l'assistance en racontant le sujet de sciences économiques et sociales de sa fille au Bac : "Vous montrerez de quelle manière les conflits sociaux peuvent être facteurs de cohésion sociale". La culture d'entreprise passe toujours aussi mal en France. "C'est l'aveu d'un échec collectif. Il faut reprendre notre action en la matière, ouvrir nos entreprises aux jeunes, aux enseignants(...). Il faut que les Français comprennent l'économie". 

LoL.

Marrant aussi qu'il fasse mécaniquement le lien entre les conflits et l'entreprise alors que le sujet n'y invite pas expressément. Il y a aussi des conflits hors de la sphère du travail mais ça aura sans doute échappé à sa sagacité. On peut le comprendre dès lors que 2013 n'a été le théâtre d'aucun conflit social portant sur le droit de la famille par exemple. Enfin, on peut lui objecter qu'il ferait peut-être mieux d'ouvrir ses entreprises aux chômeurs plutôt qu'aux enseignants qui disposent déjà d'un emploi. Mais c'est un peu facile.

Cette année, M. Gattaz semble avoir tout lieu d'être satisfait. D'aucuns prétendent même qu'il aurait pu être consulté pour élaborer le sujet 2014. C'est ainsi que Rue89, relayé par la brève de Laurent Mauduit sur Mediapart, interroge benoîtement :

Pierre Gattaz, président du Medef, a-t-il été consulté pour rédiger ces deux questions posées aux bacheliers d’ES, lors de l’épreuve d’économie ?

Voilà une question bien légitime qui pourrait d'ailleurs faire un bon sujet du bac en SES. Je vois bien un plan de gauche en deux parties du type :

I. Oui, Pierre Gattaz a été consulté...

II . ... mais c'est en fait ce social-traître de François Chérèque qui a répondu.

Ou un plan de droite (en trois parties parce qu'à droite on travaille plus pour gagner plus) :

I. Non, car l'Etat ne lui demande jamais rien à Pierre Gattaz à part payer des charges...

II. ... et il n'aurait pu répondre car il n'est pas aux 35h, lui...

III. ... d'ailleurs les 35h, il est contre.

Plus sérieusement, je vous livre ces deux fameuses questions qui ne pourraient émaner que du patron des patrons tant elles sont orientées :

Je vous épargne une réponse d'autant que j'ai la chance de ne pas corriger le bac cette année (une pensée pour les collègues qui s'y collent). L'on peut toutefois remarquer que la première ne fait pas un lien systématique entre flexibilité et baisse du chômage (Comment peut-elle... et non comment réduit-elle...) et penser aux modèles nordiques ou même à celui défendu par les intermittents du spectacle afin de bien distinguer flexibilité du travail et précarité du revenu. Gattaz semble bien faire la différence, lui qui ne remet en cause que l'indemnisation des intermittents, pas l'hyper-flexibilité du secteur. D'ailleurs même Mediapart véhicule l'idée qu'il puisse y avoir un lien entre flexibilité et chômage : « Le modèle des intermittents, c’est une sortie du chômage de masse » titrait un article de Joseph Confavreux que personne n'accusera d'avoir consulté Pierre Gattaz.

Sur la seconde. La question n'est pas « Quelles sont les conséquences catastrophiques du protectionnisme ? », ou même « Pourquoi le protectionnisme ne produit-il que des effets néfastes ? » mais porte sur des risques auxquels peuvent s'exposer, blablabla. Y a-t-il quelqu'un pour prétendre que le protectionnisme ne comporte aucun risque pour le consommateur par exemple ? Sa confiance dans l'altruisme de nos patrons nationaux serait touchante mais un peu inquiétante quand même.

On ne demande évidemment pas aux candidats d'adhérer à ces théories mais simplement d'en comprendre la logique afin – le cas échéant – de pouvoir en démontrer les faiblesses c'est-à-dire les réfuter par le débat d'idées et non l'invective ou l'attaque ad hominem. Les protestations symétriques du Medef et de Rue89 révèlent un commun refus du pluralisme qui n'est sans doute pas étranger à l'indigence du débat politique dans notre beau pays.

Refus du pluralisme dans l'Ecole qui n'est que la conséquence d'une confusion entre son rôle et celui d'une église ou entre la fonction d'un professeur et celle d'un curé : révéler La Vérité Belle et Nue (pas voilée hein, c'est l'école laïque !) à nos – plus ou moins - fidèles élèves. En outre, ces critiques postulent que tout comme l'Église parvenait à produire des catholiques, l'Ecole parviendrait à produire à sa guise, des citoyens de gauche ou de droite. Il est quand même curieux de croire à cela à l'heure où l'on n'a de cesse de déplorer la perte de l'autorité des maîtres, la baisse du niveau des élèves et leur refus des savoirs académiques. De mon modeste point de vue, je crois les professeurs ont autant d'influence sur les opinions politiques de leurs élèves que les curés n'en exercent sur la sexualité de leurs ouailles. Et j'ajoute que dans un cas comme dans l'autre, c'est plutôt rassurant.  Le rôle du professeur et de l'Ecole ne consiste pas en l'exercice d'une police de la pensée mais à former des citoyen-nes autonomes et éclairé-es, c'est-à-dire émancipé-es. Et c'est sans doute parce que l'Ecole en France s'est construite contre l'Eglise mais sur le même modèle qu'elle que cette idée pourtant simple a du mal à s'imposer dans la patrie des droits de l'homme qui à bien des égards reste la fille aînée de l'Eglise.

Sources :

En savoir plus sur http://lentreprise.lexpress.fr/medef-ce-qu-il-faut-retenir-du-discours-de-pierre-gattaz_1525567.html?xtor=EPR-11#l5bMPVzjmcKlFTp4.99

 http://rue89.nouvelobs.com/2014/06/19/gagner-6-points-bac-es-mieux-vaut-etre-liberal-253044

 http://www.mediapart.fr/journal/france/170614/le-modele-des-intermittents-c-est-une-sortie-du-chomage-de-masse?page_article=1

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