Acte 1
Manager : Finalement, un être humain est une machine assez rudimentaire. Mû exclusivement par l'intérêt, il est possible d'en augmenter la productivité par la mise en oeuvre d'un dispositif incitatif et de sanctionner son implication par des primes qui récompenseront ou non, son mérite que l'indicateur permet d'objectiver.
Les ressources trop humaines : Rien compris.
Le manager : M'étonne pas. Bon ! Pour le dire autrement, nous allons changer notre organisation du travail et enfin récompenser réellement le mérite en offrant des primes aux plus productifs. J'ai construit un indicateur de performance individuelle qui me permet de mesurer objectivement le travail de chacun et par conséquent, de récompenser les plus méritants par des primes.
Les ressources trop humaines : Mais pourquoi on continue pas comme avant ? C'était bien avant, la boîte ne se porte pas mal, les gens travaillent et les rémunérations sont transparentes...
Le manager, rompu à ces arguments : Votre réaction est tout-à-fait normale, vous vous sentez insécurisés par la nouveauté et vous faites ce que l'on appelle « de la résistance au changement ». Tout ça est bien banal mais le monde lui, non seulement ne fait pas de résistance aux changements, mais ce serait plutôt le contraire, il ne supporte pas l'immobilisme!
Les ressources trop humaines : Mouais... Mais elle tourne bien la boîte là.
Le manager : Vous voulez dire qu'elle tourne bien pour l'instant. Mais nous voulons qu'elle tourne encore mieux ! Vous vous contentez d'un profit raisonnable quand la modernité et les marchés ne tolèrent qu'un profit optimal... Vous savez, les décideurs font du benchmarking...
Les ressources humaines : ???
Le manager : Ah oui, c'est vrai... Ils comparent notre performance à celle de nos concurrents et n'hésiteront pas à aller investir ailleurs si nos performances, quoique honorables, sont moins bonnes que celles d'entreprises équivalentes du même secteur.
Les ressources humaines : Je vois... En fait, vous voulez nous inciter à donner le meilleur de nous-mêmes pour que nos actionnaires continuent de nous faire confiance. Cette histoire d'incitations me fait penser à un truc qui m'est arrivé à la crèche...
Le manager : Exactement ! Vous me raconterez cette histoire de crèche plus tard, j'ai du travail et vous aussi... Fermez la porte en sortant.
Acte II
Le manager : Le premier bilan est décevant.
Les ressources trop humaines : Ah bon !? Pourtant chaque salarié a bien travaillé et rempli ses objectifs ce trimestre.
Le manager : Formellement oui ! Néanmoins, notre service après-vente est débordé et notre service contentieux est au bord de l'implosion. Trop de malfaçons.
Les ressources trop humaines : Peut-être que les objectifs étaient trop élevés ? Les cadences...
Le manager : Je ne crois pas. J'ai fait des statistiques plus fines à partir des dossier du service après-vente et du service contentieux et quelque chose m'a frappé : 78% des protestations clients ont eu lieu au cours du dernier mois.
Les ressources trop humaines : Et ?
Le manager: Et ??? Vous ne trouvez pas ça bizarre vous ?
Les ressources trop humaines : J'sais pas...
Le manager: Il me paraît évident que les salariés ont tiré au flanc pendant deux mois et qu'ils ont bâclé leur travail au cours du troisième pour toucher les primes !
Les ressources trop humaines : C'est possible... D'ailleurs, ça me fait penser à un truc qu'il m'est arrivé avec ma crèche...
Le manager : Si vous le permettez, nous allons rester dans le sujet ! Puisque vous y mettez de la mauvaise volonté, et que vous semblez vouloir jouer au plus malin, j'ai décidé de vous montrer que j'étais bien plus malin que vous tous ! Plus d'objectifs puisque vous les bâclez ! Par contre, j'évaluerai vos performances relatives...
Les ressources trop humaines : ???
Le manager : Vous n'aurez plus d'objectif de production. Mais vous serez évalués par rapport à vos collègues. Cela devrait créer une saine émulation entre vous...
Les ressources trop humaines : Mais c'est diabolique !
Le manager : Non, c'est simplement astucieux. Vous pouvez disposer.
Acte III
Le manager : C'est la catastrophe !
Les ressources trop humaines : pourquoi ?
Le manager : La production a reculé de 15% !
Les ressources humaines : ça ne m'étonne qu'à moitié... D'ailleurs dans la crèche de mon petit...
Le manager : Vous croyez que c'est le moment ? Que se passe-t-il ? La production s'effondre, les arrêts de travail explosent et je suis submergé de...de... de demandes d'arbitrage pour des conflits entre salariés ! Vous vous rendez compte ?
Les ressources trop humaines : Ben, c'est le résultat de vôt' saine émulation là... Votre truc, d'évaluer les collègues les uns par rapport aux autres, ça peut marcher dans des boîtes où les salariés n'ont pas besoin de coopérer... Ici, nous avons tous plusieurs fonctions et nous devons toujours plus ou moins coopérer.
Le manager : Et alors ?
Les ressources trop humaines : vous aideriez un collègue vous, alors que vous savez que votre solidarité se traduira par une augmentation de sa rémunération relativement à la vôtre ?
Le manager : Évidemment ! Comment n'y ai-je pas pensé ? Mais c'est à désespérer de l'âme humaine...
Les ressources trop humaines : Moi je trouve ça très rationnel...
Le manager : Bon, il faudra que je mette au point un nouvel indicateur. Un truc collectif.
Les ressources trop humaines : Vous voulez qu'on en revienne à l'ancien système quoi...
Le manager : Absolument pas ! On revient à l'idée d'une prime collective en fonction des résultats mais on évalue les performances mois par mois. Vous n'aurez pas le temps de tirer au flanc...
Les ressources trop humaines : Pourquoi pas... Il faudra quand même que je vous raconte ce qu'il m'est arrivé avec ma crèche...
Le manager : une autre fois, hein ! N'oubliez pas la porte...
Acte IV
Le manager : Ca reste très médiocre.
Les ressources trop humaines : Je m'en doutais...
Le manager : Ah oui !? Vous êtes fortiche vous, hein ? Pourriez-vous m'expliquer en quoi c'était prévisible ?
Les ressources trop humaines : En fait, vous avez trois catégories de salariés dans une boite comme celle-là. La masse des normaux, qui font leur travail consciencieusement ; les tires-au-flanc qui en font le moins possible, et les très, très bons. Avec votre truc de prime collective, ceux qui travaillaient consciencieusement continuent de le faire, les tires-au-flanc en font encore moins qu'avant et les très bons lèvent le pied car ils ne souhaitent pas travailler pour les autres. Prévisible, je vous dis.
Le manager (qui accuse le coup) : Qu'est ce que je peux faire ? Quant à ma prime au mérite, je crois que je peux m'asseoir dessus...
Les ressources trop humaines : Dans la crèche de mon fils, les puéricultrices se plaignaient des retards trop fréquents des parents lorsqu'ils venaient récupérer leur enfant le soir. C'est vrai que c'était pénible pour les puéricultrices. La directrice a décidé de nous inciter à arriver à l'heure en mettant en place un système d'amendes pour les retardataires. Et vous ne devinerez jamais ce qui s'est passé !
Le manager : Le nombre de retards a diminué, j'imagine...
Les ressources trop humaines : Non, il a explosé ! Les parents ont appris ce qu'ils encouraient en arrivant en retard. Jusqu'alors, ils ne savaient pas ce qu'ils risquaient et considéraient qu'arriver trop fréquemment en retard était moralement répréhensible. Ca ne se faisait pas quoi... Du coup, ils faisaient quand même attention. Mais les amendes encourus ont levé leurs scrupules moraux.
Le manager : Pourquoi teniez-vous tellement à me raconter ça ?
Les ressources trop humaines : Pour vous faire comprendre que l'être humain n'est pas aussi rudimentaire que vous le pensez et vous prévenir qu'il faut toujours se méfier des indics... Sur ce, je vous laisse, je dois récupérer mon gamin à la crèche et je suis très en retard.
Le manager : Vous paierez donc une amende...
Les ressources trop humaines : Non, devant le fiasco, ils ont supprimé cette fausse bonne idée.
Le manager : Et le nombre de retards a diminué ?
Les ressources trop humaines : Non ! Les gens ont pris le pli...Ils disent aux puéricultrice en colère qu'elles font de la résistance au changement. Comme quoi... Allez, j'me sauve.
D'après une adaptation très libre de :