
Comme le récent débat suscité par le bilan de Claude Guéant au ministère de l'intérieur le montre, la question de la sécurité publique reste au coeur des préoccupations des français. Chacun a bien tenu son rôle, le ministre en soutenant que « la délinquance globale » avait baissé de 0,34% (ni plus, ni moins), le Figaro en expliquant que le sarkozysme avait permis d'épargner 700 000 victimes (et si c'était vous ?) depuis 2002, et la gauche en criant à la manipulation des chiffres, tout en s'appuyant sur ces mêmes chiffres pour démontrer que si les atteintes aux biens diminuent, les atteintes aux personnes, elles, augmentent dangereusement. Quelques sociologues gauchistes sont bien sûr intervenus, avec toute la méconnaissance du terrain qui les caractérise, pour soutenir que ces chiffres n'ont aucun sens, qu'ils ne mesurent absolument pas la délinquance globale mais l'activité des services de police, que ceux-ci ont donc plutôt moins travaillé (de 0,34%, ni plus, ni moins) cette année que l'année précédente et, sans doute emportés par la virtuosité de leur plume, sont allés jusqu'à soutenir que l'augmentation des atteintes aux personnes n'était sans doute pas imputable à Claude Guéant, Brice Hortefeux ou Nicolas Sarkozy, mais à une plus forte propension des citoyens à porter plainte.
Ces débats qui durent au moins depuis 15 ans entretiennent une espèce d'air du temps « insécuritaire » nourri par le discours des experts et des politiques de tous bords. « A force de vouloir tout expliquer, on finit par tout excuser » déclarait l'actuel locataire de l'Elysée. Retour au bon sens donc, c'est-à-dire à l'idée basique qu'un délinquant effectue un calcul utilitariste (coût/avantage) avant de commettre une infraction et que par conséquent, une prévention efficace consiste à renchérir les coûts, donc aggraver les sanctions. A comportement utilitariste, réponse utilitariste !
Dans sa modeste contribution, Dominique Wittorski se saisit de l'utilitarisme des discours et politiques sécuritaires et les déroule jusqu'à leur aboutissement le plus logique en proposant une réforme simple et radicale de notre droit pénal : la peine de mort pour toutes les infractions ! Outre la clarté et l'efficacité que l'on peut en attendre, cette réforme permettrait de régler le problème de l'obésité, du financement de notre dette publique, rétablirait la paix sociale et notre balance commerciale... Si, si, je vous assure !
Le comédien qui joue un expert dont la rhétorique implacable est servie par une espèce d'animatrice faussement hostile et réellement bienveillante et par des questions du public triées sur le volet, fait un peu sur scène ce que les Yes Men ont pu faire sur les questions économiques : énoncer les pires horreurs emballées dans un jargon technocratique et rationnel qui emporte la conviction. Rythme et rationalité du discours se conjuguent pour piéger le spectateur le plus rétif au durcissement des peines : l'on se surprend à chercher une brèche dans le discours de l'expert et l'on s'aperçoit alors -trop tard- que l'on en a accepté les prémices. Une vrai leçon de communication !
Heureusement, comme pour nous consoler de notre propre crédulité, Dominique Wittorski parvient à nous faire rire. La suffisance de l'expert, le cynisme de ses propositions, la rigueur de l'argumentation et l'absurdité des conclusions produisent un effet comique. L'on rit, oui, mais on ne sait plus trop de quoi et l'on peut en avoir un peu honte. Car le discours tenu, pour horribles et absurdes qu'en soient les conclusions, a quelque chose qui nous est familier : citations, rythme, registre argumentatif, cynisme... font bel et bien partie de notre univers. En dépit de la barbarie de la proposition initiale, l'on est contraint d'admettre que ce n'est pas une pièce sur notre passé moyenâgeux ou un spectacle d'anticipation mais l'histoire de notre présent.
Modeste contribution, de Dominique Wittorski, au Lucernaire, jusqu'au 25 février 2012.