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Billet de blog 23 février 2009

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Regard sur le travail éducatif et les "délinquants" en milieu rural

1er novembre 2008, j'intègre pour deux mois, en tant que directeur stagiaire, le Centre d'action éducative (CAE) de X, petite ville «du quart nord-ouest» de la France comme disent les gens de la météo dans le poste.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

1er novembre 2008, j'intègre pour deux mois, en tant que directeur stagiaire, le Centre d'action éducative (CAE) de X, petite ville «du quart nord-ouest» de la France comme disent les gens de la météo dans le poste. Issu de l'enseignement, j'ignore tout de la prise en charge des jeunes délinquants et je découvre les structures et les professionnel(le)s que je serai, dans moins de deux ans, chargé de "piloter" et "manager" selon la terminologie officielle ou du moins, la terminologie usitée dans nos sessions de formation théorique.
Le CAE est composée d'une directrice, une secrétaire, six éducateurs, une psychologue, une assistante sociale et d’un professeur technique. Tout ce petit monde est chargé de mettre en œuvre les décisions du juge des enfants(JE) ou du tribunal pour enfant (TPE) concernant les mineurs de 10 à 18 ans ayant commis des actes de délinquance. Les mesures prononcées vont de l'accompagnement purement éducatif au contrôle ou à l'exécution de peines en passant par les mesures de probation. Lorsque le magistrat l'estime opportun, il peut aussi mandater le CAE pour une mesure d'investigation dont l'objectif est d'établir un diagnostic le plus complet possible de la personnalité et de la situation du mineur afin de prendre la décision la plus pertinente. En outre, ce CAE dispose d'une « Unité éducative d'activité de jour » (UEAJ) chargée de la mission d'insertion c'est-à-dire de la prise en charge de jeunes déscolarisés dans le but de les aider à se (re)structurer : respect des horaires, remise à niveau scolaire, travail manuel sur le bois, réfection de kayac… La zone de compétence du CAE de X, très vaste, est essentiellement rurale et plutôt sinistrée d'un point de vue socio-économique : un fort taux de chômage, des problèmes d'alcoolisme et des jeunes plutôt enclins à retourner la violence contre eux-mêmes.
La directrice m'accueille par un sourire, un bonjour et des excuses pour son manque de disponibilité car "la situation du service est un peu difficile en ce moment".
Et en effet : il n'y a plus d'assistante sociale depuis le départ en retraite de la titulaire du poste. La secrétaire est en congé maladie pour trois semaines et un éducateur est absent depuis quelques semaines sans être remplacé. Le congé maternité d'une autre éducatrice se profile sans que rien ne vienne garantir son remplacement. Ces absences nuisent grandement à la réalisation des missions du CAE : chaque éducateur doit suivre 25 jeunes en moyenne sur l'année, si un éducateur s'arrête, il faut, pour assurer la continuité des prises en charge, réaffecter ses 25 jeunes sur les autres membres de l'équipe, ce, dans la limite des places disponibles et au détriment des derniers jeunes confiés au CAE par le juge. Ils attendront. On parle d'ailleurs à leur sujet de "mesures en attente". De plus, l'absence de l'assistante sociale rend de fait moins complète les mesures d'investigation demandées par le magistrat. Enfin, la directrice assume une large part du travail de secrétariat...en plus de ses fonctions et de l'accueil et de la formation d'un directeur stagiaire (peu dégourdi) qui lui a été imposé.
Ce manque de moyens humains suscite l'incompréhension des personnels qui ont l'impression de s'être fait flouer : "on nous avait dit, avec la LOLF, les moyens vont suivre l'activité, or, l'activité augmente et les moyens baissent!" En plus, on a été loyaux car on a accepté et déjà quasiment réalisé le recentrage au pénal et on a aucune reconnaissance... Beaucoup d'amertume donc, un certain épuisement et des tensions qui en résultent entre personnels et envers la directrice qui, à leurs yeux et en dépit du respect teinté d'affection qu'ils lui portent, n'en incarne pas moins la hiérarchie, donc le pouvoir...
Et les jeunes dans tout ça me direz-vous! Sur le CAE, on en voit peu : en zone rurale, sans transport en commun, et avec un public extrêmement démuni, les éducateurs se déplacent. Je les accompagne donc, avec leur accord, car il me paraît judicieux d'avoir quelques notions sur le travail des personnels que j'aurai à charge de "manager". Mais pouvaient-ils refuser ? Directeur -stagiaire, peut-être- mais directeur quand même... Je fais donc l'expérience de l'exercice de l'autorité sur des adultes avec toute la légitimité que me donne mon ignorance de leur travail... Je la joue modeste et insiste sur la finalité de cette première session de stage : observation, découverte, apprentissage et surtout pas prise de responsabilité. Ce sera pour février. Ils acceptent donc et trouvent ma démarche sympathique : je fais preuve d'intérêt pour le travail éducatif et ne fais pas trop mon directeur.
"Il n'y a rien qui ressemble plus à un mineur en danger qu'un mineur délinquant" disent-ils souvent. J'ai pu constater à quel point c'est vrai : c'est d'ailleurs souvent les mêmes. Professeur en lycée général, j'avais l'habitude d'être confronté à des jeunes issus des classes moyennes ou populaires relativement bien intégrés. Les jeunes que j'ai pu croiser lors de cette expérience n'arrivent jamais en lycée général et pas toujours en lycée professionnel et lorsqu'ils y sont, ils sont en échec. Ces jeunes, sont ceux que les appelés du contingent ayant fait des études supérieures découvraient lors de leur trois jours ou de leur service : souvent illettrés, battus par des parents malades, alcooliques... Je sais, cette description vous a un petit côté Dickens ou ressemble "aux conneries à la David Copperfield" comme disait Salinger. C'est pourtant ce que j'ai pu observer : beaucoup de parents atteints de longues maladies, ayant de sérieux troubles psys, vivant du RMI ou de revenus d'assistance aux handicapés, beaucoup d'incestes aussi et d'instabilité familiale. Bref, un rapide passage dans un CAE rural permet, si l'en était besoin, de prendre quelque distance avec les explications utilitaristes de la délinquance des mineurs. Leurs démêlés avec la justice résultent d'ailleurs en général d'une bagarre ou d'une beuverie et souvent des deux. Quelques jeunes filles aussi, même profil, mais plus fréquemment violées et bien sûr, précocement enceinte.
Les entretiens avec les éducateurs sont en général constructifs, les jeunes, sans docilité excessive, s'y prêtent volontiers et l'on sent que le naturel de l'échange masque l'exercice d'une compétence professionnelle faite d'empathie, de subtilité et... de fermeté. Les éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse n'ont aucun problème avec la loi, ils s'en réclament et leur rattachement au ministère de la justice fait partie intégrante de leur identité professionnelle. Là encore, on est loin des stéréotypes sur "l'éduc-soixante-huitard-barbu-laxistes-qui-fume-des-joints » etc. Ils font simplement une distinction entre fermeté et répression et pensent que le travail éducatif paie toujours à condition de se fixer des objectifs modestes. Les jeunes qu’on leur confie sont tellement abîmés qu’il serait vain de vouloir en faire, du jour au lendemain, des adolescents comme les autres, c’est-à-dire relativement autonomes, disciplinés, avec des projets et quelque espoir dans l’existence. On part en général de très bas et leur travail consiste à les hisser, doucement mais avec obstination, non sans rechutes, vers la surface où il y a un peu de lumière. Par exemple, en vertu d’un protocole avec l’Education Nationale, l’UEAJ a accepté d’accueillir une collégienne qui se rendait bien au collège chaque jour mais restait figée toute la journée sous le hall et n’acceptait de dialoguer qu’avec l’infirmière. Son arrivée posait problème car l’équilibre du groupe pouvait s’en trouver affecté…d’autant qu’il était évident qu’il serait difficile de la faire participer aux activités… Je ne saurais décrire la tension produite par l’arrivée de cette jeune fille et la délicatesse et le savoir-faire dont ont fait preuve les éducateurs ainsi que le professeur technique pour progressivement, l’intégrer au groupe, la faire participer, d’abord de manière isolée, puis avec d’autres jeunes soigneusement sélectionnés, aux activités. Trois mois plus tard, cette jeune fille ne s’en est bien sur pas sortie, néanmoins, elle vient tous les jours, participe aux activités, échange quelques mots avec d’autres jeunes, prend mieux soin d’elle et il lui arrive même de sourire. Une réussite au-delà des espérances et une vraie satisfaction pour l’équipe…mais rien de bien sérieux si l’on s’en tient aux évaluations quantitatives qui ont cours dans l’administration…

Ces jeunes ont pour la plupart des ressources qu’il s’agit en fait de canaliser : il faut les voir répondre de manière parfaitement adaptée et en utilisant le jargon des métiers du social pour comprendre qu’ils ont une réelle intelligence des situations et des rapports sociaux. Souvent drôles, on s’aperçoit à leur contact qu’ils n’ont rien des jeunes « de plus en plus violents et de plus en plus jeunes » contre lesquels les média nous appellent fréquemment à la vigilance. Ils manquent (presque) toujours de confiance en eux et restent, quoi qu’ils aient fait, des enfants qu’un éducateur peut « apprivoiser » en leur proposant de « faire un tour à la fête foraine » jeudi prochain. Même le plus dur que j’ai eu l’occasion de croiser lors de son déferrement pour avoir mené une expédition punitive chez un autre jeune, celui-là qui en garde-à-vue maintenait qu’il voulait toujours « fracasser la tête de sa victime », le même que son avocate priait instamment de se taire lors de l’audience, celui-là donc, a fondu en larmes dans les bras de sa mère lorsque le verdict est tombé : placement en foyer à environ 70 km de chez lui ! Deux heures après ce verdict, il pleurait toujours et nos propos qui se voulaient réconfortants et qui insistaient sur le fait qu’il venait d’échapper à l’incarcération étaient d’une efficacité mitigée…

Ce billet trop long se voulait une manière d’hommage au travail des personnels du CAE, celui de la directrice, des éducateurs, de la psychologue, de la secrétaire et en l’écrivant je m’aperçois qu’il est aussi un hommage à ces jeunes qui, pour peu que l’on tienne compte de ce qu’ils vivent, méritent notre respect pour leur modération, notre bienveillance, notre aide et surtout pas l’instrumentalisation politique dont ils sont si fréquemment les victimes. Le délit de manipulation de l’opinion n’existant pas, certains de nos politiques, de droite comme de gauche, peuvent le commettre, récidiver, multi récidiver, tout en conservant un scandaleux sentiment d’impunité.

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