Ca fait un moment que ça me travaille. Quasiment chaque jour que dieu fait, je me lève de bonne heure avec plus ou moins de dignité pour aller prendre mon train et gagner ma croute à la sueur de mon front. Je me rends à la gare avec un casque vissé sur les oreilles qui, relié à mon téléphone, me permet d'écouter la radio. Et comme je pars très tôt (j'insiste) je peux écouter les Matins de France Culture, dès 6h30. Et vers 6h45, j'entends ça (vous ne pouvez lire que les mots en gras) :
- Les titres de la presse nationale avec vous Thomas Cluzel, bonjour Thomas !
- Bonjour Marc, et ce matin la rigueur est à la une de pratiquement toute la presse : « Valls : déjà l'heure des comptes » titre ainsi l'Opinion alors que le Premier ministre confronté à l'hostilité d'une partie de sa majorité doit présenter aujourd'hui en Conseil de ministres son plan de 50 milliards d'économie. Un plan vertement dénoncé notamment par l'Humanité qui sous la plume de Patrick Apel-Muller évoque un programme « d'injustice sociale, prenant aux pauvres, écrasant les retraites et les salaires ». Alors face aux cris d'orfraie de certains députés socialistes qui veulent amender ce programme de rigueur, le Premier ministre devrait faire quelques concessions. Hier Manuel Valls a laissé entendre que des « gestes étaient envisageables », ce que Jean-Claude Souléry dans la Dépêche du Midi résume lui d'une phrase : « concéder à la marge pour garder l'essentiel », manière analyse son confrère de l'Est Républicain Philippe Mariachi « de sauver une partie au moins des apparences ». Sauf que « si quelques amendements apaiseront sans doute le groupe socialiste, il est probable que l'accalmie ne durera guère » prévient aussitôt Eric Decouty dans Libération car « il faudra autre chose dit-il que de petites stratégies politiques pour consolider cette majorité brinqueballante ». « Le problème bien évidemment, c'est que la feuille de route du nouveau premier ministre a été écrite entre des marges très étroites et on voit mal écrit François Ernenvein dans La Croix, on voit mal comment la France pourrait se dérober à une remise en ordre que ses principaux voisins européens ont déjà organisé ». Même analyse pour son confrère du Figaro, Paul-Henri Du Limbert lequel estime que « si Manuel Valls a l'obligation de dire non à tous les frondeurs, c'est parce que nos voisins européens ont des doutes légitimes sur la capacité de la France à s'obliger au sérieux budgétaire. Or, chez les frondeurs socialistes, le mot rigueur ne fait pas partie de leur vocabulaire » et l'éditorialiste d'en conclure « inutile dans ces conditions de les écouter ! ». Quoi qu'il en soit et d'ici à lundi prochain, jour du vote de consultatif prévu à l'Assemblée, « c'est donc toute l'habileté de Manuel Valls qui va être mise à l'épreuve » commente à son tour Olivier Pirot l'éditorialiste de la Nouvelle République de Centre-Ouest pour qui « le Premier ministre doit assumer sa méthode de fermeté et notamment vis-à-vis de Bruxelles mais aussi montrer qu'il a entendu ses députés parce qu'ils représentent le peuple et parce qu'ils se sont mis dans la position de porter la parole des classes les plus populaires que les socialistes sont sensés défendre » ou dit autrement « les députés portent aujourd'hui le fer au coeur même des contradictions d'une gauche au pouvoir soumise à la torture par sa conversion au social-libéralisme » En claire conclut Jean-Louis Hervoix ce matin dans la Charente Libre « deux ans après son élection, Hollande mesure chaque jour combien la fidélité au discours de gauche colle décidemment bien mal avec la réalité du pouvoir »
C'est celle de ce matin et le fond importe peu. Je n'ai rien de particulier contre Thomas Cluzel, je pense même qu'il est doté d'un certain talent mais j'ai de plus en plus de mal à croire qu'il ne s'aperçoive pas de l'obscénité de sa litanie quotidienne. A l'écoute de sa revue de presse, mon imaginaire oscille entre l'ambiance d'un bistrot dans un livre de Pagnol, celle d'une cage d'escalier dans une cité sensible ou l'idée que je me fais d'une loya jirga en Afghanistan. Des hommes qui ramènent leur fraise quoi. Il est sans doute très difficile de trouver une femme qui éditorialise mais j'imagine que ça doit exister quelque part. A défaut, je ne suis pas certain qu'il soit tenu de citer les patronymes de tous ses confrères aux propos plus ou moins convenus. Il me semble d'ailleurs que Claude Guibal qui le remplace parfois, se borne à nous indiquer le nom du journal. Il est vrai que comme son nom l'indique ou pas, Claude Guibal est une femme. Mais c'est peut-être elle qui a tort finalement. Pas seulement parce qu'elle est une femme ! Elle a tort parce que ses revues de presse républicaines pourraient presque nous faire oublier le patriarcat un rien archaïque dont est saturé la société française. Heureusement que les hommes sont là pour nous le rappeler à chaque instant !