- Qu'est-ce que ça pue ici ! Non, mais, vous sentez rien ?
Je me souviens encore du regard gêné que la compagne de Paul et moi-même avions échangé après qu'il avait une nouvelle fois prononcé ces mots. Le ton de sa voix révélait une angoisse qu'il ne parvenait plus à dissimuler. Il est vrai que cela faisait plusieurs jours qu'il manifestait un peu partout sa toute nouvelle et très incommodante sensibilité olfactive. Dans l'amphithéâtre à la fac, à la cafet', au RU, dans le bus et même, comme me l'avait murmuré à l'oreille Isabelle, sa compagne, dans son propre appartement. Cette fois, nous nous trouvions dans un pub fréquenté essentiellement par des étudiants en droit à l'hygiène corporelle toujours impeccable. Pas comme ces hippies de la fac de lettres avaient-ils d'ailleurs coûtume de dire. Regards gênés donc, et silence pesant. Ni bruit, ni odeur. C'est alors que, peut-être désinhibé par l'alcool, je me suis lancé :
- Tu sais Paul, ça commence à devenir vraiment chiant tes histoires d'odeur là. A un moment, je me suis même demandé si ce n'était pas moi qui puait. Ben oui, tu te plains à chaque fois qu'on se voit... Mais Isabelle m'a fait savoir que tu te plaignais aussi dans ton propre appart', chez tes parents et ses parents à elle ! Et la semaine dernière, c'est chez moi que ça puait ! Le problème, c'est que tu es toujours le seul à sentir ces odeurs insupportables. C'est bien parce que je ne sens aucune odeur particulière que je ne te suggère pas qu'en fait, c'est peut-être toi qui pues.
- Mais je vous assure que...
- Arrête p'tain ! On a compris, tu trouves que ça pue !
- C'est quand même barge que vous ne sentiez rien !
- Oui, c'est barge. T'as pas un genre d'hallucination olfactive ou un truc comme ça ? Tu devrais peut-être consulter.
- Arrête de te foutre de ma gueule, c'est pas drôle.
C'est vrai que ce n'était pas drôle. Et il était vraiment angoissé.
- Tu devrais vraiment consulter. Va voir un médecin du nez.
Nous avons fini par le convaincre. Une semaine plus tard, après avoir consulté, non pas le peuple, mais son médecin, il me téléphone sur mon fixe. A l'époque, on n'avait que ça.
- J'ai fait des analyses, des radios, et tu sais quoi ?
- Vas-y, dis-moi...
- J'ai un kyste dans le nez !
LOL aurions-nous sans doute écrit si cette anecdote n'avait pas eu lieu du temps du Minitel. Evidemment, c'est le genre d'histoire qui doit encore lui coller à la peau à Paul. Je l'ai un peu perdu de vue ces dernières années.
Etait-ce parce qu'il se débrouillait très bien en anglais juridique ? En tout cas, je pense beaucoup à lui depuis l'ouverture de la campagne sur le Brexit et encore plus depuis la victoire du Leave.