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Billet de blog 25 décembre 2008

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"Je vous déclare avec obéissance que je suis un idiot fini"*

Une patrouille de l'armée française chemine péniblement dans les montagnes kabyles afin de débusquer d'éventuels terroristes du FLN. Il fait très chaud et deux hommes, distancés par le groupe, sont à la traîne. Des harkis. Mohamed, jeune berger kabyle, s'est porté volontaire lorsque l'armée française lui a proposer de s'engager ou d'être exécuté.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une patrouille de l'armée française chemine péniblement dans les montagnes kabyles afin de débusquer d'éventuels terroristes du FLN. Il fait très chaud et deux hommes, distancés par le groupe, sont à la traîne. Des harkis. Mohamed, jeune berger kabyle, s'est porté volontaire lorsque l'armée française lui a proposer de s'engager ou d'être exécuté. Ferhat, quant à lui, a choisi l'algérie française comme on joue à pile ou face : il est des circonstances historiques où les choix politiques relèvent plus de l'accomodement que de l'engagement. Les voilà donc, porteurs de radio et à la traîne. Ferhat, un peu retrait, transpire, peste et se plaint du poids de cette nouvelle radio. Mohamed se retourne et s'aperçoit que le micro traîne parterre et rebondi sur le sol rocheux.

- " Ramasse le micro, tu vas l'abimer et on va se faire engueuler..."

Ferhat l'ignore et poursuit laborieusement son ascension.

Quelques minutes plus tard, la radio crépite : un capitaine quelconque souhaite parler au chef de la patrouille. Ferhat, visiblement déterminé, ne répond pas et semble concentrer toute son énergie à cette pente qu'il faut bien gravir. Mohamed, inquiet des conséquences de tant de désinvolture l'interpelle :

- "ça fait trois fois qu'il appelle, on va être sanctionné, réponds!!!

- " chut... ne dis rien, et avance. C'est mon problème" lui chuchote Ferhat.

- " D'accord, je dirai rien, je dirai même pas que j'ai entendu les appels et que je t'ai prévenu, tu te débrouilles..."

De retour au camp, le capitaine fulmine et jure après ces musulmans indignes de la confiance qu'on peut leur accorder et incapables de comprendre la valeur de cette toute nouvelle radio qu'ils ont réussi à abimer. C'est alors que la sanction tombe : "vous êtes trop con pour que l'on vous confie une radio, vous n'aurez donc plus le droit de la porter!!!"

De fait, le lendemain, un militaire français est "espéciellement" affecté à la patrouille avec pour rôle exclusif de porter la radio. Et moi, raconte Mohamed bien des années plus tard, "j'ai payé une bière à Ferhat pour le remercier parce que cette radio, elle pesait quand même 18 kilos..."

Cette anecdote m'a fait penser au livre de Jaroslav Hasek, Le brave soldat Chveik, où l'auteur nous relate avec beaucoup d'humour la résistance par la bétise de cet humble soldat tchèque. Il ne s'agit surtout pas de verser dans l'idée que les arabes seraient plus malins (lire plus fourbes) que les autres mais de montrer que ceux que l'on appelle trop souvent avec un peu de condescendance "les dominés" qu'ils soient arabes, tchèques, français... ne peuvent être réduits à leur identité de victime, qu'ils ont des ressources et résistent, parfois de manière dérisoire (Voir le livre de Hans Fallada, Seul dans Berlin), mais subjectivement essentielle aux assujettissements. Ces micro-résistances font leur dignité et c'est les en spolier que de les ignorer. Le misérabilisme, même quand il part d'un bon sentiment, est une nouvelle insulte. Peut-être l'insulte de trop.

* citation extraite du livre de Jaroslav Hasek, par laquelle le brave soldat Chveik, devance les insultes de ses supérieurs, retourne un stigmate (un modeste soldat de deuxième classe peut-il être chose qu'un idiot fini?) et désamorce des santions en affirmant qu'il n'est rien d'autre que ce que ses supérieurs pensent de lui...

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