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Billet de blog 28 mars 2009

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Je dé-pense donc je fuis

«Il faut prendre l'argent là où il se trouve, c'est-à-dire chez les pauvres. Bon d'accord, ils n'ont pas beaucoup d'argent mais il y a beaucoup de pauvres», disait Alphonse Allais.

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«Il faut prendre l'argent là où il se trouve, c'est-à-dire chez les pauvres. Bon d'accord, ils n'ont pas beaucoup d'argent mais il y a beaucoup de pauvres», disait Alphonse Allais.

Il y a quelques jours, j’écoutais sur France Culture un débat, plutôt vif, entre Jean Peyrelevade et Thomas Piketty sur la question des inégalités de revenus et leur évolution. Le premier membre du Modem et le second, du PS. En dépit des nombreux désaccords entre les deux débatteurs, un point de convergence a surgi sur la nécessité d’augmenter la pression fiscale sur les très hauts revenus. C’est alors que Thomas Piketty a demandé à son interlocuteur le seuil à partir duquel il pensait qu’il fallait augmenter les impôts. Et la réponse m’a stupéfait :

- « A partir de 400 SMIC… mais on peut discuter… »

400 SMIC ! Et la proposition se voulait raisonnable, mesurée, humaniste, bref, centriste. Piketty n’a pas vraiment fait de proposition mais semblait considérer que 200 SMIC constituait une première proposition plus acceptable… Ce dernier a beaucoup cité un travail de Camille Landais sur l’évolution des hauts revenus entre 1998 et 2006. Cette étude, d’une quarantaine de page est à la fois passionnante et… austère. Je vous en livre une synthèse qui, je l’espère, s’avérera plus digeste ou plutôt, car le propos de Camille Landais est limpide et assez abordable, permettra à des lecteurs ne disposant pas du temps nécessaire à sa lecture (il y a tant de choses à lire), de prendre connaissance des grands enseignements que l’on peut en tirer.

Premier enseignement : une quasi stagnation des revenus moyen et médian…

Entre 1998 et 2005, le revenu moyen a augmenté, en moyenne de 0,82% par an. Le revenu médian, c’est-à-dire celui que divise la population en deux, tel que 50% gagnent plus et 50% gagnent moins, a lui progressé de 0,6% par an. C’est une moyenne et la progression n’est bien sûr pas linéaire puisque l’on observe un net ralentissement de la croissance de ces revenus à partir de 2002. Les années 1998-2002 avec une croissance soutenue et riche en emplois ont vu croître le revenu moyen de 1,4% en moyenne annuelle et le revenu médian de 1,1%. A partir de 2002, la progression n’est plus que de 0,06% en moyenne pour le revenu moyen et 0,03% pour le revenu médian.

Pourtant, entre 2002 et 2006, la richesse produite, le P.I.B. a augmenté, en moyenne d’environ 0,9% entre 2002 et 2006. Comment, dans ce contexte expliquer la faible croissance et même la quasi stagnation des revenus moyen et médian. En effet, la taille du gâteau augmente plus vite que la taille des parts de chacun. Mais c’est oublié que pour un statisticien, « si tu dors avec la tête dans le four, et les pieds dans le congélateur, en moyenne, ça va ! »

Deuxième enseignement : …qui masque un fort accroissement des inégalités de revenus qui s’explique par la forte augmentation des revenus des foyers les plus riches…

Entre 1998 et 2005 :

· le revenu des 90% des foyers les moins riches a augmenté de 5%

· le revenu des 5% des foyers les plus riches a augmenté de 11%

· le revenu des 1% des foyers les plus riches a augmenté de 19%

· le revenu des 0,1% des foyers les plus riches a augmenté de 32%

· le revenu des 0,01% des foyers les plus riches a augmenté de 43%

Le revenu des plus riches croît donc entre 8 et 9 fois plus vite que celui des 90% les plus pauvres.

Troisième enseignement : …qui trouve sa source dans l’explosion des revenus du patrimoine…

Les plus hauts revenus sont structurellement composés d’une part plus importante de revenus du patrimoine (revenus fonciers, revenus de capitaux mobiliers, plus-values)

Ces revenus représentent :

  • 3% de l’ensemble des revenus des 90% des foyers les plus pauvres
  • 9% de l’ensemble des revenus des 10% les plus riches
  • 23% de l’ensemble des revenus pour les 1% les plus riches
  • 38% de l’ensemble des revenus pour le millième le plus riche
  • 55% de l’ensemble des revenus pour le dix-milième le plus riche.

Sur la période 1998-2005, alors que les revenus d’activité (travail) augmentaient en moyenne de 0,7% par an, les revenus fonciers de 2,2% par an, les revenus des capitaux mobiliers bondissaient de 4% par an.

Remarque personnelle :

En 1998, les salaires et assimilés (revenu du travail) représentaient en moyenne, 62% du revenu total déclaré par les 90% des foyers les plus riches, contre 50% pour les 1% les plus riches, 35% pour le millième le plus riche et 28% le dix-milième le plus riche.

A méditer en écoutant les membres de la majorité actuelle qui, des trémolos dans la voix, justifient le bouclier fiscal en expliquant que l’on ne peut pas confisquer plus de 50% du fruit du travail de nos forces vives…

Quatrième enseignement : … et notamment des revenus de capitaux mobiliers

Les revenus fonciers (loyers) ont certes augmenté mais en raison de leur répartition relativement égalitaire et de leur faible importance dans l’ensemble des revenus, ils ne peuvent rendre compte de l’augmentation des inégalités.

Les plus values constituent des revenus irréguliers et se sont effondrées au cours de l’éclatement de la bulle internet. Elles retrouvent en 2006 leur niveau de 1998, si bien qu’elles ne peuvent pas être mobilisées pour expliquer l’augmentation des inégalités sur la période.

Les revenus de capitaux mobiliers ont augmenté, en moyenne, de 31% entre 1998 et 2005 si l’on tien compte de l’ensemble des foyers fiscaux. Mais, il s’agit d’une moyenne et l’on sait que ces revenus sont concentrés sur un faible nombre de foyers. En fait, il s’agit d’une augmentation de 53% si l’on ne tient compte que des foyers détenteurs de ce type de revenu.

Cinquième enseignement : … et l’explosion des inégalités salariales

Entre 1998 et 2005 :

  • Les salaires des 90% les moins riches ont augmenté de 4%
  • Les salaires des 1% les plus riches ont augmenté de 14%
  • Les salaires des 1‰ les plus riches ont augmenté de 29%
  • Les salaires des 1%00 les plus riches ont augmenté de 51%

En période de croissance molle, ces augmentations se font évidemment au détriment des salaires les plus faibles. C’est ainsi qu’alors qu’en 1997, les 50% des salaires les plus faibles représentaient 25% de l’ensemble des salaires, en 2005, elle n’en représentait plus que 24,5%

Symétriquement, la part des salaires des 1% les plus riches représentait en 1998, 5,52% de l’ensemble des salaires et passe à 6,15% en 2005. Faible augmentation direz-vous. Mais elle porte sur une masse salariale de 500 milliards d’euros.

Parallèlement, la pression fiscale sur ces revenus a sensiblement baissé. En effet, entre 1998 et 2006, le taux marginal de l’impôt sur le revenu passe de 54% à 40%, l’abattement de 20% est étendu aux revenus du patrimoine, le bouclier fiscal est installé et les droits de succession allégés. Si bien que le taux net d’imposition (net à payer/revenus déclarés) passe pour les 0,1% les plus riches de 32% en 1998 à 25% en 2005.

Conclusion :

C’est donc au moment où les hauts revenus explosent qu’il est devenu urgent de baisser les impôts afin d’éviter que les catégories dont les revenus augmentaient de manière très sensible quittent le territoire. C’est alors peut-être moins l’impôt qui les incite à fuir que l’accroissement de leur revenu et les impôts qui en découlent. Ces catégories n’évaluent pas leur situation en fonction de ce qu’elle était antérieurement, ou en fonction de la situation des autres catégories, mais en fonction de ce qu’elle serait sans l’impôt. On peut y voir le symptôme de ces « individus par excès » qu’évoquait Robert Castel dans l’entretien donné à Mediapart, ou une forme de « sécessionnisme social ».

Au nom d’une certaine conception de l’égalité, ces catégories et les politiques qui les soutiennent et qu’elles soutiennent justifient ces revenus par leur mérite et leurs efforts. « A chacun selon ses mérites » que l’on peut traduire par « à chacun selon ses capacités ». Cette conception de la justice ne vaut bien sûr que pour les revenus. Pour l’impôt, on prône une conception de l’égalité plus arithmétique et c’est pourquoi, la baisse des impôts se focalise sur l’impôt sur le revenu, le plus redistributif puisqu’il est proportionnel et progressif.

Ces mêmes catégories sont aussi celles qui fustigent notre dette et exigent une contraction de l’Etat social. Or, la baisse des impôts, sans en constituer le facteur exclusif, ne doit pas être étrangère à l’accroissement de la dette. Ces baisses d’impôts peuvent d’ailleurs servir à acheter des bons du Trésor…des placements sûrs.

Sécessionnisme social, égalitarisme fiscal et crispation sur la dette peuvent rendre compte de notre air du temps depuis une dizaine d’années. Pour quel résultat ? Sans imputer la conjoncture actuelle à ces différents facteurs, encore que, au fondement de la crise des subprimes l’on trouve le recul du salaire médian aux USA, et le recourt massif à l’emprunt pour les ménages américains, on peut au moins constater le caractère chimérique d’une croissance soutenue grâce à la « libération du travail » et surtout à l’explosion des plus hauts revenus. La baisse de la pression fiscale sur les hauts revenus avait pour but de « maximiser la prospérité générale en faisant de l’intérêts des plus hauts revenus, la boussole des politiques menées au nom du bien commun »[1] « Parce qu’un individu a plus de pouvoir, (plus de « richesses », de « facultés », « de facilités de choix », l’Etat lui doit plus d’égards. Telle est bien l’impasse de la pensée économiste en matière de justice : au lieu de protéger le faible, l’institution doit veiller à favoriser le puissant (de peur qu’il n’emmène sa puissance ailleurs). Au lieu d’en tempérer les effets, la société ne fait que relayer le (très naturel) droit du plus fort. »[2] Dans ces lignes, Yves Citton s’attachait à déconstruire un imaginaire économique qui émerge au… 18ème siècle. Après plus de deux siècles, un membre d’une formation centriste et humaniste propose de limiter les droits des puissants…à partir de 400 SMIC. « La pente est rude mais la route est droite !» Allez, encore un petit effort pour être vraiment humaniste…

PS : La conclusion n’est pas imputable à Camille Landais dont vous pourrez trouver l’étude ici : http://www.jourdan.ens.fr/~clandais/documents/htrev.pdf


[1] Citation librement adaptée d’un livre de Yves Citton, Portrait de l’économiste en physiocrate, critique littéraire de l’économie politique, L’Harmattan, 2001. Lui parlait des capitalistes.

[2] Ibid.

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