J'ai hésité à me rendre au camps d'été décolonial. D'abord parce que Reims au mois d'août, c'est quand même moins fun que les Pyrénées ou les plages bretonnes avec ou sans burkini. Mais aussi, je l'avoue, parce que je craignais de subir une discrimination à l'entrée du camp car en dépit de mon ascendance 100% coloniale, je suis blanc comme le bon pain et j'appréhendais donc l'idée d'être sommé de sortir mes papiers d'identité pour établir non pas ma citoyenneté mais que, comme me le demande régulièrement mes élèves, j'ai des origines. Cette drôle de formulation dit d'ailleurs peut-être beaucoup d'un certain universalisme français et du débat qui nous occupe. Enfin, je n'y suis pas allé car j'aurais aimé m'y rendre en famille mais comme elle constitue à elle seule un concentré de zone grise où cohabitent enfants de colons, de colonisés, et un enfant de colon (de colonne ?) et de colonisé au prénom maghrebin mais se nourrissant exclusivement de boudins non-blancs, j'ai eu peur de semer la confusion et j'ai finalement opté pour autre chose.
Mais j'ai pu lire l'article qu'en a donné Faiza Zerouala et les commentaires et c'est alors qu'en dépit du caractère somme toute assez confidentiel de cette réunion, j'ai eu le sentiment d'avoir raté un évènement ! Le nombre de personnes qui enrageaient de n'avoir pu s'y rendre faute de détenir l'homologation m'a convaincu que j'aurai peut-être dû jouir de mon privilège de naissance. Entre happy few racisé.e.s, nous aurions pu faire l'expérience de la domination en évoquant tous ces blancs qui développent un discours victimaire depuis que nous les discriminons. On aurait pu faire semblant d'être le conseil d'administration d'une grande entreprise, ou, mieux encore, comme si l'on était les représentants de la Nation. En tant que députés dépositaires de la souveraineté nationale, on aurait nommé des commissions d'enquête pour savoir si les blancs sont aussi discriminés qu'ils le disent, si leurs maillots de bain sont bien conformes aux bonnes soeurs voire s'il est bien opportun de mettre en place un récépissé pour limiter les contrôles sélectifs de notre police républicaine. Vraiment, en lisant les commentaires indignés qui fustigeaient le racisme de cette initiative, j'en ai conclue que la société française était bien plus raciste que je ne le croyais tant sont nombreux les lieux où l'on ne croise que des, des, des... majorités invisibles ?
Mais me direz-vous, la ségrégation en France ne résulte pas d'une politique publique, c'est-à-dire d'une délibération et d'une action publique mais de mécanismes sociaux, historiques, etc, quand l'entre-soi décolonial s'apparente à une réelle volonté d'appartheid. Il est par exemple de notoriété publique que nos prisons sont pleines de minorités visibles mais il n'est pas permis de le dire. C'est ce que les anthropologues appellent un secret public. Le fait que de nombreux détenus issus des quartiers populaires et des minorités visibles le soient pour consommation de cannabis par exemple, alors que l'on n'y trouve très peu voire aucun détenu de classe moyenne et blanc pour ce même motif ne doit pas nous interroger sur le ciblage et le traitement de cette infraction. Personne n'a demandé aux BAC de faire du chiteux pour faire du chiffre sur ces populations et ces quartiers. C'est comme ça. En revanche, la colonie décoloniale affirme avec ostentation sa volonté discriminatoire et c'est ça qui est raciste. Pratiquer la discrimination à échelle industrielle n'est pas raciste, en revanche l'affirmer et la pratiquer pendant trois jours à échelle artisanale l'est. Encore une conséquence des ravages de l'idéologie productiviste.
- Raciste ? Mais ce mot est-il bien adéquat d'ailleurs ? Plus personne ne prétend ouvertement qu'existeraient des races hirarchisées !
- Oui, bon, c'est de la xénophobie quoi.
- Non, ça ne va pas non plus, ces populations sont pour la plupart françaises.
- Des races sociales alors ?
- Impossible, la race est un concept biologique !
- Ah ! De l'islamophobie ?
- Surtout pas malheureux ! Ce serait faire le jeu des mollahs iraniens de 1979 !
- Un racisme anti-musulman ?
- Mais l'islam n'est pas une race...
- Si aucun mot ne convient c'est peut-être que...
- ... le problème n'existe pas ! L'humanité ne peut pas résoudre les problèmes qu'elle ne peut pas se poser.
- Oui ! Et ce dont on ne peut parler, il faut le taire. Finalement, tous ces discours victimaires ne reposent sur rien, c'est du communautarisme et c'est pas bon pour le vivre-ensemble.
- A propos de vivre-ensemble, t'as entendu parlé de cette histoire de camp d'été décolonial ? On dirait qu'ils s'en foutent du vivre-ensemble dans la concorde ces gens-là. Sont pis que les racistes !
- Tu veux dire PIR...
J'fais quoi moi dans ce bordel ? J'essaie de me rassurer en me disant qu'avec 41 ans d'âge médian, les français ont passé l'âge de faire de trop grosses conneries. En Iraq, c'est 19 ans. Comme au Soudan.
http://www.statistiques-mondiales.com/age_moyen.htm