Sur ses disques, des formes sporadiques, des couleurs fuyantes apparaissent, prennent vie. Cet art, c’est celui de Leila Lhaneche, cette artiste sur laquelle veille un sourire gracieux et un regard perçant qui s’ouvre sur l’énigme de l’existence. Elle a accepté de répondre aux questions d’ActuaLitté à propos de son aventure avec la peinture et la poésie de son monde.
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La terre, la lune, la mer et ses fonds obscurs des coraux bigarrés rient. Un poulpe enlace une terre qui semble être « bleue comme une orange ». Une bouche se dessine sur un fond désertique, une femme marche seule dans la pénombre, la nuit se resserre du poids de ses étoiles. Un fœtus diaphane dans l’éther devient rosâtre. Un sein doré brille. Lentement. Parfois, sur le fond noir d’un disque, on peut voir des planètes ailées voler dans une mer sans visage. Certains disques rappellent des motifs de céramiques persanes et ottomanes. Des vagues grises et un ressac muet, des nuances de bleu et de noir, le soleil n’est pas loin.
L’aventure de l’œil ne prend jamais fin. D’ailleurs, elle n’a pas de commencement. Une autre langue est nécessaire pour voir, pour dire. Un fond marin se confond avec la nuit étoilée, un récif se détache de son peuple d’algues et de coraux multicolores. Tout se disperse et la mer n’est qu’une rosée jaune. Plus loin, une femme nue mêlée au sable des dunes reprend son souffle, disparais sous le ciel étoilé. Une toile bleue et des nerfs détendus, jaunes et rouges, sinueux se propagent.
Reste une nature rebelle et des lignes vertes, rouges et bleues qui peuplent petit à petit une toile blanche, un disque récupéré, revivifié.
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ActuaLitté : La peinture occupe une place importante dans votre vie. Pouvez-vous nous retracer en quelques points l’histoire de votre avec cet art majeur ?
Leila Lhaneche : La peinture, c’est d’abord mon enfance. J’étais aidée de par mon milieu familial, versé dans l’art, mais aussi par la géographie de ma ville natale, Annaba (dans l’est algérien), et ses alentours. L’enfance, ce fut un bain de soleil et de couleurs interminable, le jour comme la nuit. Ensuite, des questionnements d’ordre scientifique se sont rajoutés à mon intérêt pour la peinture, l’art d’une manière générale, lors de mes études universitaires. « D’où viennent les êtres humains ? ». Cette question me porte dans chacun de mes travaux artistiques. Au centre donc de mes inspirations, un questionnement perpétuel et une grande fascination, un étonnement devant la magie de ce monde. Voici mes débuts.
Après, en cheminant dans la vie et avant même de commencer à peindre, j’ai fait un master en histoire de l’art, une fois ma thèse de doctorat en génétique achevée. Je voulais toujours peindre, mais je n’ai pu passer à l’acte qu’après ce long parcours qu’on qualifie communément d’ « utile ». J’ai donc commencé à peindre après avoir acquis un bagage considérable qui m’a permis de me situer dans le monde, savoir lire et poser un paysage, utiliser et composer les couleurs. Je le dis souvent pour rire : « J’ai commencé à peindre comme une généticienne ! ». J’ai travaillé durement pour composer mon propre nuancier de couleurs grâce auquel j’ai pu peindre ma première œuvre, un paysage qui part à la recherche d’un bleu, du dégradé d’un ciel méditerranéen difficilement saisissable. Peindre, pour moi, c’est partir à la recherche d’une couleur déjà perdue.
Vous privilégiez la peinture sur des disques anciens, inutilisables. Peux-tu revenir sur l’histoire de ce concept, sur les motivations d’un tel choix artistique ?
Mes premières peintures étaient sur du papier. Ensuite, sur des toiles rondes. Mais la peinture sur disque, ce fut le fruit d’un pur hasard. Une amie collectionneuse de disques m’a vu un jour peindre mes toiles rondes. Elle m’a dit : « J’ai des centaines de disques inutilisables. Tu pourrais les recycler en en faisant des peintures ! ». Ainsi, mon concept de disques peints a pris chair. Aussi, à ce coup de hasard s’est ajouté l’une de mes grandes passions : redonner vie aux choses récupérées. Naturellement, cette seconde vie a évidemment un sens écologique, mais aussi métaphysique.
Les couleurs et les motifs de vos disques peints reflètent une forte présence de motifs et de couleurs méditerranéennes. Pouvez-vous nous en dire un plus ?
Comme je l’ai dit précédemment, la Méditerranée est le lac de mes inspirations, de mes rêves en couleurs. A l’origine de chacun de mes travaux, un éclatement de bleus. C’est ma base. Ensuite viennent les autres couleurs, leurs lumières et parfums. Je garde une tendre image du littoral d’Annaba qui a bercé mon enfance. Ces collines éternellement vertes qui trempent leurs têtes dans la mer…Et je joue comme une enfant avec les nuances de bleu de mon nuancer personnel. Je peins dans un hors-cadre. J’aime déstabiliser, brouiller le regard.
Les présences féminines occupent une place importante dans vos œuvres. Sur vos disques peints, des figures de femmes apparaissent, célèbrent la joie de vivre, affirment leur liberté et disparaissent dans les mouvements de leurs danses. Pouvez-vous revenir sur ce choix esthétique ?
Redonner un visage aux femmes, avec ma sensibilité, selon mon vécu et les quêtes qui m’inspirent, et m’animent, voici les combats que je mène. Les faire exister au sein des inconscients hégémoniques, rappeler le fait qu’elles proposent des regards, et qu’elles ne sont pas seulement un objet de regards…masculins. Avec ces figures féminines, je peins les joies et blessures du corps, je teste ma propre résistance aux normes sociales, j’affronte l’autocensure qui m’entrave, j’essaie de comprendre les limites de ma fougue artistique. Quand je peins les femmes, je peins mes propres vérités. Les doutes et les tourments de la femme artiste sur elle-même.
Vous accompagnez souvent vos peintures de poèmes ensoleillés, passionnés et amoureux. Peindre, pour vous, est-ce aussi faire œuvre de poésie ?
En effet, dans ma pratique artistique, la peinture et la poésie sont intimement liées. Les poèmes qui accompagnent mes œuvres sont une autre manière de dire la beauté universelle qui m’habite, que je veux saisir, représenter. Et les couleurs sont l’encre de mes mots. Chaque poème traduit l’élan créatif qui motive mes créations, mon désir de beauté, ma flamme de vivre, mon étonnement devant le monde. Pour le dire autrement, quand je peins, je vois mes interrogations parcourir les couloirs d’un musée imaginaire en quête de sens. Chacune de mes œuvres porte une histoire, une mémoire : le poème.
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Propos recueillis et présentés par Faris LOUNIS
Journaliste
Source : https://actualitte.com/article/119809/interviews/la-peinture-sur-disque-quelle-drole-d-idee
ActuaLitté, le 15 octobre 2024