Commençons par nommer les faits dans une époque qui s'acharne à les inhumer dans les fosses communes de la non-pensée et du baratin médiatique.
Dans l’asymétrie des rapports de force entre la France et l’Algérie, deux ressentiments d’État bien commodes et vénéneux régissent leurs relations bilatérales, leurs affaires politiques internes. Parler d’autre chose, comme des « passions douloureuses » et de la « réconciliation des mémoires », reviendrait à accepter, consciemment ou non, un interminable carnaval d’instrumentalisations politiques de la question coloniale à des fins chauvinistes et autoritaires tant à Paris qu’à Alger.
Depuis la parution de Houris en août 2024 jusqu'à l’emprisonnement arbitraire de Boualem Sansal, en passant par l'attribution du prix Goncourt à Kamel Daoud, de violents réflexes coloniaux contestant la légitimité de l’Algérie indépendante et arabophone ont refait surface au sein de larges pans des élites culturelles et politiques françaises. Leur cristallisation s’est révélée dans l’offensive raciste menée contre l’historien Nedjib Sidi Moussa, pour avoir critiqué sur le plateau de « C Politique » (24/11/24) les idées réactionnaires, « nostalgériques » et xénophobes que promeuvent les deux écrivains algériens fraîchement naturalisés français.
Au sujet du déchaînement d’un tel racisme post-colonial, rappelons une chose. L’obsession paranoïde des médias hégémoniques pour le triptyque islam-immigration-insécurité explique en partie leur quête permanente de figures droitières de la « diversité » pour légitimer, avec une puissante charge orientaliste, les idées les plus rances du « temps béni des colonies ». Cette configuration médiatique a donné naissance à la figure de l’Arabe entendable, un acteur majeur de la diffusion du culturalisme biologisant des droites dures et extrêmes.
Contrairement aux propositions du duo Sansal – Daoud et leurs adversaires hypernationalistes, parler de la question coloniale et post-coloniale avec le langage des institutions officielles de France et d’Algérie est une immense défaite intellectuelle. Pour pallier cette destruction du sens et du langage, il est primordial de dire NON aux adeptes de l’autoritarisme au nom de l’anticolonialisme ; NON aux nostalgiques du suprémacisme colonial au nom du « devoir de civilisation » ; NON au contournement de la question coloniale au nom de l’évocation de la guerre civile algérienne (1991-2002) ; NON à la valorisation d’une barbarie nommée « la présence française en Algérie ».
L’actuelle crise diplomatique entre la France et l’Algérie n’est pas à mon sens une « nouvelle rupture politique » entre les deux pays. Elle est plutôt le symptôme de la nécrose d’idéologies ressentimenteuses qui, sous diverses modulations, s’accrochent à deux nationalismes agressifs qui se nourrissent de leur mutuelle et aliénante rente mémorielle. Une rente agonisante…mais qui ne veut pas mourir.
Faris LOUNIS
Journaliste indépendant
Source : https://www.humanite.fr/en-debat/algerie/la-france-et-lalgerie-une-nouvelle-rupture
L’Humanité, le 8 janvier 2025