Sem Narbonoïdes !

Narbonoïde, qu’es aquò ? On doit l’invention du terme à Louis Ferdinand Céline qui décrit en novembre 42 une « zone sud, peuplée de bâtards méditerranéens, de Narbonoïdes dégénérés, de nervis, félibres gâteux, parasites arabiques que la France aurait eu tout intérêt à jeter par-dessus bord. Au-dessous de la Loire, rien que pourriture, fainéantise, infect métissage négrifié ».
Le suffixe « oïde » signifie « qui a une forme de » ou « qui ressemble à » (ainsi en est-il d’ovoïde, en forme d’œuf ; astéroïde, qui ressemble à un astre, et dans le langage courant bizarroïde, qui a un aspect bizarre). Le Narbonoïde ressemble donc à un « Narbo ». Si l’on s’en tient au suffixe « ide » (sans tréma), on aurait pu fonder une dynastie, tels les Lagides, Fatimides, Abbasides…
Mais revenons à « Narbo » que l’on retrouve dans le nom romain de la ville de Narbonne, Narbo Martius. La ville fondée en 118 avant notre ère par les Romains s’implante sur un territoire déjà occupé par des peuples d’influence celte et ibère, notamment celui des Élisyques. Le toponyme Narbo précède l’arrivée des Romains et semble désigner la proximité de l’eau. S’agit-il d’une source ? Ou plus probablement d’une ville entourée d’eau, celle de la lagune qui s’avance dans les terres ; celle du fleuve Aude (Atax en latin), et de ses méandres, celle de la mer qui porte les navires chargés de marchandises en provenance ou à destination de toute la Méditerranée.
C’est justement dans cette lagune que les Romains implantent un complexe portuaire important, développant le commerce initié par les Élisyques. Narbo Martius, première colonie romaine

fondée hors d’Italie et base arrière de la conquête des Gaules, est placée sous la protection du dieu Mars, dieu de la guerre. À sa fondation, elle accueille des colons venus d’Italie, des migrant-e-s volontaires qui se mêlent à la population locale. Devenu un des ports les plus importants de Méditerranée au Ier siècle de notre ère, Narbonne accueille marins, marchands, esclaves, riches patriciens,… en provenance de tout l’Empire centré autour de Mare Nostrum (notre mer en latin).
La Méditerranée s’invite très tôt en terres narbonnaises, et avec elle ses cultures, ses peuples, ses langages, ses accents. Le latin oral et les dialectes locaux se mêlent progressivement pour devenir langues d’oc dans une grande moitié méridionale de la « France » au Moyen Âge, alors que les influences celtiques et germaniques se font entendre dans les langues d’oïl au nord (ancien français). Après les Romains arrivent les Wisigoths, « barbares » venus du Nord au Ve siècle ; puis en 719 jusqu’en 759 Narbonne conquise par les troupes du califat des omeyyades de Damas devient Arbûna, avant que les Francs ne reprennent la ville, aidés par la population wisigothe locale.

Cette brève fresque historique permet de mieux comprendre et revendiquer le métissage que sous-entend le terme Narbonoïde. Oui, nous sommes des « bâtards méditerranéens », issus de la longue histoire des peuples de l’eau mais aussi des routes, venus des mers et des fleuves, du Nord, du Sud, de l’Est, de l’Ouest ; pour conquérir, se réfugier, échanger, marchander, rencontrer, et parfois s’y installer. Si aujourd’hui les milieux fascistes usent et abusent du terme sur la toile, en font des chants et des insultes, ce n’est pas tellement dans le sens d’un racisme anti-méridional primaire, mais c’est surtout dans l’idée d’opposer le concept de narbonoïde à celui de « race pure ».
Cette idée n’est pas contemporaine et dès l’antiquité les « barbares » désignent les peuples qui ne parlent ni le latin ni le grec. Plus tard, la hiérarchisation des « races », qui implique l’existence de groupes supérieurs aux autres, nourrit et justifie certaines idéologies comme le colonialisme, l’esclavagisme, le darwinisme social ou l’eugénisme, allant même jusqu’à créer des mythes comme celui de « peuple aryen ». La recherche génétique a mis à mal dans les années 70 les théories racistes en montrant que l’espèce humaine partage le même patrimoine génétique à 99,8% mais la peur de l’altérité a la dent dure…
Pourtant nous sommes constitué-e-s par l’altérité, nous sommes – et revendiquons l’être – des « sang-mêlé-e-s », « narbonoïdes ». Quoi de plus paradoxal qu’en ces lieux, berceau de la « narbonoïdité », le Rassemblement National se croie en terre conquise et s’offre le culot de rassembler ses militants à Narbonne le 1er mai 2025 !
Les Narbonoïdes ont-ils/elles perdu la tête ? Ont-ils/elles oublié leurs racines métissées fruit d’une longue histoire des communautés et des peuples celtes, ibères, latins, wisigoths, arabes, francs, juifs présents depuis le Ve siècle, espagnols franchissant les Pyrénées lors de la Retirada,…
Un parti qui prône l’expulsion des étrangers, le droit du sang, le renforcement de l’Europe forteresse déjà existante et qui a transformé notre Méditerranée en immense cimetière n’a pas sa place en terre narbonnaise !
Oc sèm Narbonoïdes ! Et nous affirmons que sur cette terre de métissage millénaire, d’identité en mouvement et d’accueil, le racisme est un non-sens, que le 1er mai à Narbonne ne sera pas celui d’une instrumentalisation politique mais d’un grand rassemblement anti-fasciste.
Dina, une Narbonoïde
Rendez-vous le 1er mai à 11 h devant la sous-préfecture de Narbonne puis toute la journée à la Bourse du travail.