La nouvelle affaire, liée à la mort de treize jeunes gens (chiffre officiel), répercutée y compris par les médias internationaux, n'est pas sans rappeler, au travers de la cacophonie gouvernementale, l'autre affaire du 4 mars 2012, dite des "Explosions de Mpila" (cf. notre réflexion d'alors : "Explosions du 4 mars 2012: la rançon d'un pouvoir pillé et criminel au Congo", Mediapart, mars 2012).
Le 4 mars 2012, un dimanche, en milieu de matinée, la ville capitale, Brazzaville, est puissamment secouée par plusieurs et successives explosions sans précédent, avec des répercussions jusqu'au Congo voisin, la RDC.
Autour de la mi-journée, première réaction officielle du gouvernement par le biais de celui qu'on appela alors "le philosophe du dimanche", Charles Zacharie BOWAO, universitaire et philosophe, Ministre délégué à la Défense, qui déclare à la station de télévision nationale qu'il s'agissait d' "un simple court-circuit qui n'a Dieu merci entraîné aucun mort, en dehors de quelques blessés plus ou moins graves, selon les experts sur le terrain"! Déclaration et affirmations grotesques, dignes des pieds nickelés, puisque non seulement le ciel de Brazzaville-nord était envahi de fumée noire, mais en plus, la terre avait tremblé et, dans les minutes qui avaient suivi, c'était l'hécatombe et le désarroi total dans les quartiers sinistrés et leur environnement. Au point que, en milieu d'après-midi, un autre membre du gouvernement autocratique, celui de la Communication, Bienvenu OKIEMY, viendra corriger son prédécesseur en reconnaissant de nombreux dégâts matériels et humains. En fin de journée, le despote lui-même, SASSOU-NGUESSO, s'en mêlera et ajoutera à la confusion, en demandant aux habitants des mêmes zones, sans que rien ne soit encore éclairci sur les causes et la portée du drame, de rentrer chez eux pour éviter les pillages! C'est, des jours plus tard, en centaines de morts et milliers de blessés que seront officiellement évaluées les victimes humaines. Perspicace, l'éminent journaliste africain, Jean-Baptiste PLACCA, y verra « UN PEUPLE PIÉGÉ PAR SES PROPRES DIRIGEANTS ». Ce vers quoi semble tendre, une fois de plus, la toute dernière tragédie.
Dans la dernière affaire, datée du lundi 23 juillet dernier, treize jeunes gens sont pourtant retrouvés morts dans les locaux d'un commissariat de police dit Chacona, des quartiers nord de Brazzaville, à Mpila plus précisément. Et encore. Comme en 2012 ! Une thèse soutenue par un responsable local de l'OCDH (Organisation des Droits de l'Homme), qui précise que « D’après les témoignages que nous avons des familles directement concernées, les enfants ont été interpellés, soit dans la rue, soit devant les parcelles et conduits au commissariat. Ils ont été surpris et les enfants ont trouvé la mort ». Interrogé sur le sujet le mardi 24 juillet, l'actuel ministre de la Communication dudit pouvoir, Thierry MOUNGALLA, conteste et annonce, décomplexé, aux médias que ces morts résultent de règlements de comptes entre groupes de bandits, et qu'en tout état de cause "il ne s'est rien passé au commissariat", avant d'être remis en cause ce jeudi 26 juillet par son collègue ministre de l'Intérieur au cours d'une séance d'interpellation par les parlementaires: "Une vingtaine de jeunes avaient été interpellés dont seize ont été placés en garde à vue au commissariat de Chacona (dans le quartier de Mpila). Dans la nuit du 22 au 23 juillet, treize d'entre eux y ont trouvé la mort», a déclaré le ministre Raymond-Zéphirin MBOULOU
Ce dernier reconnaît ainsi que ces jeunes gens sont morts en prison, sans qu'aucune responsabilité ne soit établie dans l'immédiat, s'en remettant toutefois à une commission d'enquête administrative et celle d'ordre judiciaire. Tout de même, dans tout État digne de ce nom, l'éternel et peu scrupuleux ministre de la Communication qui avait déclaré clairement le contraire, comme d'habitude, et égal à lui-même, serait déjà entrain d'arranger ses cartons du ministère. Une séquence qui dénote, une fois de plus, une société d'impunité, d'irresponsabilité et d'indignité, à l'image bien entendue du champion, le despote et son clan, qui dirige le pays depuis au moins quarante ans cumulés. ..
On se rappellera, pour le cas de la France, la célèbre formule du Ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale, de 1984 à 1986, sous le gouvernement FABIUS, Georgina DUFOIX, sur la terrible "Affaire du sang contaminé". Interrogée sur l'affaire, elle s'était sans ambages tout au moins dite "RESPONSABLE MAIS PAS COUPABLE".
Au Congo-Brazzaville, les affaires se multiplient et se ressemblent à des différences de degré, mais, c'est presque toujours, NI RESPONSABLE NI COUPABLE, jusqu'à ce qu'on exploite les mêmes affaires pour les faire endosser aux acteurs devenus gênants. De telle sorte que, selon Zacharie BOWAO justement à propos de l'affaire citée de 2012, il est apparu "UNE JUSTICE INJUSTE, QUI TEND MACHIAVÉLIQUEMENT À FAIRE PASSER DES INNOCENTS POUR DES COUPABLES, ET INVERSEMENT, À FAIRE PASSER DES COUPABLES POUR DES INNOCENTS" ! En réalité, moins que circonstanciel, cet état de choses est consubstantiel au système autocratique, mais que l'auteur, par solipsisme, ne découvre que parce que directement et personnellement visé. Une lecture et une pratique, presque tout aussi générales et constantes des acteurs politiques congolais.
Quelles seront dès lors les prochaines victimes de nouvelles machinations, pourrait-on alors logiquement s'interroger car, des acteurs gênants à jeter en pâtures, par les temps qui courent, le despote congolais en a une bonne réserve… diète financière y aidant.
Sans doute pourrait-on penser a priori, au regard de la mise en place des diverses commissions d'enquête, administrative et judiciaire, à un semblant de réflexe d'État de droit. Cependant, en dictature congolaise, truffée d'intouchables, de légèreté judiciaire, de justice expéditive, de manipulations, d'intervenants à toutes les échelles et de passe-droit, de « règlements en famille » et surtout de la corruption tout azimuts, le déclenchement d'une commission d'enquête ne présume absolument rien et, en tout état de cause, tout sauf une justice convaincante, rationnelle et sereine… en raison de nombreux et célèbres précédents, comme les « biens mal acquis », « les disparus du beach », « La Commission de 2007 sur la corruption » créée tambours battant mais restée stérile, « les explosions du 4 mars 2012 », « les massacres des 15-17 et 20 octobre 2015 » à propos du référendum anti-constitutionnel mais absolument impunis, « les recours sur la torture et les pratiques inhumaines » bien connus et hyper-médiatisés mais restés sans suite, « l'assassinat de Marien Ngouabi le 18 mars 1977 », « les explosions du cinéma Star », la "tentative de coup d'État Téké" d'août 1990 et le prétendu « coup d'État du 14 août 1978, d'une envergure sans précédent en Afrique»(1) sans un seul début de preuve…
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1. Cf. notre article: "Circonstances exceptionnelles et libertés publiques au Congo: l'état de crise du 14 août 1978", in Revue Congolaise de droit, numéro 4, 1988
Félix BANKOUNDA MPÉLÉ
Universitaire,
Juriste et politologue
Membre-expert à l'I.D.E.F.
Paris, 26 juillet 2018