Felix Bankounda Mpele (avatar)

Felix Bankounda Mpele

Enseignant-Chercheur, Juriste et Politologue, consultant, Membre de l'Association Française de Droit Constitutionnel, Membre-Expert de l'Institut International de Droit d'Expression et d'Inspiration Françaises (1997-2024)

Abonné·e de Mediapart

94 Billets

0 Édition

Billet de blog 7 juin 2024

Felix Bankounda Mpele (avatar)

Felix Bankounda Mpele

Enseignant-Chercheur, Juriste et Politologue, consultant, Membre de l'Association Française de Droit Constitutionnel, Membre-Expert de l'Institut International de Droit d'Expression et d'Inspiration Françaises (1997-2024)

Abonné·e de Mediapart

LA RANÇON DE LA CAUTION : UNE NOUVELLE AFFAIRE DES PIEDS NICKELÉS AU CONGO

Felix Bankounda Mpele (avatar)

Felix Bankounda Mpele

Enseignant-Chercheur, Juriste et Politologue, consultant, Membre de l'Association Française de Droit Constitutionnel, Membre-Expert de l'Institut International de Droit d'Expression et d'Inspiration Françaises (1997-2024)

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

ACCORDS RWANDA-CONGO : UNE PARFAITE ET AUTHENTIQUE AFFAIRE DES PIEDS NICKELES © #TLR-TV CHANNEL

Comment, même quand on est absolument dépourvu de légitimité, et de compétence pour cela, on peut tout de même accéder au pouvoir et s'y éterniser ? Cela n'est évidemment possible et envisageable que dans un environnement pas du tout intégré et géré selon les principes élémentaires de la démocratie. En l'occurrence, est illustrée une des pratiques très courantes en Afrique, et qui explique en quelque sorte, largement, son marasme légendaire.

À peu-près tout le monde connaît l'assertion populaire, selon laquelle, "On ne change pas une méthode qui porte des fruits". Car, pourquoi, et/ou comment en alterner, même si on se doute bien qu'elle ne marchera pas éternellement à tous les coups.

Telle est la situation dans laquelle se trouve aujourd'hui Sassou-Nguesso, quatre-vingts ans dont quarante consommés au pouvoir, à la tête de l'État congolais, et qui est ainsi dans sa dernière ligne droite. Il n'a, pour assurer ses arrières, pas trouvé mieux que son fils pour lui succéder. Une pratique plutôt banale sous les tropiques. Et, pour le réussir, celui qui en plus d'un demi-siècle de vie politique au sommet de l'État, dont quarante ans comme chef de l'État, n'a jamais réussi à se faire désigner de manière rationnelle-légale, n'a qu'une seule ressource, une seule méthode. C'est celle qui lui a assuré son propre succès, pas moins de trois fois, à savoir, la caution ou garantie de la conquête du pouvoir par la force, sous la houlette d'une puissance étrangère, quel qu'en soit le prix. Une caution tout sauf, on s'en doute, gratuite. Donc une parfaite et authentique affaire de Pieds Nickelés, comme l'illustre si bien l'épisode suivant, sans précédent et sanglant du printemps 1977, au Congo-Brazzaville.

L'on sort de la fameuse crise du pétrole de 1973 et, la France se replie et veut se rattraper du chantage des pays du Maghreb sur le pétrole de ses ex-colonies d'Afrique noire dont le Congo. Celui-ci, avec à sa tête le révolutionnaire Marien Ngouabi, qui connait tout autant une crise financière, vient de comprendre et de tirer les leçons de cette crise pour multiplier conséquemment les recettes de cette ressource. La crise, entre les deux partenaires, est, ainsi, manifeste et la situation tendue et même médiatisée comme telle, frisant le blocage. Elf tient pourtant particulièrement, et par tous les moyens, à compenser sur le Congo ce qu'il perd ou ne gagne plus du Maghreb, de la même façon que le commandant-président se dit que c'est l'occasion où jamais de sortir de la crise chronique. Dans des conditions confuses, le président, intraitable sur la manne pétrolière, et dont l'homme de confiance et Ministre de la défense et de la Sécurité, est Sassou-Nguesso, est assassiné chez lui, en pleine journée et en plein Etat Major militaire, à 14h30 précisément. Incroyablement, la Constitution qui prévoyait clairement l'intérim du pouvoir dans ces circonstances est abrogée, ainsi que toutes les institutions politiques du pays. Le nouvel homme fort devient l'homme de confiance du président assassiné, et jusque-là Ministre de la Défense et de la Sécurité, Sassou-Nguesso, qui annonce au lendemain de cette disparition brutale, le 19 mars 1977, dans la matinée, que "L'impérialisme et ses valets locaux, dans un dernier sursaut, a attenté à la vie du camarade Marien Ngouabi qui a trouvé la mort l'arme à la main". Plus tard, le patron d'Elf du pôle Afrique, André Tarallo, avouera que "Ce n'est qu'en 1977 (C'est-à-dire après la mort de Marien Ngouabi) que les négociations ont pris un tour favorable et qu'une nouvelle convention d'établissement est signée" (ORTP, 2003, pp. 70-105) ! En l'absence de l'assemblée alors dissoute et de tout autre contrepoids !

Avec la mort de Marien Ngouabi donc, on l'a compris, la situation s'est automatiquement décantée, Elf a continué à obtenir son pétrole bon marché, et le nouvel homme fort, Sassou-Nguesso, a obtenu ses lettres de noblesse, sa caution pour le pouvoir, qui sera néanmoins différé de deux ans, après la consécration par l'instance politique en place (le PCT), avec les retombées financières y afférentes. 

Ainsi donc, et logiquement, dans la séquence du moment, contrairement à ce que certains pourraient penser ou croire par naïveté, de la même façon que Elf (la caution) ne lâcha jamais Sassou-Nguesso, le pouvoir rwandais ne lâchera pas le postulant-successeur Sassou-Nguesso fils dans la concrétisation de son ambition. Puisque c'est la condition pour la jouissance effective de la rançon (le pétrole/les terres), du 'tour favorable...(et décisif)', comme disait André Tarallo à propos du pétrole. Et c'est ce qui explique sans doute pourquoi la ratification de l'accord-cadre du 12 avril 2022 est en stand-by depuis deux ans, le processus, bien qu'initié en considération de la personne (c'est-à-dire intuitu personae) n'excluant pas des supercheries et substitutions avant ou après terme. Comme il en va souvent dans les affaires de Pieds Nickelés. De la même façon que la pression de l'heure à l'endroit du despote-fils de publier les vrais accords est vaine. Puisqu'elle consisterait en quelque sorte, après la mort de Marien Ngouabi, et avant le 5 février 1979 (date de conquête définitive du pouvoir), de convaincre Sassou-Nguesso de mettre à la disposition de l'opinion publique congolaise la convention d'établissement illégale et indécente qu'il avait seul signée avec Elf, après la dissolution de l'Assemblée nationale. Et, contre la volonté du commandant-président assassiné, qui y a sacrifié sa vie !

Toutefois, et en définitive, le pouvoir rwandais a besoin de l'usurpateur en puissance de même que ce dernier a besoin du pouvoir rwandais, sans exclure de part et d'autre circonspection et suspicion.

Si hier, c'est toujours auprès de la France, et de ses réseaux politiques et financiers, que le despote en place avait toujours misé, c'est, aujourd'hui, "au nom de la coopération Sud-Sud", auprès d'un voisin, éminemment prédateur dans la sous-région, le Rwanda, que le pouvoir éternellement illégitime a, cette fois-ci, recherché la caution. Avec des arguments et moyens pour le moins saugrenus. Si hier encore, le dictateur radicalisé offrait comme rançon de la caution l'Or Noir, au nouveau prédateur, ce sont les terres arables qu'il transige, c'est-à-dire "les bijoux des familles congolaises", démunies à qui il ne reste que cela (cf. notre document : "Quand Sassou-Nguesso s'en prend et liquide les bijoux des familles", in Mediapart, 30 avril, 2022).

L'incertitude n'en demeure pas moins présente, dans le contexte d'aujourd'hui ausculté par les réseaux sociaux au contraire des précédents. Et aussi en raison de son casier politique singulièrement chargé, toxique, éprouvé et connu. Mais, surtout, d'une population très majoritairement plongée dans une "misère endémique" et dans le désarroi. Dans un tel environnement, la stratégie habituelle, débusquée, s'enraye et, forcément, intoxique désormais la vie socio-politique congolaise depuis plus de deux ans.

C'est pour y apporter un peu d'éclairage que nous avons été invité...

                                        5 juin 2024

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.